Espagne – Les effet du plafonnement des prix du gaz
- 20.09.2022
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En résumé
La contribution de la composante énergétique à l'inflation générale (4,1 pp) s'est réduite en août (contre 4,5 pp en juillet), principalement en raison de la baisse des prix des carburants et des combustibles (- 7,1%). Cela répond à la modération du prix du baril de Brent, ainsi qu'à une réduction des marges de raffinage qui ont impacté fortement les prix de l'essence en juin et juillet. En revanche, les prix de l'électricité ont fortement augmenté (de 60,6% sur un an, de 11,2% par rapport à juillet), en raison de la forte augmentation du montant de la compensation versée aux centrales à cycle combiné dans le cadre du mécanisme de plafonnement des prix du gaz mis en place le 15 juin. Cette augmentation est due à la hausse des prix du gaz (le prix de référence ibérique MIBGAS a augmenté de 29,4% en août) et au poids important des cycles combinés dans le mix énergétique en raison des conditions climatiques sévères pendant l’été. Dans les mois à venir, les prix de l'énergie devraient enrayer cette tendance à la hausse : les effets du plafonnement du prix du gaz devraient gagner en intensité avec la modération de la production d'électricité à cycle combiné.
Le cas espagnol est particulièrement intéressant dans le contexte européen actuel. Il s’agit de la première expérience pratique de régulation du système de formation des prix de l’électricité en fonction du prix marginal depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Depuis son application le 15 juin, le plafonnement du prix du gaz a entraîné un changement important dans le fonctionnement du système électrique espagnol. La mesure a imposé un plafond de 40 €/MWh sur les coûts d'approvisionnement en gaz que les centrales électriques (principalement à cycle combiné) peuvent répercuter sur le prix auquel elles vendent l'énergie sur le marché de gros. Le plafond s'accompagne d'une compensation en faveur de ces centrales, qui couvre la différence entre le coût réel d'approvisionnement (le prix du gaz MIBGAS sert de référence) et le plafond imposé par le mécanisme. La mesure a été très efficace pour contenir le prix de gros de l'électricité (prix spot), en imposant un prix plus stable et modéré pour l'électricité vendue par les cycles combinés, qui est la technologie qui fixe habituellement le prix marginal du marché. Au cours des mois de juillet et août, le prix spot s'est établi régulièrement autour de 140 €/MWh, soit -22% par rapport à mai.
En revanche, l'impact du mécanisme sur le PVPC (prix réglementé pour les petits consommateurs) n'a pas pu enrayer complètement son escalade. La charge dans le PVPC résultant de la compensation des cycles dépend de deux facteurs : la quantité d'énergie générée par le cycle combiné et le prix du gaz. Au moment de l'entrée en vigueur de la mesure, les productions d'énergie éolienne et hydraulique ont considérablement diminué en raison des conditions météorologiques, ce qui a stimulé la production des centrales à cycle combiné. Par ailleurs, le prix du gaz MIBGAS (référence de la compensation) a commencé à progresser fortement à partir de mi-juin. Ces deux dynamiques ont persisté tout au long de l’été : en moyenne, en juillet et août, les cycles combinés ont représenté 29% de la production d'électricité (contre 11% en moyenne en mai) et le prix moyen du gaz était de 74% plus élevé qu'en mai. Cela a entraîné une augmentation significative de la compensation à verser aux centrales à cycle combiné et une augmentation du PVPC, alors que le prix spot de l’électricité baissait. Ainsi, au cours des mois de juillet et août, le PVPC était supérieur de 26% au tarif moyen de mai. Bien que le PVPC ait augmenté par rapport à la période précédant immédiatement le plafonnement du prix du gaz, cela a eu un effet appréciable sur la réduction de la corrélation entre le PVPC lui-même et le prix de référence du gaz : historiquement, l'évolution du PVPC était étroitement liée à celle du prix du gaz. Depuis l'introduction du plafonnement du prix du gaz, ses hausses et baisses de prix ont continué à se transmettre à la PVPC, mais dans une bien moindre mesure.
Le mécanisme parvient à contenir la hausse des prix de l'électricité, mais il produit également des externalités négatives qui poussent le marché ibérique à produire plus d'énergie à partir du gaz et de manière moins efficace. Premièrement, le mécanisme a expulsé du marché une bonne partie des centrales de cogénération. Ces centrales, plus performantes que les cycles combinés, produisent également de l'énergie à partir du gaz naturel, c'est pourquoi leurs coûts de production ont sensiblement augmenté. Cependant, jusqu'à la fin du mois d'août, elles avaient été exclues du système de compensation, de sorte que le prix spot payé par le marché, modéré par le plafond du prix du gaz, était trop bas pour que leur activité soit rentable. Ainsi, la production d'électricité par les centrales de cogénération en 2022 est passée de 15% du total avant l’introduction du mécanisme à seulement 9%. Deuxièmement, les exportations d'électricité vers la France affichent une progression très marquée. Le différentiel de prix d'un marché à l'autre a poussé les exportations vers la France au maximum de ce que l'interconnexion entre les deux pays le permet. Depuis le début du plafonnement du prix du gaz le 15 juin, les exportations nettes vers la France ont représenté 4% de l'énergie totale produite en Espagne, alors qu'entre le 1er janvier et le 14 juin, elles représentaient à peine 0,3%. De plus, cela suppose un transfert de revenus vers le système électrique français, puisque le prix d'achat de l'énergie est supporté par les consommateurs ibériques.
En conclusion, la mesure atteint son objectif : amortir la hausse des prix de l'électricité. Cependant, les externalités du système conduisent à produire plus d'énergie à partir de cycles combinés (qui utilisent le gaz), dans un contexte où les forces du marché poussent en sens inverse.
Article publié le 16 septembre 2022 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Le cas espagnol est particulièrement intéressant dans le contexte européen actuel. Il s'agit de la première expérience pratique de régulation du système de formation des prix de l'électricité en fonction du prix marginal depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Ticiano BRUNELLO, Economiste