Un perpétuel recommencement

Un perpétuel recommencement

En résumé

Nous vivons une période de profondes transformations avec un monde en pleine recomposition géopolitique, percuté par la révolution technologique du numérique et, demain, celle de l’intelligence artificielle et qui, face à la dérive climatique, entame à marche forcée sa transition vers une économie bas carbone. Les chocs successifs, de la pandémie de Covid à la guerre en Ukraine, ont par ailleurs obscurci l’horizon, avec l’impression de naviguer en plein brouillard. Nous avons déjà traversé dans l’histoire récente des périodes anxiogènes de tensions, voire de rupture, qui ont ébranlé les équilibres géopolitiques, comme au temps de la guerre froide, ou économiques, suite aux chocs pétroliers.

La géopolitique mondiale se structure aujourd’hui autour de la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis. Le bras de fer entre ces deux grandes puissances, qui se disputent le leadership mondial, se mue progressivement en un conflit multiforme – diplomatique, commercial, technologique et idéologique – au point de craindre que ce face-à-face ne dégénère en une véritable guerre avec des points chauds que sont Taïwan ou la mer de Chine méridionale. Cet affrontement hégémonique est parfois taxé de « nouvelle guerre froide » à l’instar du rapport de force entre les deux superpuissances d’après-guerre, les États-Unis et l’Union soviétique, qui a structuré les relations internationales à partir de 1945. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le monde se divise en deux camps avec, d’un côté, le bloc communiste emmené par l'Union soviétique et de l’autre, le camp occidental autour des États-Unis qui défend un système libéral, démocratique et capitaliste. Ces deux grandes puissances se lancent alors dans une course aux armements afin de démontrer leur supériorité technologique et se livrent également à des guerres par procuration, en Corée ou au Vietnam, avec un affrontement idéologique par alliés interposés. Seule la dissuasion nucléaire, avec un « équilibre de la terreur », empêche un conflit militaire direct et installe un équilibre géopolitique instable où alternent des périodes de tensions et de détente jusqu’à la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc de l’Est au tournant des années 90. L’affrontement hégémonique entre la Chine et les États-Unis a certes un parfum de guerre froide mais, dans un monde globalisé et interconnecté qui profite aux deux camps, c’est moins par l’usage de la force que par la force de l’influence que ces adversaires projettent leurs volontés de puissance, loin du choc frontal de la première guerre froide.

Sur le front économique, la période d’après-guerre, dite des Trente Glorieuses, est marquée par une expansion économique sans précédent avec le passage d’une économie de guerre à une économie de paix, et de la rareté à l’abondance. Les innovations se démocratisent, les emplois sont abondants et l’organisation scientifique du travail (OST) – connue sous le nom de « taylorisme » – permet d’importants gains de productivité, redistribués sous forme de hausses de salaires et de pouvoir d’achat. On assiste à une massification de la production et à la naissance de la société de consommation, le tout accompagné d’un rattrapage économique accéléré. Ce modèle s’essouffle dès la fin des années 60 avec une baisse de la productivité, des profits et de l’investissement sur fond de saturation de la consommation de biens durables.

Mais, la vraie rupture intervient en octobre 1973. Après le déclenchement de la Guerre du Kippour, les pays pétroliers décident, en représailles contre les alliés d’Israël, un embargo sur le pétrole dont les prix passent de 3 à 12 dollars en quelques mois. La crise pétrolière s’aggrave suite à la révolution iranienne de 1979 avec un nouveau doublement du prix de l’or noir. Le pétrole représentant à l’époque plus de 45% du mix énergétique mondial, les coûts de production et les prix flambent, la production industrielle chute, les faillites se multiplient et le chômage explose. On entre dans un régime dit stagflationniste où coexistent une inflation élevée et une stagnation économique. L’échec des politiques keynésiennes de relance ouvre alors la voie à la doctrine monétariste qui préconise d’assécher la masse monétaire pour venir à bout de l’inflation. Paul Volcker, qui prend la tête de la Réserve fédérale américaine en 1979, érige la lutte contre l’inflation au rang des priorités et augmente fortement les taux d’intérêt, faisant plonger l’économie américaine en récession.

Cette poussée inflationniste sur fond de crise pétrolière n’est pas sans ressemblance avec la période actuelle marquée par deux chocs exogènes, Covid puis guerre en Ukraine, qui ont également provoqué une flambée des prix, notamment de l’énergie et de l’alimentaire. Ce retour en force de l’inflation marque une vraie rupture alors que le monde s’était accoutumé à une sorte de « Nouvelle Normalité » avec un régime de croissance molle, d’inflation faible et de taux d’intérêt bas. D’ailleurs, les banques centrales, habituées à ce régime d’inflation basse et stable où tout choc peut faire basculer l’économie en déflation, ont réagi avec retard avant de mener tambour battant un cycle de resserrement monétaire vigoureux pour faire disparaître l’empreinte inflationniste. Si le passé éclaire l’avenir, la bataille contre l’inflation devrait alors être gagnée au prix si besoin d’une récession, de quoi nous ramener au monde d’avant ou presque… Car, comme le dit l’historien grec, Thucydide, « l’histoire est un perpétuel recommencement » avec des crises et des ruptures qui sont sources d’angoisse mais aussi d’ouverture vers un nouveau monde des possibles.

Un perpétuel recommencement

La géopolitique mondiale se structure aujourd’hui autour de la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis. Le bras de fer entre ces deux grandes puissances, qui se disputent le leadership mondial, se mue progressivement en un conflit multiforme – diplomatique, commercial, technologique et idéologique – au point de craindre que ce face-à-face ne dégénère en une véritable guerre.

Isabelle JOB-BAZILLE, Directrice des Etudes Economiques Groupe