Zone euro – Inflation : inventaire des risques pour les ménages

Zone euro – Inflation : inventaire des risques pour les ménages

En résumé

L’inflation a marqué une nouvelle hausse en octobre à 10,6% sur un an dans la zone euro, tirée par une forte accélération des prix des biens alimentaires (13,1%) et un renforcement de l’inflation énergétique (41,5%). Ces deux composantes contribuent à hauteur de 68% à la croissance des prix dans la zone euro. L’inflation sous-jacente a aussi accéléré sous l’effet d’une hausse accélérée des prix des biens industriels non énergétiques (6,1%), tandis que l’inflation est restée stable dans les services (4,3%).

La hausse de l’inflation sous-jacente (5%), qui a débuté au troisième trimestre 2021, a d’abord été causée essentiellement par les contraintes d’offre (goulets d’étranglement au niveau de l’offre de biens industriels et pénuries d’intrants), mais l’importance des facteurs de demande s’est progressivement accrue au fil du temps avec la levée des restrictions liées à la pandémie, notamment dans les services. Au cours des derniers mois, toutefois, les facteurs d’offre et de demande ont joué un rôle globalement similaire, les facteurs de demande jouant un rôle plus important dans la hausse des prix des services que dans celle des prix des biens industriels.

La présence d’effets de second tour, avec une diffusion de la hausse des prix de l’énergie aux autres composantes via les coûts de production, est visible. Elle est soutenue par la dépréciation du taux de change de l’euro de 5,4% en termes effectifs nominaux entre juin 2021 et octobre 2022. L’affaiblissement de la devise, affectant particulièrement les prix des importations et notamment de l’énergie, augmente l’impact l’inflation "anormale" provoquée par le choc sur les énergies fossiles.

Une inflation injuste

L’inflation a des effets significativement différents selon les niveaux de revenus. L’écart entre le taux d’inflation effectif des ménages situés dans le quintile de revenus inférieur et celui des ménages du quintile supérieur se situe à son niveau le plus haut depuis quinze ans. Par rapport aux ménages à revenus élevés, les ménages à faibles revenus de la zone euro consacrent une part plus importante de leurs dépenses totales de consommation à l’alimentation, à l’électricité, au gaz et au chauffage, précisément les composantes affectées par les plus fortes hausses. Le ménage moyen à faible revenu (le premier quintile de la distribution) consacre une grande partie de son revenu (70%) aux biens de base et au logement contre 34% pour le ménage moyen à revenu intermédiaire.

Par ailleurs, les ménages aisés ont tendance à consommer un panel de produits plus onéreux au sein de la même catégorie de biens (par exemple, des produits de marque plutôt que des marques distributeur, moins chères). Ils disposent donc de la possibilité, pour réduire leurs dépenses, de remplacer les produits onéreux par d’autres meilleur marché, possibilité dont ne dispose pas les ménages aux revenus les plus faibles qui consomment déjà les biens les moins chers.

Ainsi, une augmentation de 10 % du coût de la vie de base se traduirait par une réduction du pouvoir d'achat d'un peu plus de 20 % pour les ménages à faible revenu, contre environ 5 % pour les ménages à revenu moyen selon la BCE. L'effet disproportionné sur les ménages à faibles revenus pourrait limiter considérablement leur capacité à résister aux chocs et à constituer des coussins de sécurité financière.

Avec un impact sur la richesse…

Les ménages de la zone euro ont fortement accru leur richesse depuis la crise du Covid. Leur épargne a fortement augmenté avec un surplus d’épargne d’environ 1 000 milliards d’euros mi-2022. À cela s’ajoute la valeur de leur patrimoine immobilier qui s’est accrue de 6 000 milliards d’euros sur la même période. À la fin de l’année 2021, leur richesse nette en termes réels représentait 9,4 fois la valeur réelle de leur consommation, plus que la valeur moyenne de la dernière décennie (8,7).

L’inflation est venue éroder ce matelas financier en réduisant de moitié le surplus de richesse nette réelle accumulé depuis le Covid. Au deuxième trimestre 2022, la richesse nette en termes réels ne représentait plus que 8,7 fois la valeur réelle de la consommation, revenant ainsi à la moyenne de long terme.

… qui est fortement hétérogène…

Mais cette érosion de richesse s’est faite principalement aux dépens des ménages les plus modestes. Selon l’enquête sur la consommation et la situation financière des ménages de la BCE (HCFS), les ménages à faibles revenus auraient déjà désépargné, le taux d’épargne médian s’élevant à -6,4% pour le quintile de revenus inférieur, tandis que les ménages du quintile supérieur continueraient à cumuler de l’épargne avec un taux d’épargne de 39,3%. L’enquête de la BCE sur les anticipations des consommateurs (CES) indique en effet que, pour une même hausse des dépenses liées à l’énergie, la réduction de l’épargne des ménages appartenant au quintile de revenus inférieur représente plus de cinq à six fois celle des ménages du quintile supérieur.

Dans l’enquête auprès des consommateurs, conduite par la Commission européenne entre juin et octobre 2022, une détérioration significative de l'évaluation et des perspectives de leur situation financière est mise en évidence pour les ménages de toutes les catégories de revenus. Mais pour le quartile inférieur de la distribution des revenus, cette détérioration implique également une part toujours plus grande de personnes en situation de détresse financière, c'est-à-dire de personnes qui doivent puiser dans leur épargne ou s'endetter, à partir de niveaux déjà élevés. À 30% en octobre 2022, cette part était beaucoup plus élevée que la moyenne des trois autres quartiles de revenus (14,1%).

… et potentiellement générateur de risque

Du fait de profils de dépense différents, de leur propension à consommer une part plus élevée de leurs revenus, à épargner moins et à subir des contraintes de liquidité plus fréquemment que les ménages à revenus élevés, les ménages les plus modestes présentent un risque de défaut plus élevé. La combinaison récente d'une inflation plus prononcée, d'une forte incertitude économique et d’une hausse des taux hypothécaires pourrait mettre à l'épreuve leur capacité financière.

Dans sa dernière revue de stabilité financière, la BCE simule l'impact de la hausse des prix à la consommation et des variations des taux d'intérêt jusqu'à la fin de 2022 sur la santé financière à court terme des ménages dans l'ensemble de la distribution des revenus. Les ménages endettés à faibles revenus, qui représentent environ 20% de l'ensemble des ménages à faibles revenus de la zone euro, risquent d'être confrontés à une augmentation du coût du service de la dette et ne disposeraient que d'une épargne limitée pouvant compenser cette augmentation. En effet, les ménages endettés à faibles revenus consacrent une part importante de leurs revenus au service de la dette, tout en détenant de faibles volumes d'actifs liquides et présentent donc un risque de liquidité plus élevé.

La BCE conclut néanmoins que les ménages les plus modestes sont beaucoup plus sensibles au risque d’inflation qu’au risque de hausse des taux. Une inflation élevée pourrait augmenter considérablement la part des ménages en difficulté dans le quintile de revenu le plus bas. Mais le risque de taux est plus contenu car l'endettement des ménages est essentiellement imputable aux ménages à revenus élevés, qui verraient une faible augmentation de leur détresse financière. Le fait que la plupart des dettes soient accordées aux ménages à plus hauts revenus atténue donc le risque systémique pour les banques, bien que des différences significatives existent entre les pays en fonction du taux d’endettement des ménages, de la part des ménages modeste endettés et de la nature (taux fixe ou variable) de l’endettement.

Politique budgétaire : mieux cibler pour réduire les risques

La politique budgétaire a joué un rôle important pour réduire l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur l’inflation et pour atténuer l’impact de l’inflation sur les revenus. Au total un coût budgétaire de 1,2 point de PIB a été déployé en 2022, dont les deux tiers dans des mesures majoritairement non ciblées (à hauteur de 70%) visant à contenir l’inflation. Les mesures ciblées représentaient 40% de l’effort budgétaire. En 2023 l’effort budgétaire pour contenir les effets négatifs de l’inflation est prévu à la hausse (1,9% du PIB). Cela laisse une marge importante pour rediriger les mesures en faveur des ménages les plus fragiles, qui portent le risque le plus élevé. Un meilleur ciblage des mesures permettrait aussi d’éviter des effets d’aubaine contreproductifs par rapport à l’objectif de réduction de la demande d’énergies fossiles.

Article publié le 18 novembre 2022 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Zone euro – Inflation : inventaire des risques pour les ménages

Du fait de profils de dépense différents, de leur propension à consommer une part plus élevée de leurs revenus, à épargner moins et à subir des contraintes de liquidité plus fréquemment que les ménages à revenus élevés, les ménages les plus modestes présentent un risque de défaut plus élevé. La combinaison récente d'une inflation plus prononcée, d'une forte incertitude économique et d'une hausse des taux hypothécaires pourrait mettre à l'épreuve leur capacité financière. Les ménages endettés à faibles revenus risquent d'être confrontés à une augmentation du coût du service de la dette et ne disposeraient que d'une épargne limitée pouvant compenser cette augmentation. En effet, ils consacrent une part importante de leurs revenus au service de la dette, tout en détenant de faibles volumes d'actifs liquides et présentent donc un risque de liquidité plus élevé.

Paola MONPERRUS-VERONI, Economiste