Mexique – Les limites de la stratégie de consolidation budgétaire

Mexique – Les limites de la stratégie de consolidation budgétaire

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Après le dérapage des dépenses publiques de 2024, le budget 2025, premier de l’ère Sheinbaum (à la présidence depuis octobre 2024), avait été jugé "raisonnable"1. Bien que les résultats aient pu décevoir les attentes, ce budget a, globalement, atteint ses objectifs en termes de réduction du déficit et d’apaisement des marchés.

Cette consolidation s’est révélée coûteuse pour une économie en ralentissement, déjà confrontée à une incertitude commerciale pesant lourdement sur l’investissement. En reportant encore d’un an la réforme fiscale, pourtant indispensable, le gouvernement reconduit en 2026 sa stratégie d’ajustement progressif. Si elle se révèle assez rassurante pour les marchés, cette constance budgétaire risque de continuer à peser sur la dynamique économique sans offrir de solution pérenne. 

Cap inchangé : priorité sociale et investissements ciblés

Pour 2025, le gouvernement mexicain table désormais sur un excédent primaire mineur (0,2% du PIB), contre 0,6% initialement. Malgré des recettes fiscales satisfaisantes (supérieures de 0,2 point de pourcentage – pp – à la prévision, grâce à une consommation intérieure solide), cette baisse s’explique par la faiblesse persistante des revenus pétroliers, inférieurs de 0,5% du PIB aux prévisions. Le besoin de financement du secteur public(BFSP) atteindrait 4,3% du PIB, contre 3,9% anticipés. Ce « micro-dérapage » n’efface pas les progrès réalisés depuis 2024, lorsque le déficit primaire s’élevait à 1,5% et le BFSP à 5,7%.

Le budget 2026 prolonge cet ajustement, à un rythme toutefois plus modéré ; il vise un déficit primaire et un BFSP de, respectivement, 0,5% et 4,1% du PIB, ainsi qu’une dette publique dont la hausse n’est pas alarmante (52,3% du PIB). La consolidation est plus lente qu’initialement prévu (le budget 2025 visait un BFSP de 3,2% pour 2026) et les objectifs à moyen terme sont un peu moins ambitieux (3,5% du PIB en 2027 et 3% à partir de 2028, contre 2,9% précédemment). 

En 2026, les recettes totales atteindraient 22,5% du PIB (21,9% en 2025) et les dépenses 26,1% (25,5% en 2025). Ces prévisions reposent sur une progression réelle des recettes de 6,3% grâce, en particulier, à des revenus pétroliers attendus en hausse de 20%3. Enfin, clé de voûte du projet de budget, la croissance serait comprise entre 1,8% et 2,8% (contre un consensus de 1,4%).

L’environnement macro-économique de 2026 devrait être plus favorable, grâce à une inflation maîtrisée, un assouplissement monétaire modéré et la bonne tenue de la collecte fiscale. Les hypothèses pétrolières, jugées très optimistes, constituent néanmoins un risque pour le solde primaire. 

Dans un contexte d’espace budgétaire réduit, le budget 2026 maintient les priorités traditionnelles de MORENA4, au pouvoir depuis 2018 : dépenses sociales et investissements ciblés dans PEMEX, l’énergie et les infrastructures ferroviaires. Les dépenses de protection sociale atteindraient plus de 6% du PIB, soit une hausse réelle de près de 75% par rapport à 2018 (3,4% du PIB). Au cours de cette période, les dépenses au titre des retraites ont progressé de près de 35%. Ces augmentations ont été partiellement compensées par des réductions des dépenses de fonctionnement, mais surtout par la compression de l’investissement public, dont le poids dans le PIB recule depuis 2021. En 2026, l’investissement public progresserait marginalement (de 0,4 pp de PIB) et sa répartition resterait très concentrée : 46% pour PEMEX, 11% pour la CFE5 et 26% pour les projets ferroviaires. Enfin, le coût de la dette atteindrait 4,1%, un alourdissement substantiel au regard du 1,9% en 2018. 

Réforme fiscale : une nécessité différée, mais incontournable 

Au cours de la période post-Covid, depuis 2021, la croissance cumulée en termes réels des recettes budgétaires (7,3%) s’est révélée non seulement très inférieure à celle des dépenses publiques (16%), mais aussi à celle du PIB (8,5%). Pourtant satisfaisante, la hausse des recettes fiscales (TVA 14% et IR 21%) ne compense pas la chute des revenus pétroliers (-29%). De plus, alors que les montants dédiés à l’investissement se contractent de 19%, les intérêts et les dépenses sociales (aussi légitimes soient-elles) progressent de, respectivement, 69% et 42%.

Les objectifs de déficit pour 2025 et 2026 devraient être atteints ou, au minimum, se rapprocher des cibles gouvernementales. Mais la pression exercée par les priorités politiques du gouvernement et la stagnation relative des recettes ravivent la question, désormais urgente, d’une réforme fiscale. La consolidation actuelle s’effectue au détriment d’autres dépenses essentielles, notamment dans un contexte de ralentissement et de forte incertitude économique. L’investissement public, pilier du Plan Mexico et levier d’attraction des capitaux privés, reste limité et pèse sur la croissance actuelle (la contraction du secteur de la construction de -3% sur un an en témoigne), mais aussi sur la croissance potentielle. 

La réforme fiscale de 2014 avait pour objectif de compenser la baisse des revenus pétroliers, principale ressource de l’État. Elle y est partiellement parvenue en portant les recettes fiscales de 9% du PIB en 2013 à 14,5% en 2024. Si des progrès ont été réalisés en termes de collecte fiscale, le niveau de recettes fiscales reste faible (proche de 15%), comparé à la moyenne de l’OCDE (34%), et inférieur à celui d’autres pays d’Amérique latine, comme la Colombie (22%) ou le Chili (20%). Insuffisante au regard de la chute continue des revenus pétroliers, inaboutie, la réforme fiscale ne s’est pas traduite par une hausse équivalente des recettes totales qui plafonnent vers 22% du PIB. 

La progression durable des dépenses sociales, conjuguée au vieillissement démographique et à une croissance structurellement modeste (proche de 2%), oblige le gouvernement à affronter un choix fiscal de fond. Les ajustements actuels, partiels et successifs, ne permettent pas de garantir une trajectoire de croissance soutenable ni un renforcement durable du filet social. Trois options s’offrent au Mexique : abandonner la consolidation (cela ne lui ressemble pas), réduire les dépenses (politiquement et socialement compliqué, ce n’est pas à l’ordre du jour), ou entreprendre une véritable réforme fiscale. Compte tenu de la faible pression fiscale, de l’orientation idéologique de MORENA et du profil technocratique de Claudia Sheinbaum, une réforme fiscale paraît être l’issue la plus probable, la plus souhaitable, mais aussi la plus complexe.

Or, accaparé par des enjeux plus immédiats, le ralentissement de l’activité (la croissance a été négative au troisième trimestre – -0,3% t/t –, l’acquis de croissance pour 2025 et la croissance actuelle sur un an s’élèvent à 0,6% a/a) et l’incertitude commerciale, le gouvernement reporte une fois de plus la réforme fiscale. Misant sur une hausse des revenus pétroliers hautement hypothétique et sur divers ajustements fiscaux, il compte aussi sur une augmentation des droits de douane appliqués aux importations en provenance d’Asie, en particulier de la Chine. Cette stratégie, qui certes peut contribuer à doper les recettes fiscales, vise avant tout à satisfaire les attentes des États-Unis, au risque toutefois d’affaiblir la compétitivité de l’industrie nationale. 

La consolidation budgétaire de 2025 a été saluée par les marchés, qui y voient un signe d’engagement du gouvernement Sheinbaum envers la discipline fiscale, comme en témoigne la réduction du spread souverain. Si les orientations du budget 2026 ont déçu certaines attentes, elles n’ont pas provoqué de tensions majeures : continuité et stratégie des « petits pas » ne permettent ni grand espoir ni déception majeure, alors que la perspective d’une réforme fiscale à moyen terme reste intégrée par les investisseurs. Enfin, la dette publique  reste contenue (prévue à 52,4% en 2026) et sa structure est rassurante : moins de 25% libellés en devises, 80% à taux fixe, maturité moyenne élevée (huit ans).  

Article publié le 31 octobre 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine 

 

Références

  1. Consulter notre publication : Mexique – Budget 2025, « raisonnable » mais réaliste ? – Janvier 2025
  2. Mesure la plus large du déficit public
  3. Pour 2026, le gouvernement table sur un effet volume favorable avec une production de pétrole en hausse de près de 5%
  4. Movimiento de Regeneración Nacional, parti au gouvernement depuis 2018
  5. Comisión Federal de Electricidad
  6. SHRFSP : mesure la plus large de la dette publique qui inclut le gouvernement fédéral, les entreprises et banques publiques, les autres passifs "latents"
Mexique – Les limites de la stratégie de consolidation budgétaire

Les objectifs de déficit pour 2025 et 2026 devraient être atteints ou, au minimum, se rapprocher des cibles gouvernementales. Mais la pression exercée par les priorités politiques du gouvernement et la stagnation relative des recettes ravivent la question, désormais urgente, d’une réforme fiscale. La consolidation actuelle s’effectue au détriment d’autres dépenses essentielles, notamment dans un contexte de ralentissement et de forte incertitude économique.

Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine