Mexique – Au-delà des chiffres "purs", la gouvernance

Mexique – Au-delà des chiffres "purs", la gouvernance

En résumé

La presse continue de s’inquiéter des déclarations du président AMLO à l’encontre des "organismes de réglementation autonomes" avant la présentation officielle de la réforme visant à fusionner certaines de ces entités au niveau du gouvernement fédéral. Si le rôle et l'indépendance des plus importantes d’entre elles (dont celles chargées, par exemple, de la surveillance antitrust, de la régulation des télécommunications, de la transparence) sont inscrits dans la Constitution mexicaine et difficilement modifiables (surtout au Sénat où la coalition n'a pas de majorité qualifiée), ces critiques répétées sont néanmoins malvenues.

Notre opinion – Outre la "reprise en main" résolue du secteur de l’énergie, les coups portés aux institutions semblent plus fréquents ou les interférences entre politique et économie se multiplient. Ils ne sont pas tous le fait du président lui-même, mais contribuent à altérer la gouvernance (et la perception de celle-ci). Début décembre, le Sénat mexicain avait ainsi approuvé un amendement susceptible de modifier la loi qui régit la Banque centrale (obligation d’acheter des liquidités "excédentaires" en devises étrangères que les banques nationales ne peuvent pas placer auprès de leurs correspondants à l'étranger). Le projet de loi a été envoyé à la Chambre des députés pour approbation. Approuvée en l’état, la réforme constituerait une atteinte à l’autonomie de la Banque centrale dont les responsables s’étaient inquiétés, indiquant qu’une telle disposition interférait avec son mandat et pouvait compromettre la capacité de la banque à gérer les réserves internationales. Moody’s (Mexique, Baa1 négatif) s’en était alarmé[1] : jugeant la qualité institutionnelle du Mexique faible par rapport à ses pairs (faiblesse de l'État de droit et du contrôle de la corruption), mais compensée partiellement une Banque centrale indépendante et la qualité relativement solide de la réglementation financière, la mise en cause de l’autonomie de la Banque centrale saperait la pierre angulaire de la stabilité macro-économique, une force-clé du profil de crédit du souverain mexicain.

Par ailleurs, sans grande surprise, les perspectives de Moody’s[2] sur la solvabilité souveraine en Amérique latine en 2021 sont négatives : affaiblissement de la solidité budgétaire post-pandémie, perspectives de croissance à moyen terme ternes (avec notamment un niveau de production inférieur au niveau de 2019 jusqu'en 2022 au moins), pressions sociales défiant la capacité des gouvernements à restaurer l'espace budgétaire perdu, difficultés à stabiliser et finalement à inverser les tendances négatives pesant sur la qualité de crédit. À cet égard, le Mexique présente quelques caractéristiques intéressantes : dégradation limitée des finances publiques, marges de manœuvre mais piètre gouvernance.

La situation des finances s’y est, en effet, évidemment dégradée en 2020, mais dans des proportions très réduites. Compte tenu d’une contre-offensive anti-Covid-19 très faible (1% du PIB environ), la détérioration des comptes publics est limitée voire "honorable" par rapport à ses pairs latino-américains.

En raison de l’entêtement "austéritaire" des autorités (qui semblent plus préoccupées par Pemex que par la pandémie), le besoin de financement atteindrait environ 5% du PIB en 2020 (contre 2,6% du PIB budgétés à l’origine), conduisant la dette brute vers 65% en 2020, alors que le PIB reculerait de près de 9%. En 2021, malgré la récente aggravation de la pandémie, au regard du projet de budget (dont un besoin de financement de 4,1% du PIB qui intègre déjà des dépenses sociales plus élevées pour remédier à certains effets du Covid-19), il n’y a pas lieu d’anticiper une réponse plus ample. Par ailleurs, compte tenu de la récession et de perspectives économiques encore très sombres, une réforme fiscale après les élections de mi-mandat de juin semble peu probable. Or, selon la Banque Interaméricaine de Développement (citée par Moody’s), le Mexique (tout comme la Colombie) dispose d'une marge de manœuvre importante, car l'inefficacité des dépenses dépasse 4,5% du PIB (dans les deux pays) : autant de ressources qui pourraient être réaffectées. Enfin, les pays disposant de cadres politiques, d’institutions et de gouvernance plus solides devraient être mieux à même de faire face au défi que constitue la gestion de demandes contradictoires, sans nuire au profil de crédit souverain (ressources gouvernementales limitées et réduction de l'espace budgétaire dans un contexte de pressions sociales élevées).

Alors qu’il est désormais acquis que le retour à la croissance et la restauration des finances seront lents et douloureux, il est probable que l’attention des observateurs (et, en tout premier lieu, des agences et des investisseurs) se concentre non pas tant sur les aboutissements immédiats (la clémence devrait demeurer de mise) que sur les actions entreprises : il serait ainsi demandé aux autorités non pas une obligation de résultat mais, au moins, une obligation de moyens soutenus par des institutions efficaces. À cet égard, la situation du Mexique apparaît peu brillante, voire franchement fragile. Parmi les grands pays latino-américains, le rating de Moody’s est lesté par la piètre appréciation portée sur ses institutions et sa gouvernance (dont le rating Ba1 est inférieur au rating souverain Baa1).

[1] Moody’s, “Government of Mexico - Proposed law would undermine central bank's independence and raise money laundering risks, a credit negative”, 14 décembre 2020. Moody’s notait alors que l’Asociacion de Bancos de Mexico estimait que le projet de la loi comportait "des risques élevés et inutiles à la stabilité du système financier national" et avait exhorté les membres du Congrès à entamer un dialogue avec les experts financiers et la Banque centrale pour trouver un terrain d'entente. Même si elle était approuvée par la Chambre des députés, la loi pourrait finalement être annulée par la Cour suprême de justice. Moody’s considérait néanmoins que son approbation éventuelle sous une forme modifiée ne pouvait être exclue.

[2] Moody’s, “Latin America & Caribbean 2021 outlook negative as social pressures rise amid subdued recovery from pandemic”, 7 janvier 2021.

Mexique – Au-delà des chiffres "purs", la gouvernance

Alors qu'il est désormais acquis que le retour à la croissance et la restauration des finances seront lents et douloureux, il est probable que l'attention des observateurs (et, en tout premier lieu, des agences et des investisseurs) se concentre non pas tant sur les aboutissements immédiats (la clémence devrait demeurer de mise) que sur les actions entreprises : il serait ainsi demandé aux autorités non pas une obligation de résultat mais, au moins, une obligation de moyens soutenus par des institutions efficaces. À cet égard, la situation du Mexique apparaît peu brillante, voire franchement fragile. Parmi les grands pays latino-américains, le rating de Moody's est lesté par la piètre appréciation portée sur ses institutions et sa gouvernance (dont le rating Ba1 est inférieur au rating souverain Baa1).

Catherine LEBOUGRE, Economiste