UE – Application des règles budgétaires : un exercice d'équilibriste de la Commission avec des conséquences immédiates
- 14.03.2023
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En résumé
La Commission européenne a fourni des orientations quant à l’application de la supervision budgétaire en 2023 et 2024 dans l’attente d’un accord législatif sur la réforme de la gouvernance. Elle préconise une plus forte responsabilisation des pays dans le contrôle des dépenses courantes et une triple préconisation : il s’agit de réduire mais aussi de cibler rapidement les mesures de soutien liées à la hausse des coûts de l’énergie et d’éviter tout soutien injustifié de la demande pouvant entraver la transmission de la politique monétaire.
La crise du Covid et l’effort budgétaire nécessaire pour faire face à ses conséquences économiques ont conduit à l’activation de la clause de sauvegarde du Pacte de stabilité et de croissance, c’est-à-dire la suspension temporaire de ce cadre, d’abord jusqu’à la fin 2022, puis jusqu’à la fin 2023. Entre temps, une vaste concertation sur la réforme de la gouvernance économique européenne avait été lancée en février 2020. Elle a fait l’objet d’une première proposition d’orientation par la Commission européenne en novembre 2022 en ce qui concerne la supervision des finances publiques. La situation des finances publiques après la pandémie a mis en évidence que l’application telle quelle des règles existantes devenait impossible, compte tenu des niveaux d’endettement très élevés dans un nombre de plus en plus important de pays.
Cette proposition de réforme a été discutée au sein du Conseil ECOFIN et avec le Parlement européen, mais la proposition législative ne sera présentée qu’au prochain Conseil ECOFIN de mars 2023. À ce jour, si un consensus existe sur certains points de la proposition, la discussion sur la mise en œuvre concrète de tous les aspects de cette nouvelle gouvernance est encore en cours. De plus, le calendrier du semestre européen oblige les États à fixer leurs objectifs budgétaires à moyen terme dès le mois d’avril 2023, sans avoir connaissance du cadre de gouvernance définitif qui s’appliquera à partir de 2024.
Avec ces orientations, la Commission tente de combler ce vide et d’apporter aux États davantage de certitude en précisant les éléments sur lesquels un consensus a été exprimé au sein du Conseil. Elle renvoie à des orientations plus détaillées en mai 2023, après la discussion de la proposition législative.
Les valeurs de référence de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette publique, fixées par le traité et confirmées par la proposition de réforme de la Commission font l’objet de ce consensus et seront appliquées dès 2024 sur la base des réalisations budgétaires de l’année 2023. Les orientations fournies par la Commission précisent que le déficit ne doit pas excéder 3% ou doit être ramené en deçà de cette valeur au cours de la période couverte par les programmes de stabilité (quatre ans). Le ratio dette/PIB doit s’inscrire sur une trajectoire baissière ou rester à un niveau prudent, avec des trajectoires différenciées selon la situation des pays. La règle de réduction automatique de la dette (dite du 1/20e) ne s’appliquerait donc plus.
Selon la proposition de réforme de la Commission[1], ces trajectoires devaient être rendues opérationnelles par un indicateur unique, à savoir la trajectoire de dépenses primaires nettes (donc hors dépenses d'intérêts et dépenses conjoncturelles liées au chômage mais déduction faite des mesures de recettes discrétionnaires) servant de base à la surveillance budgétaire annuelle. Une trajectoire d'ajustement pluriannuelle en termes de dépenses nettes sur quatre ans devait être présentée par les États. Il est essentiel de remarquer que l’indicateur suivi avant la réforme était le taux de croissance des dépenses courantes nettes, qui permettait d’exclure l’investissement public.
Dans ses orientations, la Commission insiste en revanche sur le fait que c’est la totalité des dépenses (hors charges d’intérêts) qui est supervisée et qui doit être cohérente avec la stratégie de réduction de la dette. Pour éviter que les dépenses d’investissement ne soient la variable d’ajustement et pour "protéger l’investissement public", la Commission demande aux pays de quantifier les objectifs de dépenses courantes et de dépenses nationales d’investissement, ainsi que des dépenses liées à l’utilisation des fonds du NGEU. Ainsi, elle s’octroie un contrôle strict sur la dépense d’investissement et force les pays à réaliser les ajustements nécessaires sur les dépenses courantes. La Commission va également fournir des orientations qualitatives sur les dépenses liées aux mesures de soutien contre la hausse des prix de l’énergie, en demandant leur suppression progressive, si la situation actuelle des prix de l’énergie se maintient ou un meilleur ciblage en cas de nouvelles tensions.
Les pays seront donc obligés de réviser à la baisse la portée de leurs mesures de soutien liées à l’énergie dans les programmes de stabilité qui seront présentés en avril 2023. De même, lier les trajectoires de réduction des dettes à la trajectoire des dépenses totales (hors intérêts) tout en contraignant les États à s’engager sur leurs dépenses d’investissement exige un contrôle plus strict des dépenses courantes que dans le cadre de gouvernance précédent.
Ces orientations permettent donc une lecture claire de la philosophie de la nouvelle gouvernance : des règles moins automatiques, mais une pression accrue sur les pays pour arbitrer sur la réduction des différentes dépenses courantes.
Article publié le 10 mars 2023 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine
[1] Pour plus d’information, consulter notre publication Avenir de l'Europe – Réforme du Pacte de stabilité et de croissance : la Commission capitalise sur l'expérience du NGEU et veut manier plus efficacement le bâton et la carotte – 14 novembre 2022

Dans ses orientations, la Commission insiste sur le fait que c'est la totalité des dépenses (hors charges d'intérêts) qui est supervisée et qui doit être cohérente avec la stratégie de réduction de la dette. Pour éviter que les dépenses d'investissement ne soient la variable d'ajustement et pour "protéger l'investissement public", la Commission demande aux pays de quantifier les objectifs de dépenses courantes et de dépenses nationales d'investissement, ainsi que des dépenses liées à l'utilisation des fonds du NGEU. Ainsi, elle s'octroie un contrôle strict sur la dépense d'investissement et force les pays à réaliser les ajustements nécessaires sur les dépenses courantes.
Paola MONPERRUS-VERONI, Economiste