Royaume-Uni – Les chiffres d'inflation créent la surprise

Royaume-Uni – Les chiffres d'inflation créent la surprise

En résumé

Les chiffres d'inflation du mois d'avril, publiés mercredi 24 mai, devaient apporter un soulagement outre-Manche et ancrer les anticipations de taux directeur sur un pic en juin. Une nette baisse de l'inflation était anticipée en raison de la sortie du calcul du glissement annuel de la hausse substantielle des prix du gaz et d'électricité en avril 2022 (+54% en moyenne). Grâce à ces effets de base, le taux d'inflation CPI devait passer de 10,1% en mars à 8,4% en avril, selon la prévision de la BoE, et à 8,2% selon le consensus (8,1% pour nous). Les anticipations de taux devaient continuer de tabler sur un ultime relèvement du Bank rate en juin de 25 points de base (à 4,75%).

L'inflation a fortement déçu. Le taux de variation annuel de l'indice des prix à la consommation (CPI) s'est établi à 8,7%, avec un rebond des prix de 1,2% sur le mois. La surprise est venue surtout de l'inflation sous-jacente qui, au lieu de se stabiliser à 6,2%, a accéléré à 6,8%, ce qui représente un record depuis mars 1992. L'indice CPI hors énergie, alimentaire, alcool et tabac enregistre une hausse de 1,3% sur le mois. Il s'agit d'un plus haut depuis le début de la série en 1996. Le taux d'inflation des biens a diminué, passant de 12,8% à 10% (dû à la baisse des prix de l'énergie), tandis que celui des services est passé de 6,6% à 6,9%.  

Un choc pour la BoE et pour les marchés ! Les anticipations de taux des marchés se sont envolées avec des taux swap pointant vers un taux directeur à 5,4% en décembre (contre 4,8% la semaine dernière). Les taux de la dette d'État (gilts) ont grimpé vers des niveaux comparables à ceux de septembre l'année dernière, lorsque l'éphémère Première ministre, Liz Truss, a provoqué la défiance des investisseurs avec son « mini-budget » et qu'une crise de solvabilité a menacé alors les fonds de pension. Le taux dix ans sur la dette d'État a atteint 4,2% le 24 mai, et a continué de monter le 25 mai à 4,4%, contre un pic à 4,5% au moment du « mini-budget ». Le gouverneur de la BoE Andrew Bailey a avoué mardi qu'il y avait « de très grandes leçons à tirer » après les erreurs de prévision d'inflation de son institution.  

Les prix des services au logement (« housing services »), dont la hausse est passée de 26,2% à 12,3%, sont la composante qui a contribué le plus à la baisse du taux d'inflation totale, grâce aux effets de base sur les tarifs de gaz et d'électricité (une légère baisse en avril 2023 contre une forte hausse en avril 2022). Cette composante a ainsi contribué pour -1,72 point de pourcentage (pp) à la baisse du taux d'inflation totale entre mars et avril. Les prix dans les hôtels, cafés et restaurants (pour -0,12 pp) et les équipements ménagers (pour -0,05 pp) ont également apporté une contribution négative à l'évolution des prix, mais de beaucoup plus faible ampleur.

Ces contributions négatives ont été partiellement compensées par des contributions positives venant des composantes « culture et les loisirs » (+0,21 pp), « boissons alcoolisées et tabac » (+0,16 pp), « transport » et « communication » (+0,10 pp chacun). Des facteurs temporaires ont joué dans certains cas (hausse de la taxe sur le tabac, palmarès des best-sellers dans la culture, hausse des tarifs de téléphone et d'internet, etc.).
- Les prix des biens et services dans la culture et les loisirs ont accéléré, passant de 4,6% en variation sur un an en mars à 6,3% en avril, avec des contributions positives de la part de quasiment toutes les sous-composantes. Parmi les plus fortes hausses des prix sur un an, on peut noter celle du prix des livres (de 4,6% en mars à 18% en avril sur un an) ou encore des voyages organisés, qui ont encore accéléré, progressant de 12,7% (contre 11,9% en mars). 
- Le taux d'inflation des boissons alcoolisées et tabac a augmenté à 9,1% après 5,3% en mars. La plus forte contribution à cette hausse vient du tabac, dont le taux d'inflation a atteint 11% (contre 4,7% en mars) et s'explique par une hausse de la taxation.
- Dans le transport, le taux d'inflation rebondit de 0,8% à 1,5%, mettant fin à une baisse continue depuis juillet dernier. C'est dû à une reprise des prix des voitures d'occasion (à +1,2% contre -4,5% en mars) tandis que le prix des carburants accélère sa chute (à -8,9% contre -5,9% en mars).
- Enfin, dans la communication, le taux d'inflation a plus que doublé en avril (à +7,9% contre +3,7% en mars) en raison de hausses des prix des services de télécommunication (+7,9% sur un an) et des services postaux (+5,7%).

Au total, la contribution des prix de l'énergie au taux d'inflation CPI a chuté fortement, passant de 2,9 pp à 1 pp, mais cette baisse est partiellement compensée par des hausses des contributions de presque tout le reste.

C'est notamment le cas des prix de l'alimentation, de l'alcool et du tabac. Leur contribution au taux d'inflation atteint 2,5 pp (2,4 pp en mars). L'inflation des prix des produits alimentaires seuls recule légèrement en avril (à 19% après 19,1% en mars) mais celle des boissons alcoolisées et du tabac a accéléré comme expliqué plus haut. Les biens industriels hors énergie (dont le taux d'inflation monte à 6,6% après 5,7% en mars), voient également leur contribution rebondir à 2,1 pp après 1,8 pp en mars.    

 

Notre opinion – Nous continuons d'anticiper une forte baisse du taux d'inflation dans les prochains mois. L'inflation CPI chuterait à environ 4,5% au dernier trimestre 2023 et à 5% pour le sous-jacent (contre 3,9% et 4,3% anticipés en avril), des prévisions qui restent assorties de risques haussiers.
Ces risques sont liés aux tensions sur le marché du travail, elles-mêmes dues principalement à un taux de participation très bas. Celui-là s'est inscrit en hausse de 0,6 point à 63,6% entre le T3-2022 et le T1-2023, mais demeure encore bien en deçà de son niveau de pré-Covid (64,4).
Même si le pic des tensions sur le marché du travail semble derrière nous, elles persistent et favorisent les hausses des salaires. À 6,7% au premier trimestre (7,1% dans le privé), la croissance des salaires n'est pas compatible avec la cible d'inflation de la BoE. Une boucle prix-salaires s'est installée et, selon la BoE, elle mettra plus longtemps à disparaître qu'elle n'a mis à se mettre en place.

La BoE compte en partie sur la baisse de l'inflation pour voir reculer dans son sillage les anticipations d'inflation. Mais voilà que les données récentes défient une fois de plus les prévisions, ne permettant pas à la BoE de baisser sa garde. Sa forward guidance, réitérée en mai dernier, conditionne toute hausse de taux future à l'apparition de preuves que les pressions inflationnistes persistent. La BoE avait dit qu'elle prêterait une attention particulière à l'évolution du marché du travail, à la croissance des salaires et à l'inflation dans les services. Les données récentes fournissent de telles preuves en abondance.

Une inflation qui ne baisse que trop lentement devrait continuer de soutenir les anticipations d'inflation des ménages et augmente la pression sur la BoE pour poursuivre son resserrement monétaire. Un resserrement du taux directeur jusqu'à au moins 5% moyennant deux hausses de 25 points de base semble à présent très probable.

Article publié le 26 mai 2023 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

 

Royaume-Uni – Les chiffres d'inflation créent la surprise

Nous continuons d'anticiper une forte baisse du taux d'inflation dans les prochains mois. L'inflation CPI chuterait à environ 4,5% au dernier trimestre 2023 et à 5% pour le sous-jacent (contre 3,9% et 4,3% anticipés en avril), des prévisions qui restent assorties de risques haussiers. Ces risques sont liés aux tensions sur le marché du travail, elles-mêmes dues principalement à un taux de participation très bas. Celui-là s'est inscrit en hausse de 0,6 point à 63,6% entre le T3-2022 et le T1-2023, mais demeure encore bien en deçà de son niveau de pré-Covid (64,4). Même si le pic des tensions sur le marché du travail semble derrière nous, elles persistent et favorisent les hausses des salaires. À 6,7% au premier trimestre (7,1% dans le privé), la croissance des salaires n'est pas compatible avec la cible d'inflation de la BoE. Une boucle prix-salaires s'est installée et, selon la BoE, elle mettra plus longtemps à disparaître qu'elle n'a mis à se mettre en place.

Slavena NAZAROVA, Economiste - Royaume-Uni, Pays scandinaves et Irlande