Égypte – L’inflation au plus haut envoie un signal macro-économique très négatif

Égypte – L’inflation au plus haut envoie un signal macro-économique très négatif

En résumé

L’inflation en Égypte ne cesse d’augmenter de façon très alarmante : elle a atteint 37,4% en août 2023 en glissement annuel et a surpris la plupart des analystes qui ne prévoyaient pas une flambée des prix aussi élevée.

Avant d’en analyser les causes, quelques observations préliminaires. L’inflation dépasse de quatre fois le haut de la fourchette acceptable pour la Banque centrale d’Égypte, établie entre 5% et 9%. À 32,9% en moyenne depuis le début de l’année 2023, elle est d’ores et déjà à plus du double de la moyenne de l’année 2022 (13,8%). Elle est surtout beaucoup plus élevée que lors de la précédente période d’inflation entre fin 2016 et début 2018 après la forte dévaluation de 52% de la livre fin 2016. Le pic avait alors atteint 31,5% en août 2017, soit 6% de moins que le chiffre constaté cet été. L’inflation est aussi la plus forte des pays du Moyen-Orient à l’exception du Liban (220%) et de l’Iran (45%).

La hausse des prix à la consommation frappe toutes les catégories de produits et de services, mais c’est surtout sur les produits alimentaires que la hausse se fait le plus sentir. Ainsi, l’inflation alimentaire a atteint 72,7% en août dernier et 63,6% en moyenne depuis le début de l’année. Les meubles (+39%), les dépenses de santé (+18%), le prix des transports (+19%) sont également très affectés par la hausse des prix. Les services (tourisme : +47%, culture : +27%) n’y échappent pas non plus.

Autre phénomène très préoccupant, l’inflation sous-jacente (c’est-à-dire l’indice des prix désaisonnalisé et excluant les interventions étatiques et la volatilité excessive des marchés et donc sensé donner une meilleure tendance globale) est de 6% supérieur en moyenne à l’indice d’inflation depuis début 2023. Ceci signale donc un impact ressenti très élevé par la population. La différence s’est toutefois atténuée en août dernier.

Les causes de cette très forte inflation sont bien connues et identifiées. La première cause est bien sûr la hausse des prix sur les marchés mondiaux des produits importés et au premier rang les céréales (blé) dont l’Égypte est le premier importateur mondial. La hausse des prix de l’énergie a aussi un impact mais plus modéré compte tenu des exportations de gaz. La seconde cause est la forte dépréciation de la livre de 49% entre février 2022 (date du déclenchement de la guerre en Ukraine) et mars 2023. Ce choc de change a provoqué le phénomène d’inflation importée compte tenu de la balance commerciale très déficitaire du pays. Les deux phénomènes combinés expliquent, certes, la très forte inflation, mais la Banque centrale dispose également de peu d’outils de lutte qu’elle utilise avec parcimonie (hausse des taux et blocage des prix) et qui ne sont pas toujours très efficaces.

Les conséquences d’une aussi forte inflation sont multiples. Elles sont tout d’abord sociales car elles touchent toutes les catégories d’Égyptiens, y compris la classe moyenne (40% de la population) et la classe aisée qui souffre cette année beaucoup plus qu’en 2017. Comme lors d’épisodes passés, les catégories sociales les plus pauvres sont relativement bien protégées de la hausse des prix alimentaires par les programmes sociaux Takaful et Karama (solidarité et dignité), même si ces programmes de soutien sont désormais érodés par l’inflation. Cette inflation élevée va donc obliger les autorités à maintenir à un niveau élevé ses plans de soutien à la protection du pouvoir d’achat pour les plus modestes. Cela devrait avoir pour effet de décaler les réformes pour réduire les subventions et donc maintenir le déficit budgétaire à plus de 6% du PIB cette année, un chiffre très élevé pour le pays. Concernant les salaires, ils ont augmenté à plusieurs reprises en 2023 mais sans compenser l’inflation. Si le risque de spirale inflation-salaire semble écarté, la perte de pouvoir d’achat de la population est par contre bien réelle et cette situation alimente les frustrations et le ressentiment.

En ce qui concerne la politique économique, cette inflation provoque actuellement une forte réduction des importations en raison de leur renchérissement. Le montant des importations devrait ainsi se contracter de 87,3 Mds USD en 2022 à 78 Mds USD environ en 2023, ce qui devrait améliorer la balance commerciale de biens qui va rester déficitaire mais seulement à hauteur de 34 Mds USD, selon les dernières estimations. Cette contraction a des effets quelque peu négatifs sur la croissance du PIB cette année mais il est difficile d’en chiffrer les conséquences.

De son côté, la politique monétaire reste très accommodante. Après une forte hausse en début d’année, le taux directeur a été maintenu à 19,75% en septembre et les taux d’intérêts réels sont donc fortement négatifs (18%).

En ce qui concerne la politique de change, les autorités sont prises dans un dilemme. Depuis mars dernier, soit plus de six mois, les autorités maintiennent le cours de la devise à 30,9 livres par dollar afin de ne pas accentuer ce phénomène d’inflation importée, et ce en contradiction avec les exigences du FMI qui demande la mise en place d’un régime de change flexible comme condition à son plan de soutien financier.

Les conséquences sur le coût de refinancement du souverain sont également douloureuses pour l’État : les taux sur les bons du trésor à 3 mois s’élèvent à 25,2% en septembre 2023. Une hausse de 9,3% par rapport au taux d’il y a un an. Ceci va donc renchérir la dette d’un État déjà surendetté (à 95% du PIB). 

Nos prévisions sont donc révisées à la hausse. Nous pensons que l’inflation moyenne atteindra 33,5% en 2023 et ne commencera à baisser qu’au premier trimestre 2024. En 2024, l’inflation devrait s’établir à 21,5% en raison de la poursuite de la dépréciation de la livre sur les marchés, et donc dans une proportion sans doute moins forte qu’en 2021-2022. Le marché noir de la devise se situe aux environs de 40 livres par dollar.

Une inflation aussi élevée et inattendue envoie un signal macro-économique très négatif sur les marchés financiers. Elle signale en premier lieu que malgré le plafonnement du cours de change à 30,9 EGP par dollar, les autorités monétaires ont beaucoup de difficulté à la maîtriser. Pour un pays qui a singulièrement besoin de la confiance des marchés financiers internationaux pour financer ses échéances de dette externe, c’est un point plutôt négatif. La situation actuelle indique également que le pays ne passera pas à un régime de change flottant avant l’année 2024 comme le souhaite le FMI. Le plus dommageable est aussi que cette situation provoque l’attentisme des investisseurs étrangers qui hésitent à matérialiser leurs soutiens financiers dans le cadre du plan de soutien du FMI compte tenu de la forte érosion monétaire actuelle et des risques de dévaluation de la devise l’année prochaine. Des retards que l’Égypte peut difficilement se permettre compte tenu des échéances de dette externe à venir.

Égypte – L’inflation au plus haut envoie un signal macro-économique très négatif

Les causes de cette très forte inflation sont bien connues et identifiées. La première cause est bien sûr la hausse des prix sur les marchés mondiaux des produits importés et au premier rang les céréales (blé) dont l’Égypte est le premier importateur mondial. La hausse des prix de l’énergie a aussi un impact mais plus modéré compte tenu des exportations de gaz. La seconde cause est la forte dépréciation de la livre de 49% entre février 2022 (date du déclenchement de la guerre en Ukraine) et mars 2023. Les deux phénomènes combinés expliquent, certes, la très forte inflation, mais la Banque centrale dispose également de peu d’outils de lutte qu’elle utilise avec parcimonie (hausse des taux et blocage des prix) et qui ne sont pas toujours très efficaces.

Olivier LE CABELLEC, Economiste