Parole de banques centrales – BCE : la science de la patience ou l'assurance contre le risque

Parole de banques centrales – BCE

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Le débat sur la dose pertinente de resserrement monétaire continue d'être alimenté par des contributions intéressantes prônant des solutions différentes.

Dans son dernier scénario économique mondial d'octobre, le FMI explore le rôle du canal des anticipations d'inflation dans la persistance de l'inflation et dans la modulation de l'action de l'autorité monétaire. L'étude souligne l'importance croissante des anticipations à court terme pour comprendre la dynamique de l'inflation et, notamment, le rôle des agents fixant leurs anticipations sur la base de l'inflation passée par rapport aux agents fixant leurs anticipations sur la base des perspectives d'inflation. Les premiers dominent dans des économies, principalement émergentes, où la capacité des banques centrales à signaler l'évolution future de l'inflation est limitée. Ces comportements amplifient les pressions inflationnistes et diminuent la puissance de la politique monétaire, puisque ces agents en intègrent mal les impacts futurs. Les économies avancées, en revanche, se caractérisent par une prépondérance d'agents "forward looking" : c'est le fruit de la crédibilité que les banques centrales ont acquise par leur indépendance et des politiques strictes et réussies de stabilisation des prix.

Les minutes récemment publiées de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE nous décrivent néanmoins des banquiers centraux encore prudents quant à l'évolution des anticipations d'inflation à court terme. En août, les anticipations des prévisionnistes professionnels ont été légèrement révisées à la hausse pour les années 2024 et 2025, même si à l'horizon 2028 elles continuent d'indiquer une inflation à la cible (2,1%). Aussi leur équilibre des risques est toujours orienté à la hausse. Cette répartition asymétrique de l'inflation attendue, conjuguée à des primes de risque d'inflation élevées relayées par les indicateurs de marché, signalent la crainte que les chocs d'offre deviennent plus fréquents à l'avenir. Cela semble avoir justifié le choix de la BCE d'une nouvelle hausse des taux lors de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs le 14 septembre. Assurer un rythme plus sûr de désinflation et acheter une assurance contre les risques d'une inflation à la hausse en étaient les objectifs. 

Tout en validant le tableau d'un recul des pressions sur les prix "en amont", la BCE était néanmoins soucieuse de l'asymétrie dans la répercussion de la hausse et de la baisse des coûts des intrants sur les prix à la consommation. En effet, la part des entreprises qui baissent leurs prix est – bien qu'en augmentation – encore bien inférieure à la part des entreprises qui augmentaient leurs prix quand les coûts des intrants croissaient.

Une lecture intéressante de l'origine de ces asymétries dans la répercussion des coûts est fournie par le 26e "Geneva Report" sur l'économie mondiale qui pointe la nécessité de prendre en compte le délai des ajustements de prix relatifs nécessaires pour une allocation efficace des ressources. En effet, les chocs récents ont engendré, à la fois, des perturbations dans les chaînes de valeur et des recompositions de la demande entre secteurs qui requièrent un long changement des prix relatifs pouvant déterminer une réponse plus lente et persistante de l'inflation "core". Ces chocs d'offre ont généré une forte hétérogénéité sectorielle dans la réponse des prix qui alimente des vagues retardées d'inflation (selon l'intensité des secteurs en énergie ou en intrants plus chers) avec une transmission qui dépend de la structure "input-output" de l'économie et des rigidités sectorielles des prix. 

Le rapport suggère qu'une certaine tolérance à cette inflation additionnelle liée à la propagation tout au long des chaînes de valeur peut faciliter les ajustements des prix relatifs et la réallocation efficace des ressources. Il incite donc à pondérer le risque de désancrage des anticipations d'inflation par les bénéfices d'une meilleure allocation des ressources que risque d'entraver un resserrement trop marqué. 

Article publié le 13 octobre 2023 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Parole de banques centrales – BCE

Les minutes récemment publiées de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE nous décrivent des banquiers centraux encore prudents quant à l’évolution des anticipations d’inflation à court terme. Mais une certaine tolérance à l’inflation additionnelle liée à la propagation tout au long des chaînes de valeur peut faciliter les ajustements des prix relatifs et la réallocation efficace des ressources justifiant que le risque de désancrage des anticipations d’inflation soit pondéré par les bénéfices d’une meilleure allocation des ressources.

Paola MONPERRUS-VERONI, Manager zone euro