Amérique latine – Relativiser (même un peu) les effets des resserrements monétaires
- 16.03.2023
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En résumé
La décélération de la croissance est désormais patente ; bien plus que ne l’est celle de l’inflation, à l’exception notable du Brésil. Après une croissance extrêmement soutenue en 2021 portée par le rebond post-Covid, le fléchissement s’est, globalement, manifesté à partir de l’été 2022. La fin d’année est clairement venue le confirmer et la décélération est puissante. Au dernier trimestre, en glissement annuel, les taux de croissance s’étagent de -1,3% au Chili, où la normalisation succède à un rattrapage promu par une demande intérieure très stimulée, à 3,7% au Mexique, en sympathie avec la résistance américaine après une remise à niveau laborieuse. Sur l’année 2022, la croissance s’établit ainsi autour de 3% dans chacun des pays à l’exception de la Colombie qui "surperforme". Les acquis de croissance laissés à 2023 sont confortables hormis au Brésil et au Mexique, où ils sont cependant très légèrement positifs. La croissance se sera donc révélée bien plus résistante qu’anticipé en dépit d’une inflation forte justifiant des resserrements monétaires violents : entre le creux atteint lors de la contre-offensive liée au Covid et le niveau actuel, les hausses de taux directeurs s’échelonnent de 750 points de base (pb) au Mexique à 1 100 pb au Brésil.
In fine, les soutiens apportés par la résistance de la croissance mondiale, des prix des matières premières encore bien orientés, la bonne tenue du marché du travail, les mesures (inégales) de soutien à la consommation (qu’il s’agisse de soutiens au revenu et/ou au pouvoir d’achat) ont "éclipsé" l’impact des resserrements monétaires. Si ceux-ci sont justifiés en ce qu’ils contribuent à ancrer les anticipations d’inflation, à asseoir la crédibilité des banques centrales et à soutenir les devises (tant que les investisseurs parviennent à « calibrer » le risque), leur capacité à infléchir rapidement la demande et, tout particulièrement la consommation, s’est révélée peu probante.
D’une part, l’accélération de l’inflation provient d’un choc d’offre en amont éventuellement amplifié par un excès de demande (Chili et Colombie notamment). D’autre part, les taux réels sont encore légèrement négatifs sauf au Brésil (depuis mi-2022) et au Mexique (depuis novembre). Mais, et surtout, les effets des resserrements monétaires se diffusent d’autant plus lentement que l’informalité et la bancarisation sont, respectivement, élevée et faible. Or, bien que les ratios crédits domestiques/PIB (données 2021) soient variés au sein de la région, puisqu’ils atteignent seulement 38% au Mexique mais 70% au Brésil, ils demeurent relativement faibles (à l’exception du Chili à près de 125%). Au regard des « standards » des pays à haut revenu, les indicateurs d’inclusion financière1 des ménages (détention d’un compte bancaire, usage de ce compte, épargne et emprunt auprès d’une institution financière, etc.) signalent un retard important en dépit des progrès récents, notamment favorisés par la pandémie de Covid et ce "grâce à plusieurs mécanismes, y compris les paiements d’aide d’urgence que les gouvernements effectuaient dans les comptes ". Par ailleurs, une partie importante des salariés est encore rémunérée en espèces, ce qui limite, par définition, le recours à un compte bancaire.
Si l’efficacité de la politique monétaire à calmer rapidement la demande domestique peut être discutée, sa capacité à promouvoir les entrées de capital au titre des investissements de portefeuille est confirmée par les derniers chiffres livrés par l’IIF2. En février, ces flux ont atteint 22,9 milliards de dollars, majoritairement sous forme d’obligations (17,9 Mds USD, contre 4,9 Mds USD pour les actions). La première région bénéficiaire est l’Asie, suivie de l’Amérique latine. Le différentiel de rendement offre donc une certaine protection plus qu’une protection certaine : la Colombie en fournit une illustration. Sa dépendance à l’égard du reste du monde (dette externe et présence des non-résidents sur le marché local) est élevée ; les nouveaux axes de politique économique sont encore en cours d’élaboration, mais déjà craints par les marchés. Alors que les spreads sur la dette externe et le peso étaient déjà sous pression, la Colombie vient de faire l’expérience d’une réduction brutale de l’exposition des non-résidents (cession de 873 millions de dollars en février de titres de dette publique locale, la plus forte jamais enregistrée).
1 Source : Base de données Global Findex 2021, « Inclusion financière, paiements numériques et résilience à l’ère du Covid-19 », Banque mondiale, 2022
2 Source : Capital Flows Tracker, mars 2023
Article publié le 10 mars 2023 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Les soutiens apportés par la résistance de la croissance mondiale, des prix des matières premières encore bien orientés, la bonne tenue du marché du travail, les mesures (inégales) de soutien à la consommation ont "éclipsé" l’impact des resserrements monétaires. Si ceux-ci sont justifiés en ce qu’ils contribuent à ancrer les anticipations d’inflation, à asseoir la crédibilité des banques centrales et à soutenir les devises, leur capacité à infléchir rapidement la demande et, tout particulièrement, la consommation, s’est révélée peu probante.
Catherine LEBOUGRE, Economiste