Parole de banques centrales – BCE : du guidage des anticipations à la gestion du risque de crédibilité, quel signal au-delà du bruit ?
- 14.09.2022
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En résumé
La BCE a décidé d'augmenter ses trois taux d'intérêt directeurs de 75 points de base : les taux d'intérêt des opérations principales de refinancement, de la facilité de prêt marginal et de la facilité de dépôt sont donc relevés à respectivement 1,25%, 1,50% et 0,75%. Le taux de la facilité de dépôt ayant été porté à un niveau supérieur à zéro, le système à deux paliers pour la rémunération des excédents de réserve a été suspendu.
La BCE a donc anticipé la transition du niveau très accommodant des taux directeurs vers des niveaux qui, selon son souhait, devraient assurer au plus tôt un retour de l'inflation vers l'objectif de 2% à moyen terme. Elle a affirmé continuer à augmenter les taux d'intérêt au cours de ses prochaines réunions afin de freiner la demande et d'éviter le risque d'un glissement à la hausse persistant des anticipations d'inflation. Ses futures décisions relatives aux taux directeurs resteront dépendantes des données et continueront d'être prises réunion par réunion.
Depuis cet été, en effet, la BCE a abandonné sa politique de guidage des anticipations après avoir acté un changement de régime. Sa volonté de normalisation a été intégrée par les marchés par un déplacement vers le haut de la courbe des taux intervenu depuis décembre 2021. En quittant le guidage des anticipations, la BCE veut gagner en flexibilité dans le calibrage de sa fonction de réponse dans cette phase de forte incertitude. Cette fonction de réponse dépend du taux d'intérêt terminal (qui dépend du taux d'intérêt d'équilibre en absence de choc et du positionnement dans le cycle) et du parcours pour atteindre ce taux terminal. Ce parcours sera déterminé par la distance de ce taux terminal et par la vitesse de réduction de cette distance.
La BCE est très frileuse dans la révélation de ce taux terminal ainsi que de son estimation du taux d'équilibre. Pour l'instant, elle ne fait référence qu'à l'observation de ce que les marchés interprètent comme taux terminal : la courbe forward de l'OIS à 5 ans (en considérant le pic à chaque date). Pour la zone euro, ce signal situe le taux terminal à 2,5%. Ce signal est loin d'une estimation empirique et varie en fonction du cycle, de la politique monétaire, mais aussi de forces structurelles qui peuvent déplacer la valeur de long terme du taux d'équilibre. Ce sont ces forces qui ont fait tomber ce taux d'équilibre de 3% à moins de 0% au cours des trois dernières décennies. C'est la très forte incertitude sur l'orientation et l'ampleur de ces forces structurelles (démographie, mondialisation, déséquilibre épargne-investissement, digitalisation, transition énergétique) qui rendent très complexe sa projection dans cette phase de mutations, de volatilité et de fréquence accrue des chocs. C'est ainsi que la BCE se réserve, réunion par réunion, de définir son évaluation du taux terminal ainsi que la vitesse de convergence vers celui-ci.
C'est sur l'accélération de cette vitesse que la BCE a surpris récemment en revisitant son arbitrage entre stabilisation de l'inflation et stabilisation de l'activité en faveur de la première. Elle a affirmé que la prudence n'est plus de mise. Les considérations, selon lesquelles la politique monétaire n'est pas le bon remède en cas de choc d'offre, ne sont plus prioritaires. La détermination est sa nouvelle devise. Elle souhaite minimiser le risque d'un résultat futur très négatif sur l'inflation, car elle estime que le coût de sous-estimer la persistance de l'inflation est désormais supérieur au coût de la surestimer. Et ceci pour trois raisons. D'abord, parce que l'incertitude sur la persistance de l'inflation est très élevée. Ensuite, parce que cette persistance menace la crédibilité de la BCE. Enfin, parce que les coûts d'une action tardive sont potentiellement très élevés. En effet, la sensibilité de l'activité à la politique monétaire s'est réduite au cours des années et le taux de sacrifice pour stabiliser l'inflation a augmenté.
C'est à la lumière de ces considérations que nous avons révisé nos prévisions de taux directeur en projetant une remontée de 75pb en octobre, suivie d'une hausse de 50pb en décembre et que nous avons anticipé au mois de février la hausse suivante de 25pb. Ces actions conduisent à un taux de refinancement légèrement supérieur au taux terminal révélé par les marchés aujourd'hui.
Ainsi, la stratégie d'une normalisation prudente à un rythme constant permettant une correction moins coûteuse en cas d'erreur immédiate n'est plus la stratégie préférée. La volonté de courber la demande pour éteindre certains des moteurs qui alimentent l'inflation prend un risque délibéré sur la croissance.
Le maintien de la flexibilité dans le réinvestissement des remboursements des titres arrivant à échéance, détenus dans le portefeuille du programme d'achats d'urgence (PEPP), reste comme une assurance que tout affaiblissement asymétrique de la croissance ne se traduise pas par de la fragmentation dans la transmission de la politique monétaire alimentant l'instabilité financière.

La BCE a décidé d'augmenter ses trois taux d'intérêt directeurs de 75 points de base. La prudence n'est plus de mise. Les considérations, selon lesquelles la politique monétaire n'est pas le bon remède en cas de choc d'offre, ne sont plus prioritaires. La détermination est la nouvelle devise de la BCE. Elle souhaite minimiser le risque d'un résultat futur très négatif sur l'inflation.
Paola MONPERRUS-VERONI, Economiste