Colombie – Politique monétaire

Colombie – Politique monétaire

En résumé

Sur la base de l’inflation alors connue (août : sur un an, inflation totale à 10,8% et inflation « de base », hors alimentation et prix réglementés, à 6,9%), la Banque centrale (BanRep) a décidé d’augmenter son taux directeur de 100 points de base le portant à 10% : une décision contestée par le président Gustavo Petro. Dans une série de tweets, il a « questionné » cette décision arguant qu’elle était plus susceptible de faire basculer l’économie colombienne dans la récession que de freiner l’inflation. En outre, selon ses propos, les sorties de capitaux causées par les resserrements successifs de la Fed pourraient être évitées en instaurant une taxe temporaire sur les revenus spéculatifs.

BanRep (dont l’objectif d’inflation est de 3%) justifie la poursuite de son resserrement monétaire par de nombreux arguments. Ceux-ci tiennent en premier lieu à l’inflation elle-même : inflation totale élevée (l’inflation courante excède les prévisions annuelles de 9,9%), diffusion significative de la hausse des prix (proportion de biens évoluant à un rythme supérieur ou égal à l'objectif à 89% contre 61,7% un an auparavant), redressement des anticipations d’inflation pour fin 2023 (passées de 5,5% à 6,3% entre août et septembre), degré élevé d'indexation. Les arguments tiennent également aux causes de l’inflation : vigueur de l’activité supérieure aux attentes, tirée en grande partie par la consommation des ménages, conduisant à une révision à la hausse de la croissance prévue pour 2022 de 6,9% à 7,8%. Ce dynamisme s’accompagne de déséquilibres : augmentation de l'écart de production, croissance du crédit stabilisée mais à des rythmes assez élevés, dégradation du déficit courant (proche de 6% du PIB). D’autres arguments tiennent aux facteurs financiers externes : hausse des taux d'intérêt internationaux et des primes de risque, volatilité des marchés financiers internationaux, financement futur du déficit courant compromis dans un contexte de taux d'intérêt mondiaux élevés et d'aversion au risque croissante. Des signes de ralentissement se manifestent et cette tendance devrait se renforcer (épuisement de la demande post-pandémique, impact de l’inflation sur le revenu réel, orientation restrictive de la politique monétaire). Les prévisions de croissance pour 2023 ont donc été revues à la baisse (de 1,1% à 0,7%). BanRep réitère néanmoins son engagement à faire converger l'inflation vers l'objectif de 3%, condition fondamentale pour assurer la dynamique et la durabilité de la croissance économique à moyen et long terme.

Notre opinion – Sur un sujet aussi sensible, toute intervention présidentielle suscite immédiatement de nombreux doutes quant à l’indépendance de la Banque centrale. Les remarques de G. Petro, déjà peu apprécié par les marchés (dans la foulée de son élection mi-juin, le peso s’est déprécié contre dollar de près de 16% en trois semaines avant de se stabiliser), se sont traduites par un recul immédiat du peso (de 2,7%). Ce dernier enregistre désormais une dépréciation depuis le début de l’année de 11%, une contre-performance au regard des devises chilienne (dépréciation de « seulement » 9,3% largement attribuable à l’élection d’un président de gauche) ou mexicaine et brésilienne (appréciation de, respectivement, 2,5% et 6,5%).

Au-delà de la réaction épidermique des marchés (dont la Colombie ne peut malheureusement pas se passer pour le financement de son déficit public avec un recours important à la dette externe et une présence substantielle de non-résidents sur le marché domestique), le commentaire du président semble inapproprié pour, au moins, deux raisons. C’est une erreur politique doublée d’un diagnostic partiellement erroné.

Son commentaire introduit un doute quant à la responsabilité du gouvernement en matière de gestion économique, un doute inopportun au moment où les ambitions (dont la réforme fiscale) sont grandes et les sources de désaccord avec l’opposition nombreuses. Par ailleurs, l’inflation s’est tout d’abord redressée en raison de la hausse des prix des matières premières : un facteur sur lequel BanRep n’a effectivement pas de prise. Mais, l’Amérique latine en général (à la différence de l’Asie) tend à se distinguer par une accélération rapide de l’inflation à la suite d’un choc en amont. De plus, l’inflation est désormais largement alimentée par la vigueur de la consommation privée et ne montre pas encore de signes de décélération. En septembre, l’inflation totale s’établit à 11,4% sur un an pour une inflation de base à 7,5%.

Cesser de resserrer la politique monétaire permettrait certes (éventuellement) d’acheter un peu de temps avant que le ralentissement naturel ne se mette en place : cet achat serait fort coûteux en termes de crédibilité (la flexibilité et l’attentisme monétaire restent l’apanage des grandes banques centrales de pays avancés et encore…) et de désancrage des anticipations. Prendre le risque de voir les anticipations déraper revient à prendre celui d’une inflation durablement plus élevée mais aussi plus volatile : un phénomène peu propice à la croissance, d’une part, et à la population la plus modeste, d’autre part. Sans adhérer à la « domination monétaire », sans imaginer que la politique monétaire puisse seule assurer le pilotage, force est de constater qu’il serait actuellement périlleux pour BanRep de ne pas se montrer déterminée.

Article publié le 14 octobre 2022 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Colombie – Politique monétaire

Au-delà de la réaction épidermique des marchés (dont la Colombie ne peut malheureusement pas se passer pour le financement de son déficit public avec un recours important à la dette externe et une présence substantielle de non-résidents sur le marché domestique), le commentaire du président semble inapproprié pour, au moins, deux raisons. C'est une erreur politique doublée d'un diagnostic partiellement erroné.

Catherine LEBOUGRE, Economiste