Dérapage des finances publiques en France, une incidence à long terme

Dérapage des finances publiques en France, une incidence à long terme

En résumé

En 2019, à la veille de la crise sanitaire, le déficit des administrations publiques françaises était redescendu sous les 3% du produit intérieur brut (2,4% en 2019), et leur dette au sens de Maastricht s’élevait alors à moins de 98% du PIB. Sous l’effet de la crise sanitaire, le déficit public s’est creusé à 8,9% du PIB en 2020, avec la baisse de l’activité économique et la mise en place des diverses aides publiques, notamment l’activité partielle. La dette publique a alors bondi à près de 115% du PIB. Le rebond économique post-Covid en 2021-2022 a permis de réduire le ratio de dette publique à moins de 112% fin 2022, un reflux mécanique lié à la forte croissance du PIB en valeur, soit la partie facile du processus d’assainissement.

La semaine dernière, l’Insee a publié les premiers résultats des comptes nationaux des administrations publiques de l’année 2023. Ils sont peu glorieux, loin des cibles du projet de loi de finances pour 2024 de l’automne dernier, et laissent présager des marges encore plus limitées pour les finances publiques dans les années à venir.

Le déficit public a en effet augmenté à 5,5% du PIB (après 4,8% en 2022), alors que la prévision du gouvernement était de 4,9% à l’automne dernier. Si des rumeurs couraient déjà sur une non-réalisation de cette cible inscrite dans le PLF pour 2024, ce chiffre est un revers pour le gouvernement, dont la trajectoire de finances publiques à horizon 2027 avait déjà été jugée « peu ambitieuse » par le Haut conseil des finances publiques en septembre dernier et par la Commission européenne en novembre. La dette publique diminue ainsi seulement à 110,6% du PIB fin 2023 (après 111,9% fin 2022), contre une prévision du gouvernement à l’automne sous la barre des 110% (à 109,7%).

La surprise vient surtout des recettes publiques, avec un ralentissement plus marqué que celui des dépenses en 2023, et une progression cette fois bien inférieure à celle du PIB en valeur, contrairement à l’année précédente. En particulier, les recettes de TVA décélèrent fortement, l’impôt sur les sociétés recule nettement, et l’impôt sur le revenu des personnes physiques n’augmente que légèrement en lien notamment avec l’indexation de son barème sur l’inflation. Le taux de prélèvements obligatoires s’établit à un niveau similaire à la période pré-Covid, à 43,5% du PIB (en baisse par rapport à 2022).

Du côté des dépenses, leur hausse est inférieure à celle des prix en 2023, de sorte qu’elles diminuent en termes réels, et en proportion du PIB (à 57,3%), bien que le ratio demeure supérieur à celui de la période pré-Covid (55,2% du PIB en 2019). Dans le détail, les dépenses de fonctionnement ont fortement progressé en lien avec une forte hausse des consommations intermédiaires et notamment des prix de l’énergie, alors que les rémunérations versées n’accélèrent que faiblement. Les prestations sociales accélèrent, en particulier les prestations sociales indexées sur l’inflation, au premier rang desquelles les retraites, alors que les prestations de santé sont pour leur part stables (certaines hausses étant compensées par la baisse des dépenses liées au Covid). Les subventions ralentissent, avec notamment la fin des aides aux entreprises liées au Covid. Les dépenses de soutien aux entreprises et aux ménages face à la hausse des prix de l’énergie (boucliers tarifaires) se stabilisent. Malgré les recommandations de la Commission européenne de retirer dès que possible ces dispositifs, la France a en effet fait le choix de maintenir (du moins en partie) cette protection, contrairement à d’autres pays européens. L’extinction de ces mesures devrait contribuer à la réduction du déficit public en 2024. L’investissement public est par ailleurs resté dynamique en 2023, et la charge d’intérêts de la dette a diminué (à 1,8% du PIB), du fait d’un moindre coût des titres indexés sur l’inflation.

Les informations récentes relatives aux finances publiques sont une mauvaise nouvelle pour l’ensemble des agents économiques. Le gouvernement va devoir trouver de « bonnes » économies pour les années à venir, faute de quoi il faudra tabler sur les recettes, et donc une hausse de la fiscalité (qui semblait jusque-là une piste exclue), si la France veut avoir une chance de revenir un jour dans les clous européens (probablement après le mandat de Bruno Le Maire, l’actuel ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique). À court terme, ce petit dérapage devrait cependant avoir peu d’incidence sur le coût de financement de la dette publique française, et notamment le spread de taux souverains avec le Bund allemand (l’Allemagne a pour sa part d’autres problèmes actuellement), même si une dégradation de la note de la dette française par les agences de notation semble de plus en plus plausible.

L’incidence est à long terme. À l’heure où le financement de la transition écologique et de l’adaptation au changement climatique (mais aussi de la numérisation, qui pourrait être source de gains de productivité en France) doit devenir prioritaire et devra aussi reposer sur des fonds publics (notamment en raison de l’existence d’externalités), les marges de manœuvre deviennent encore plus limitées. Par ailleurs, rappelons-le, une dette a pour vocation d’être remboursée : ce sont donc les ménages et les entreprises d’aujourd’hui (mais sans doute davantage ceux de demain) qui devront y contribuer.

Dérapage des finances publiques en France, une incidence à long terme

Les informations récentes relatives aux finances publiques sont une mauvaise nouvelle pour l’ensemble des agents économiques. Le gouvernement va devoir trouver de « bonnes » économies pour les années à venir, faute de quoi il faudra tabler sur les recettes, et donc une hausse de la fiscalité (qui semblait jusque-là une piste exclue), si la France veut avoir une chance de revenir un jour dans les clous européens.

Marianne PICARD, Economiste - France, Belgique et Luxembourg