Moyen-Orient et Afrique du Nord – Forte hausse de l'inflation, très menaçante dans certains pays
- 06.07.2022
- 0
- Télécharger la publication (PDF - 239,99 KB)

En résumé
Sauf exception (Arabie saoudite notamment), l’inflation progresse significativement cette année dans tous les pays de la région.
Les phénomènes à l’origine de cette hausse et qui se combinent sont désormais très bien connus. Au scénario d’accélération de la croissance post-Covid de 2021 et d’augmentation des prix mondiaux, s’ajoute l’impact de la guerre en Ukraine qui a provoqué la très forte hausse des prix de l’énergie (pétrole et gaz), des matières premières agricoles (les céréales) et de l’ensemble des biens et services qui y sont liés (les transports notamment).
Deux autres raisons majeures se sont invitées en début d’année : d’une part la sécheresse, qui frappe surtout les pays du Maghreb - elle a affecté les productions agricoles et tiré les prix alimentaires à la hausse - et d’autre part la fragilité du change dans certains pays, ce qui a provoqué de l’inflation importée.
Effectivement, l’inflation est fortement influencée dans la région par les régimes de change fixe au dollar américain (peg) et par la dévaluation brutale de certaines devises, ce qui crée immédiatement une hausse des prix des biens importés en raison de balances commerciales excessivement déficitaires dans les pays non pétroliers.
Pour l’année 2022, les prévisions d’inflation s’établissent donc en moyenne entre 4% et 5% pour les pays pétroliers du Golfe, en partie protégés par leurs politiques monétaires de change fixe au dollar américain mais qui sont toutefois influencées par celle de la Fed. L’inflation de 2022 excède nettement les cibles fixées par les banques centrales.
Une exception dans la région, l’Arabie saoudite ne devrait connaître qu’une inflation modérée de 2,5% en 2022, principalement en raison d’un effet de base à la baisse après la très forte hausse de la TVA en 2020 et 2021.
Hors ce cas particulier, les Émirats devraient connaître une inflation de 4,5%, alimentée également par la stabilisation des prix de l’immobilier (surtout à Dubaï) et en partie corrélée aux prix des biens de consommation massivement importés. Au Qatar, pour des raisons en partie similaires, l’inflation va atteindre 4,2%, une prévision qui devrait être identique à Oman et Bahreïn tandis qu’elle pourrait monter jusqu’à 5% au Koweït. Dans ces pays, les hausses constatées sont assez absorbables et probablement temporaires. Elles ont commencé à influer les politiques monétaires par des hausses (encore modérées) des taux. Les autres pays producteurs d’hydrocarbures vont connaître des hausses d’inflation significatives à 6% pour la Libye et sans doute à 7,6% pour l’Irak. Pays totalement rentiers, l’importation de la quasi-totalité des biens de consommation explique ces taux élevés.
En Algérie, deux facteurs se combinent pour expliquer la très forte hausse de l’inflation qui devrait dépasser les 10% en 2022 : la hausse du prix des céréales importées et la dépréciation du dinar depuis trois trimestres qui alimentent l’inflation importée. Le gouvernement pourrait décider d’assouplir la fiscalité et faire une pause dans la baisse des subventions afin d’atténuer l’impact négatif sur le pouvoir d’achat des ménages. Une politique qui pourrait être facilitée par la stabilité retrouvée, au moins provisoirement, des réserves en devises.
Pour les autres pays, la situation est beaucoup plus contrastée, l’ampleur de la hausse et son origine auront des impacts très différents. Dans quels pays l’inflation est-elle menaçante ?
L’Égypte, premier importateur mondial de céréales dont les deux tiers en provenance de Russie et d’Ukraine, avait réussi à enclencher une désinflation à 5,2% en 2021. En 2022, c’est le pays le plus affecté par la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. La chute de 20% de la livre par rapport au dollar au premier semestre ajoute un fort effet de change à la hausse des prix. L’inflation va donc connaître un pic à plus de 16% à l’automne et devrait s’établir à 13,9% en moyenne en 2022, pour s’apaiser à 9,8% en 2023.
En Tunisie, l’inflation est élevée depuis 2017. Elle est en partie alimentée par la dépréciation régulière du dinar qui génère de l’inflation importée. Elle devrait dépasser les 8% en 2022 et s’apaisera relativement peu à 6,8% en 2023. La situation de quasi-stagflation (la croissance est médiocre à 2,3%) est porteuse de risques, car elle provoque une spirale inflation-salaire et des tensions sociales, alors que la situation politique du pays est complexe.
Au Maroc, l’inflation est historiquement faible, facilitée par la politique monétaire de change fixe du dirham au panier euro-dollar et par la réactivité de la Banque centrale. Mais cette année, l’impact très élevé de la hausse des prix des produits alimentaires, de ceux du pétrole importé, et des effets de la sécheresse, vont alimenter l’inflation qui devrait atteindre 5% pour revenir dans des normes plus favorables de 2,5% en 2023. Les prix alimentaires ont progressé de 9% de mars à mai dernier et ceux des transports de plus de 11%.
Dans ces trois pays, l’impact social d’une forte inflation pourrait devenir menaçant compte tenu du taux de chômage élevé et de la hausse des prix des produits de base. Ceci va sans doute nécessiter des mesures de soutien aux plus démunis pour apaiser les tensions sociales qui ont commencé à apparaître au Maroc et en Tunisie. Une politique de soutien sociale rendue plus difficile à mettre en place après la forte hausse des dettes publiques lors des années de pandémie.
De leurs côtés, les pays en guerre (Yémen et Syrie) ou en crise majeure (Liban et Iran) connaissent tous des épisodes de très forte inflation, voire d’hyperinflation. Les chiffres y sont parfois peu fiables.
Au Liban, l’hyperinflation de 155% en 2021, et de sans doute presque 200% en 2022, est un indicateur parmi d’autres de la crise multiforme qui frappe le pays, par ailleurs affecté par des pénuries de plus en plus nombreuses de produits et dont la liste s’allonge tous les jours. L’année prochaine, les prix devraient encore doubler.
Notre opinion – La forte hausse de l’inflation en 2022 a des conséquences immédiates sur les politiques monétaires régionales. Les banques centrales ont pratiquement toutes commencé à ajuster à la hausse leurs taux directeurs sous l’influence de la conjoncture mondiale. En fonction des anticipations de la durée de l’épisode d’inflation, elles essayeront de piloter les taux afin de ne pas trop affecter la croissance économique, parfois encore fragile dans les pays non pétroliers.
Article publié le 1er juillet 2022 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Pour l'année 2022, les prévisions d'inflation s'établissent en moyenne entre 4% et 5% pour les pays pétroliers du Golfe, en partie protégés par leurs politiques monétaires de change fixe au dollar américain mais qui sont toutefois influencées par celle de la Fed. L'inflation de 2022 excède nettement les cibles fixées par les banques centrales.
Olivier LE CABELLEC, Economiste