Parole de banques centrales ‒ BCE : un pas de plus vers une double normalisation
- 20.12.2023
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En résumé
Personne n'en doutait : le Conseil des gouverneurs de la BCE a laissé les taux directeurs inchangés, à 4,5% pour le taux des opérations principales de refinancement et à 4% pour le taux de dépôt.
Plus incertaine était la date de la décision concernant le PEPP. La BCE a tranché : elle poursuivra le réinvestissement intégral des titres arrivant à échéance jusqu'à fin juin 2024. Ensuite, elle réduira le portefeuille du PEPP de 7,5 milliards d'euros par mois en moyenne au second semestre 2024 et mettra un terme aux réinvestissements fin 2024.
La BCE se dit confiante dans la capacité de l'inflation à retrouver sa cible. Et elle le traduit par des prévisions d'inflation fortement révisées à la baisse qui dessinent une trajectoire plus aplatie que les précédentes, prévisions qui constituent un des trois critères sur lesquelles se fondera la décision de modifier le niveau des taux directeurs.
Les prévisions ont été abaissées pour l'année en cours (de 5,6% à 5,4%) et plus fortement pour l'année prochaine (de 3,2% à 2,7%) ; elles continuent de tabler sur une inflation à 2,1% en 2025 et à 1,9% en 2026. Dès le T3 2025, l'inflation atteindrait la cible, soit environ un an et demi après la dernière hausse des taux (de septembre 2023), qui correspond au délai standard de transmission de la politique monétaire. Ces prévisions ont cependant été réalisées avant que soit disponible l'inflation de novembre qui, à 2,4%, est inférieure à ce qui était anticipé et fait peser un risque baissier sur la prévision du T4 2023 de la BCE (à 2,8%).
L'autre indicateur, duquel la BCE fera dépendre sa décision en termes de taux d'intérêt, est l'inflation sous-jacente (hors composantes volatiles) dont toutes les composantes déclinent. La prévision d'inflation sous-jacente a aussi été révisée à la baisse en 2023 (de 5,1% à 5%) et en 2024 (de 2,9% à 2,7%), mais dans une moindre mesure que l'inflation totale. En revanche, la prévision de l'inflation core a été rehaussée pour 2025 (de 2,2% à 2,3%) et demeure plus élevée que l'inflation totale en 2026 (2,1%). L'inflation sous-jacente n'atteindrait 2,1% qu'au T4 2025. En effet, la progression des salaires (plus exactement des rémunérations par salarié) resterait encore soutenue en 2025 (3,8% après 4,6% en 2024) et en 2026 (3,3%) selon la BCE.
Troisième critère déterminant pour toute décision sur les taux, la puissance de la transmission de la politique monétaire semble satisfaire pleinement la BCE. Le ralentissement du crédit s'est désormais traduit par une compression de la demande agrégée, condamnant ainsi le canal d'alimentation de l'inflation par la dépense des agents économiques.
En revanche, la BCE n'a pas complétement écarté le risque d'effets de second tour et constate que la composante domestique de l'inflation baisse peu. Si les salaires par tête au T3 2023 ont ralenti (de 5,4% à 4,9%), ce n'est pas le cas d'autres indicateurs de salaires. Par ailleurs, si les marges se sont comprimées, la BCE souhaite continuer de surveiller les profits unitaires pour être sûre que les hausses de salaires à venir seront bien absorbées par les marges et non répercutées sur les prix de vente. Une confirmation du ralentissement des salaires et des profits à partir des données de comptabilité nationale du dernier trimestre 2023 et du premier trimestre 2024 sera donc nécessaire à la BCE avant toute décision de baisse des taux directeurs. D'autant que 50% des salaires couverts par le « wage tracker » de la BCE feront l'objet de renégociations au premier semestre 2024 et que c'est aussi en début d'année que les entreprises réadapteront leurs grilles de prix.
Ces nouvelles prévisions d'inflation de la BCE ne remettent pas en cause notre calendrier prévoyant une première baisse de taux de 25 points de base en septembre. Deux autres de même ampleur devraient suivre d'ici la fin 2024 ainsi qu'une à chaque réunion, donc 50 points de base par trimestre, au premier semestre 2025. Elles porteraient le taux de refinancement à 2,75%, soit le nouveau taux neutre ou d'équilibre, compatible avec une inflation à la cible. Les critères d'une nouvelle normalité post-déflation seraient atteints. Mais ce « new normal » n'est pas l'ancien, celui d'avant la grande crise économique et financière. Bien que la BCE s'engage dans une normalisation de la taille de son bilan, celui-ci demeurera surdimensionné par rapport à 2008. La nouvelle taille optimale de son bilan sera discutée par la BCE en 2024 avant les conclusions de sa revue de stratégie opérationnelle. Il est néanmoins évident que les facteurs autonomes de la liquidité excédentaire et les réserves obligatoires sont encore le triple d'avant la crise et que les besoins des banques à des fins réglementaires justifient un bilan de la BCE structurellement plus élevé qu'avant.
Article publié le 15 décembre 2023 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
Ces nouvelles prévisions d’inflation de la BCE ne remettent pas en cause notre calendrier prévoyant une première baisse de taux de 25 points de base en septembre. Deux autres de même ampleur devraient suivre d'ici la fin 2024 ainsi qu’une à chaque réunion, donc 50 points de base par trimestre, au premier semestre 2025. Elles porteraient le taux de refinancement à 2,75%, soit le nouveau taux neutre ou d’équilibre, compatible avec une inflation à la cible. Les critères d’une nouvelle normalité post-déflation seraient atteints. Mais ce « new normal » n’est pas l’ancien, celui d’avant la grande crise économique et financière. Bien que la BCE s’engage dans une normalisation de la taille de son bilan, celui-ci demeurera surdimensionné par rapport à 2008.
Paola MONPERRUS-VERONI, Manager zone euro