France – Les dessous de la baisse des exportations de boissons au troisième trimestre
La principale actualité économique de la semaine en France est évidemment la forte croissance du PIB au troisième trimestre, nettement supérieure à celle de la zone euro, alors que l’activité allemande est restée inerte. Nous l’avons toutefois déjà largement traitée dans notre publication ʺFlash PIB : la croissance déjoue les pronostics et augmente de nouveau au troisième trimestre (+0,5%, après +0,3%)ʺ. Nous nous penchons ici sur des éléments plus spécifiques, en lien avec la forte baisse en volume des exportations agro-alimentaires enregistrée au troisième trimestre dans les comptes nationaux (heureusement compensée par une hausse des exportations d’autres produits, en particulier aéronautiques), et plus particulièrement celles de boissons, dans un contexte de tensions commerciales avec la Chine et les États-Unis.
Les exportations agro-alimentaires et de boissons peuvent paraître à première vue anecdotiques, mais elles ne le sont pas tant à l’échelle des exportations totales de la France. Les produits des industries agro-alimentaires représentent près de 11% des exportations françaises en 20241 (soit 64 Mds€), d’après la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI). Près d’un tiers de ces exportations agro-alimentaires sont constituées par les boissons (20 Mds€). À eux seuls, les vins et spiritueux représentent 85% des exportations françaises de boissons en 2024 (16,5 Mds€, soit près de 3% des exportations françaises totales), et l’excédent commercial français sur ces produits est particulièrement important (14,3 Mds€ en 2024). Or, pour ces produits, la France apparaît très dépendante des échanges avec les pays tiers (hors de l’Union européenne) et, en particulier, du marché américain, et du marché chinois, dans une moindre mesure. C’est ce qui ressort d’une étude récente2 de la DGDDI.
Il peut être tout d’abord utile de rappeler les mesures douanières mises en place récemment par la Chine et les États-Unis et qui affectent ces produits. Le 7 octobre 2024, la Chine introduisait des droits anti-dumping d’une valeur moyenne de 34,8% sur les eaux-de-vie de vin européennes (le cognac en représentant 90%). L’effet s’est rapidement fait sentir, avec une baisse de 56% des exportations vers la Chine pour ce produit au premier trimestre 2025 (par rapport au premier trimestre 2024).
L’accord commercial de Turnberry entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis n’a pas épargné les boissons, puisque le taux plancher de 15% de droits de douane sur les exportations de l’UE à destination des États-Unis leur est appliqué. Avant cela, le taux additionnel de 10% leur était appliqué depuis avril 2025. À un niveau agrégé, l’impact macro-économique de la hausse des droits de douane américains devrait être limité pour la France par rapport à d’autres grands pays européens, en raison du poids relativement faible des exportations vers les États-Unis dans le PIB (environ 2%). Pour l’année 2026, nous estimons cet effet à environ -0,2 point de croissance en France, contre -0,4 point à l’échelle de la zone euro. L’effet pourrait toutefois être concentré sur quelques secteurs.
Au sein de l’UE, la France est le premier pays exportateur de vins et spiritueux vers les pays hors UE en 2024, ce qui est vrai pour chacune de ces catégories de produits : vins tranquilles, vins mousseux, eaux-de-vie de vin et autres spiritueux (malgré la forte concurrence de l’Italie sur les deux premières catégories mentionnées). La France se distingue par une stratégie de montée en gamme, avec des prix nettement supérieurs à ses concurrents (l’Italie se positionnant plutôt sur l’entrée et le milieu de gamme pour les vins). La France est particulièrement vulnérable sur ce segment des vins et spiritueux, puisque les États-Unis représentent le premier marché à l’export (et ce, pour l’ensemble des catégories susmentionnées). La Chine se positionne, pour sa part, comme le deuxième importateur de cognac et le troisième importateur de vins tranquilles.
L’étude de la DGDDI révèle, par ailleurs, que parmi les 5 400 entreprises exportatrices de vins et spiritueux en 2022, 40% exportent vers les États-Unis et 20% vers la Chine et Hong-Kong, et une part significative d’entre elles présente une forte concentration de leurs exportations vers ces marchés. Les entreprises les plus exposées au marché américain sont celles qui ont les plus fortes marges, soit les exportatrices de cognac et de champagne.
Après une période d’expansion liée au rebond post-Covid, marquée par une forte progression des prix mais aussi des volumes, les exportations françaises de vins et spiritueux ont diminué en valeur depuis 2023. Dès décembre 2024, les données révélaient des stratégies d’anticipation face à la potentielle future hausse des droits de douane américains, après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en novembre 2024 (avant sa prise de fonction en janvier 2025). Il faut dire qu’un précédent existe, puisque l’administration Trump I avait instauré une taxe de 25% sur certaines exportations de vins tranquilles en bouteille en 20193 (abrogée ensuite en mars 2021). En décembre 2024, la hausse des exportations en valeur vers les États-Unis était ainsi particulièrement marquée pour les vins de Bordeaux (+150% par rapport à novembre 2024, à rebours des variations saisonnières habituellement observées), mais elles augmentaient aussi très nettement pour les autres appellations de vin (+100%) et les vins produits dans l’UE correspondant essentiellement aux vins de France (+125%). L’étude de la DGDDI souligne un nouveau phénomène de hausse sensible des exportations de vin vers les États-Unis en mars 2025 (avec une hausse toutefois plus modérée qu’en décembre).
Les données d’exportations ne sont pas encore disponibles pour septembre, mais les données à août 2025 sont révélatrices d’une forte baisse des exportations françaises de boissons en valeur. Celles-ci ont diminué de 6,5% en août par rapport à juillet, après une baisse de 7,6% pour le mois de juillet par rapport à celui de janvier 2025, en données corrigées des variations saisonnières et des jours ouvrés.
1 Voir notamment l’analyse annuelle 2024.
2 « Les vins et spiritueux : points forts à l’exportation mais très exposés aux États-Unis et à la Chine », Études et éclairages n°102, septembre 2025.
3 La mesure visait aussi d’autres produits, et le taux de taxation avait d’abord été fixé à 10%, puis à 15% pour les avions et 25% pour les autres produits (dont les vins tranquilles en bouteille).
Article publié le 31 octobre 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine
L'Observatoire financier des entreprises agroalimentaires ‒ Lait
L'Observatoire financier des entreprises agroalimentaires a pour objectif de mettre en évidence les tendances du secteur sur les principaux agrégats : activité, marges, rentabilité, endettement et capacité à investir.
Ce numéro 38 est consacré à la filière Lait. Les données analysées sont issues des bilans 2023 jusqu'au 31 mars 2024. Les analyses et commentaires ont été réalisés par les experts de la Direction de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire du Crédit Agricole.
L'Observatoire financier des entreprises agroalimentaires ‒ Viandes
L'Observatoire financier des entreprises agroalimentaires a pour objectif de mettre en évidence les tendances du secteur sur les principaux agrégats : activité, marges, rentabilité, endettement et capacité à investir.
Ce numéro 37 est consacré à la filière Viandes. Les données analysées sont issues des bilans 2023 jusqu'au 31 mars 2024. Les analyses et commentaires ont été réalisés par les experts de la Direction de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire du Crédit Agricole.
L'Observatoire financier des entreprises agroalimentaires ‒ Grains
L'Observatoire financier des entreprises agroalimentaires a pour objectif de mettre en évidence les tendances du secteur sur les principaux agrégats : activité, marges, rentabilité, endettement et capacité à investir.
Ce numéro 36 est consacré aux métiers du grain, avec des zooms sur la collecte-appro, la nutrition animale, la meunerie et la BVP. Les données analysées sont issues des bilans 2022/23 jusqu'au 30/09/23. Les analyses et commentaires ont été réalisés par les experts de la Direction de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire du Crédit Agricole.