Fintech Outlook au premier semestre 2023 – L'ultime défi !

Fintech Outlook au premier semestre 2023 – L'ultime défi !

En résumé

Le premier semestre de cette année n'a pas été propice au secteur mondial de la fintech, avec une chute significative des levées de fonds en montant et en nombre d'opérations. Les start-up de la finance innovante doivent faire face à un environnement difficile caractérisé par de nombreux défis.
 

Une chute drastique des levées de fonds au niveau mondial

L'année dernière, les fonds levés au premier semestre atteignaient les 45,5 milliards de dollars. Cette année, les levées se stabilisent en cette fin juin autour des 17 milliards, en baisse de 63%. La dynamique du marché est faible avec seulement 404 opérations au compteur contre 1 132 à la même époque de l'année dernière.

Cette baisse significative des levées de fonds en montant et en nombre souligne les difficultés auxquelles sont confrontées les start-up de la finance. L'année en cours se révèle être l'ultime défi pour elles et leurs investisseurs. Les incertitudes économiques mondiales, les réglementations qui se précisent, la surveillance et les contrôles qui franchissent un seuil, les fondamentaux de marché défavorables, les audits qui se renforcent et la concurrence féroce qui sévit contribuent en partie à cet environnement difficile.

La levée de fonds exceptionnelle de l'américain Stripe (tranche de 6,13 milliards de dollars annoncée en mars et finalisée en mai) a pu masquer temporairement les résultats décevants de l'ensemble du secteur. Cependant, il est important de souligner que cette opération est une exception et ne reflète pas la tendance générale du marché. Si l'on retraite cette opération des statistiques observées sur ce premier semestre, la chute de levées de fonds en montant atteint tout de même les 77%.

Les investisseurs ont clairement adopté une approche plus prudente en matière de fintech, en enterrant les méga-levées, en évaluant plus rigoureusement les opportunités qui s'offrent à eux et en accordant une attention toute particulière aux risques. La viabilité, la rentabilité, les trajectoires de croissance et les promesses de ces jeunes pousses sont passées au crible. Malgré ce contexte difficile, certains investisseurs et acteurs du secteur parviennent tout de même à maintenir une dynamique positive dans le marché. FJ Labs, Andreessen Horowitz et Y Combinator sont restés actifs sur ces six derniers mois en prenant part globalement à plus de 23 opérations. Kapital, la néobanque mexicaine pour les Pros, a réussi le tour de force d'attirer 20 nouveaux investisseurs pour sa Série A de 175 millions de dollars, l'une des levées les plus importantes de ce premier semestre au niveau mondial.
 

L'amorçage mondial, entre signaux alarmants et raisons d'espérer

Du côté de l'amorçage, le premier semestre a été marqué par la réduction des levés de fonds en montant (-57%) et en nombre (-57%), une tendance qui touche la totalité des régions du monde.

Aux États-Unis, berceau de l'innovation, le nombre d'opérations d'amorçage a chuté de 54% par rapport au premier semestre de l'année dernière. Les montants d'investissement levés se sont écrasés de 64%, confirmant ainsi la tendance du premier trimestre. Les start-up américaines qui ont réussi à lever leurs premiers dollars ont également vu le niveau médian de leurs tours de table baisser de 25%, malgré une augmentation significative de cette valeur au premier trimestre.

Pour autant, pour les fintech en recherche de fonds d'amorçage, il y a des raisons d'espérer avec la baisse des valorisations qui semble arriver sur un point bas. Au niveau mondial, la baisse des valorisations des fintech en phase d'amorçage s'est atténuée et se limite désormais à 14%. Aux États-Unis, cette baisse se cristallise autour des 24%. En Europe, cette tendance à la baisse s'est même inversée de manière significative au deuxième trimestre passant de -68% à -12%.

Le marché de l'amorçage au niveau mondial résiste donc à la déprime ambiante et semble être un peu moins sous pression en ce qui concerne ses niveaux de valorisations. Le point bas sur cet indicateur n'est pas loin d'être atteint.
 

La consolidation du marché de la fintech reste limitée

Malgré le tarissement de sa principale source de liquidité, l'écosystème de la fintech n'a pas encore connu la profonde restructuration attendue. Jusqu'à présent, seuls quelques signes de consolidation ont émergé.

Depuis le début de l'année, 312 fintech environ ont véritablement disparu d'après nos calculs, un chiffre similaire à celui de l'année dernière à la même époque (305). Compte tenu des quelque 45 000 start-up présentes dans cet écosystème, ces disparitions, bien que malheureuses, sont somme toute assez anecdotiques. Pour autant, sur ce premier semestre, on observe un solde net de créations de fintech négatif. Autrement dit, le nombre de fintech qui disparaissent dépasse désormais le chiffre de celles qui voient le jour.

De son côté, le marché mondial des fusions et acquisitions n'a pas connu la dynamique attendue depuis le début de l'année. Bien que toutes les fintech soient potentiellement à vendre, les changements de main tardent à se matérialiser. On comptabilise à peine 250 sorties industrielles sur ce premier semestre contre 441 à la même période en 2022.

Les raisons de cet effet retard sont multiples : les due diligence peuvent prendre plus de temps, les acheteurs s'interrogent sur la valeur réelle de leurs cibles, les investisseurs historiques temporisent et « bridgent » leurs participations. En coulisse, les banquiers d'affaires s'activent mais les acteurs ne sont pas encore tous entrés en scène. Le marché américain reste aujourd'hui sur ce segment du M&A le plus actif au monde, avec 89 opérations finalisées au cours du premier semestre suivi de près par le marché européen. En Europe, le Royaume-Uni et l'Allemagne sont les pays les plus dynamiques. En comparaison, le marché français reste très peu actif.
 

Quelques opérations sont marquantes

Dans ce contexte peu animé, quelques opérations cependant sont à noter. Elles illustrent ce phénomène de concentration du marché attendu par les analystes.

Parmi ces opérations, on notera le rachat de deux fintech emblématiques car comptant parmi les acteurs historiques de l'écosystème de la finance innovante. En février, Elevate Credit, ce spécialiste du financement des ménages américains fondé en 2014, est passé sous le giron de Park Cities Asset Management pour 67 millions d'euros. En mars, EVO Payments, un beau nom des paiements créé en 1989, est racheté avec ses 2 400 salariés par Global Payments pour 4 milliards de dollars, la transaction la plus chère du semestre.

On peut également souligner la vente de Genesis Coin, un acteur majeur du marché des distributeurs automatiques de cryptomonnaies (ATM). L'Américain alimente environ 35% des transactions mondiales avec ses 7 267 machines installées partout dans le monde. Ce rachat opéré par les fondateurs de Bitstop, un acteur plus petit avec un parc installé de 2 383 machines, marque le début d'un mouvement de consolidation sur ce marché de niche.

En France, le rachat partiel de Luko par Admiral Group restera certainement l'un des exits les plus remarquables de l'année. Le chèque de 14 millions d'euros déboursé par le Britannique sonne pour beaucoup comme un échec pour les fondateurs de la start-up créée en 2016. Mais, dans cette affaire, la banque Lazard a su valoriser la marque du spécialiste de l'assurance habitation en ligne et déployer une cession par compartiments qui pourrait bien faire date pour de prochaines stratégies d'exit dans l'écosystème français.

Mais, en Europe, c'est à notre sens, l'acquisition de Gohenry par Acorns faite en avril qui est véritablement à souligner sur ce premier semestre. Ce rapprochement illustre parfaitement le phénomène de complétude de l'offre, le graal de toute fintech dans sa quête de rentabilité.

Avec Gohenry et PixPay sous sa bannière, l'américain Acorns constitue désormais dans son domaine une référence mondiale de la finance innovante. Acorns a réussi le tour de force d'offrir un continuum de services financiers adaptés à tous les âges (enfants, ados, adultes). Il aura fallu 11 ans, 11 levées de fonds, plus de 630 millions de dollars de capitaux propres et une tentative avortée d'introduction en bourse au Nasdaq pour permettre à la licorne, à la base spécialiste de l'épargne, de poser une empreinte mondiale sur l'industrie des services financiers. L'inventeur du « Cash Forward » (par opposition au « Cash Back ») assume sa stratégie d'expansion européenne avec une présence au Royaume-Uni, en France, en Espagne et en Italie. Avec sa participation dans Raiz, l'application des « 7 à 77 ans » pose également un regard intéressé sur les marchés australiens, indonésiens et malaisiens.
 

L'emploi dans la fintech en France : une détérioration inquiétante

Face à la contrainte de liquidité et aux défis persistants pour les fintech tricolores de s'engager dans une croissance durable, l'emploi dans le secteur de la fintech en France montre des signes de détérioration inquiétants depuis le début de l'année, selon notre analyse portant sur un échantillon représentatif de 450 start-up de l'écosystème de la finance innovante ayant leur siège social en France.

Les fintech tricolores ont réellement commencé à créer des emplois à partir de 2019, avec une accélération significative en 2020 et 2021. En 2021, le solde net annuel de créations d'emplois approchait les 6 000, et l'année 2022 a établi un record de 11 288 emplois supplémentaires créés.

Dans l'ensemble, notre panel de fintech a généré plus de 30 619 emplois directs en 10 ans, soutenus par des levées de fonds d'au moins 6,2 milliards d'euros. En moyenne, environ 1 million d'euros est nécessaire pour créer 5 emplois en France dans le secteur de la fintech.

En 2022, 67% des fintech de notre échantillon recrutaient, 23% maintenaient leurs effectifs stables, tandis que 10% commençaient à les réduire, une proportion qui s'est aggravée depuis le début de l'année. Le solde net de créations d'emplois dans notre panel a chuté à 739, en raison d'un nombre historiquement élevé de suppressions d'emplois. Environ 1 500 emplois ont disparu, et actuellement, pour 60% des fintech de notre échantillon, les effectifs sont désormais passés à stable.

Les fintech françaises ont probablement surestimé leur besoin en ressources humaines et créé trop d'emplois ses deux dernières années, et ceci malgré les avertissements d'un environnement économique et financier incertain pour elles et leurs clients. Globalement, sur le front de l'emploi, les dirigeants des fintech françaises semblent avoir agi, au choix, par excès de confiance ou par manque de maturité, une situation qui les fragilise aujourd'hui. Il faudra suivre de très près l'évolution des effectifs de ces start-up à qui il est demandé de faire des économies à tout va et de préserver des fondamentaux financiers incompatibles avec une situation de suremploi.

Fintech Outlook au premier semestre 2023 – L'ultime défi !

Malgré le tarissement de sa principale source de liquidité, l'écosystème de la fintech n'a pas encore connu la profonde restructuration attendue. Jusqu'à présent, seuls quelques signes de consolidation ont émergé.

Romain LIQUARD, Responsable Domaines Industrie et Services