Hongrie – Le blocage de l'économie se prolonge

Hongrie – Le blocage de l'économie se prolonge

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Dans son rapport sur l'inflation de juin, la Banque centrale hongroise abaisse drastiquement sa prévision de croissance pour 2025. En mars, l'institution anticipait une croissance du PIB hongrois de 2,4% (1,9% – 2,9%) pour 2025. Au regard de la contraction du PIB au T1 (-0,2% en g.t.) et des indicateurs conjoncturels peu favorables, cette prévision a été ramenée à 0,8%. Le PIB hongrois avait enregistré une croissance de -0,8% en 2023 et de 0,5% en 2024.

La Banque centrale suit ainsi le mouvement des autres prévisionnistes qui n'ont cessé de raboter leurs anticipations. Entre janvier 2024 et mai 2025, la prévision médiane1 est passée de 3,3% à 1,3%. C'est l'une des pires contreperformances de la région et le signe que la Hongrie a manqué son redémarrage. Si les prévisions du consensus se réalisent, alors l'économie hongroise aura crû au rythme annuel moyen de seulement 1,3% depuis la Covid, loin de la cible de moyen terme du gouvernement, fixée entre 3% et 6% (la croissance potentielle est estimée à 3% par le FMI).

De fait, l'équation « stagflationniste » n'est pas simple à résoudre. La hausse des prix est toujours rapide en Hongrie : en mai, l'inflation annuelle était de 4,5%, le 3e pire résultat de l'Union européenne. Cette persistance de l'inflation a forcé la Banque centrale à suspendre son cycle d'assouplissement monétaire en septembre dernier. Au plus tôt, celui-ci devrait progressivement reprendre au T3 2025. La fragilité du Forint y est également pour quelque chose : les vulnérabilités externes de la Hongrie, notamment son exposition au marché américain, en font une monnaie réactive à l'actualité géopolitique, ce qui force la Banque centrale à encore plus de prudence.

C'est par conséquent du côté de l'investissement que l'économie hongroise souffre le plus. Si la consommation des ménages semble résiliente (en partie grâce à des salaires réels en hausse et un abaissement de la fiscalité), l'investissement s'enfonce dans un marasme prolongé : la formation brute de capitale fixe s'est contractée sur 9 des 10 derniers trimestres en g.t., et cela pèse bien entendu sur la croissance potentielle. Le décalage s'observe également sur le marché du crédit, où les crédits aux ménages ont retrouvé un certain dynamisme tandis que ceux aux entreprises peinent à redémarrer. Enfin, contrairement aux autres pays de la zone, la Hongrie ne peut pas compter sur la manne financière européenne.

En raison du gel des fonds européens et de son endettement déjà élevé, Budapest fait face à un coût de financement particulièrement conséquent : les intérêts sur la dette publique s'élevaient à 4% du PIB en 2024. En 2025, Budapest peine à atteindre ses propres objectifs budgétaires (le gouvernement anticipe un déficit à 3,7% du PIB alors qu'il était de 4,7% en 2024), notamment en raison de mesures fiscales destinées à soutenir les familles. D'autres mesures similaires pourraient être adoptées par le gouvernement d'ici les élections législatives de 2026 au vu de la compétition électorale qui s'annonce. L'espace budgétaire disponible pour l'investissement public reste donc très contraint par le coût de financement auquel a accès le gouvernement hongrois et ses priorités de court terme favorisant le soutien au pouvoir d'achat des ménages.  

Les espoirs de relance reposent donc sur la consommation intérieure mais également sur les IDE chinois. Certes, moins de grandes annonces d'investissements chinois en Hongrie ont été faites en 2025, néanmoins, de nombreux projets annoncés les années précédentes devraient être réalisés, voire aboutir en 2025 et 2026. En dépassant les 900 MUSD, le T1 2025 est celui qui enregistre le second plus haut niveau historique quant à la réalisation d'IDE chinois en Hongrie selon le Rhodium groupe, qui suit les investissements chinois à travers le monde2. L'ouverture de nouvelles usines de batteries et de voitures électriques apportera un soutien aux exportations hongroises qui font face à une demande européenne en berne.

Cette situation, faible croissance et inflation élevée, pèse sur le niveau de vie des Hongrois. La semaine précédant la publication du rapport sur l'inflation de la Banque centrale hongroise, un autre rapport avait fait parler de lui : celui de l'office européen de la statistique, Eurostat, concernant le niveau de bien-être matériel des ménages européens. Celui-ci plaçait pour la première fois la Hongrie à la dernière place au sein de l'Union européenne en ce qui concerne la consommation individuelle réelle en parité de pouvoir d'achat. Cette mesure vise à comparer ce que les ménages consomment effectivement d'un pays à l'autre. Cet indicateur, plus raffiné que le PIB par habitant pour mesurer le niveau de vie des individus, raconte l'histoire d'une Hongrie qui s'est fait dépasser : 20 ans plus tôt, à son entrée dans l'UE, un Hongrois avait un niveau de consommation réel supérieur à ceux observés dans toutes les autres économies en transition désormais membre de l'UE, à l'exception de la Tchéquie et de la Slovénie.

Notre opinion

Cette situation crée un important degré d'incertitude pour la Hongrie.

En soi, ces mauvaises performances réduisent la confiance dans l'économie hongroise. L'agence de notation S&P a, en avril 2025, adjoint la notation souveraine du pays d'une perspective négative qui pourrait faire perdre au gouvernement hongrois son statut d'émetteur « investment grade ». Une telle dégradation de la note souveraine pourrait encore compliquer la tâche de la Banque centrale, en pesant sur le Forint, et renchérir le financement du gouvernement.

L'incertitude est aussi, et en grande partie, politique. Pour la première fois V. Orban fait face à un candidat d'opposition, P. Magyar, qui pourrait porter son parti, Tisza, à la victoire lors des prochaines élections législatives (2026). Le Premier ministre n'ignore pas que la prospérité économique est au cœur de la préoccupation de ses électeurs. Selon l'Eurobaromètre, les Hongrois se distinguent en étant plus préoccupés que la moyenne des citoyens européens par la question du coût de la vie (48% contre 31% font de ce thème l'un de leurs deux principaux sujets de préoccupation), de la situation économique de leur pays (28% contre 20%). À l'inverse, les sujets pourtant traditionnellement associés aux discours populistes de V. Orban sont plus délaissés par les Hongrois : 5% des Hongrois font de l'immigration un de leurs deux principaux sujets de préoccupation contre 14% en Europe. Au sujet de la situation internationale, le résultat est de 8% pour les Hongrois, contre 14% en moyenne en Europe. Dans les faits, le discours officiel de Budapest sur son positionnement géopolitique (sur la Chine ou la guerre en Ukraine par exemple) est en grande majorité justifié par des motivations économiques, avec la question de la compétitivité et de la stabilité comme nécessité pour le développement au cœur de cette rhétorique.

Alors, face à un blocage de son économie, les choix de politique économique que fera V. Orban à l'approche des élections créent d'importantes incertitudes. Celles-ci sont renforcées par l'historique de politiques hétérodoxes du gouvernement Orban. Si la politique monétaire semble ancrée dans sa mission de lutte contre l'inflation, des dérapages budgétaires (ou règlementaires) sont à craindre.

Une possible défaite électorale de V. Orban serait par ailleurs un élément de rupture pour la Hongrie, d'autant qu'elle pourrait aboutir au déblocage des fonds européens. Elle serait également un point politique très important sur la carte politique de toute l'Europe, au regard du rôle que joue (et veut jouer) Orban dans la lutte entre les partis illibéraux et les partis plus traditionnels. C'est littéralement une autre proposition politique de l'Europe que porte le Hongrois, par ailleurs tête de pont de l'influence de Trump en Europe.

Article publié le 30 juin 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

1 Établie par Consensus Economics
2 Hungary | China Cross-Border Monitor 

Hongrie – Le blocage de l'économie se prolonge

En soi, ces mauvaises performances réduisent la confiance dans l'économie hongroise. L'agence de notation S&P a, en avril 2025, adjoint la notation souveraine du pays d'une perspective négative qui pourrait faire perdre au gouvernement hongrois son statut d'émetteur « investment grade ». Une telle dégradation de la note souveraine pourrait encore compliquer la tâche de la Banque centrale, en pesant sur le Forint, et renchérir le financement du gouvernement.

Nathan QUENTRIC, Economiste - PECO et Asie centrale