Soudan – Un an après le déclenchement du conflit, l'économie est au point mort

Soudan – Un an après le déclenchement du conflit, l'économie est au point mort

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Le Soudan est confronté à un conflit armé qui oppose, depuis un an, les forces armées soudanaises (SAF) commandées par Abdel Fattah al-Burhan et les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) dirigées par Mohamed Hamdan Dogolo.

Ces deux généraux, anciennement alliés, avaient participé à la destitution d'Omar el-Béchir lors des contestations populaires de 2019, puis au coup d'État de 2021 qui avait évincé les civils du gouvernement chargé de la transition (2019-2021). Cependant, les tensions apparues entre les deux chefs militaires rivaux ont plongé le Soudan au cœur de la quatrième guerre civile de son histoire.

Actuellement, le pays se trouve divisé entre, d'une part, les RSF qui contrôlent l'ouest, le sud et Khartoum en mettant la main sur les institutions et le commerce de l'or et, d'autre part, les SAF qui sont implantés au nord et à l'est du pays afin d'encaisser les droits de transit du pétrole à Port Soudan.
 

Quelles conséquences du conflit au Soudan ?

Tout d'abord, cette dégradation de l'environnement politique s'est traduite par une diminution des indicateurs de développement du Soudan, alors que ces derniers s'amélioraient à la suite du retrait du pays de la liste des États soutenant le terrorisme en 2019 et de l'approbation de l'allègement de sa dette en 2021, processus suspendu depuis.

Le Soudan est devenu l'un des pays à plus faible revenu d'Afrique sub-saharienne (533 USD/habitant), où les taux de chômage (46%), d'extrême pauvreté (35,7%) et d'inégalités sont les plus élevés de la région.

Pour l'expliquer, le pays fait face, actuellement, à une triple crise :
- Une crise alimentaire : 15,8 millions de personnes font face à une situation de pénurie dite « aiguë » selon la FAO.
- Une crise sanitaire : 70% des établissements de santé sont fermés tandis que les hôpitaux manquent de personnel et de fournitures médicales appropriées selon le ministère fédéral de la Santé (FMoH).
- Une crise migratoire ; 6,5 millions de Soudanais se sont déplacés dans le pays depuis le début du conflit, ce qui constitue la plus grande crise de déplacement interne au monde.

Au vu de l'ampleur des enjeux causés par cette triple crise, le plan de réponse humanitaire (HRP) au Soudan nécessiterait près de 2,7 milliards USD, bien qu'il n'ait été financé qu'à 6% début 2024.

Ce conflit a également causé de graves conséquences sur l'économie soudanaise dont la croissance a subi une contraction historique en 2023, rappelant celle de 2011, suite à la sécession du Soudan du Sud qui avait causé la perte de près de 75% de sa capacité de production pétrolière.    

Dans un premier temps, les pillages et dégradations des infrastructures, engendrés par le conflit, ont fortement touché le secteur industriel. Bien que l'extraction se soit largement poursuivie, les installations de traitement ont été endommagées ; par exemple, expliquant la chute drastique de la production d'or à 2 tonnes métriques fin 2023, contre 35 tonnes métriques fin 2022.

Il en va de même pour les secteurs des services et de l'agriculture qui ont également essuyé de larges pertes : conséquences des dommages subis par les entrepôts et les infrastructures de transformation d'une part, et d'un manque d'accès au marché, aux intrants et aux financements d'autre part.

Les ruptures de chaîne d'approvisionnement combinées aux dégâts subis par les infrastructures ont également eu un impact sur le commerce extérieur du Soudan.

En effet, les exportations d'or du pays, principales sources de devises, se sont effondrées, ce qui a affaibli la livre soudanaise – qui s'est dépréciée de près de 50% – et abaissé les réserves internationales qui correspondaient à une couverture de moins de deux semaines d'importations de biens et de services avant l'éclatement du conflit.

Finalement, le conflit n'a fait qu'affaiblir les entrées de devises étrangères, exacerbant les pénuries (notamment de carburant et de denrées alimentaires), affaiblissant la monnaie et augmentant l'inflation des biens importés.

Cela explique que l'inflation a atteint près de 256% en 2023, selon le FMI, participant à la chute de la consommation privée.

Enfin, la montée de l'insécurité continue de décourager les investissements nationaux et étrangers, tandis que les dépenses d'investissement du gouvernement s'effondrent en raison de l'allocation croissante des ressources gouvernementales au budget de la défense.

Les recettes budgétaires étant faibles, la croissance ralentissant, les marges de manœuvre s'affaiblissant : la soutenabilité de la dette est devenue un enjeu majeur, à moyen terme, pour le pays. En effet, le ratio dette/PIB du Soudan demeure le plus élevé de la région d'Afrique sub-saharienne, à hauteur de 256% du PIB en 2023 et devrait se stabiliser entre 235% et 245% à l'horizon 2025-2028 selon le scénario central du FMI.
 

Notre opinion

La crise soudanaise est totale. Alors que le pays est en proie à un besoin de financement externe structurellement élevé du fait de l'isolement international, de la chute des IDE et du commerce soudanais, les besoins humanitaires deviennent, quant à eux, de plus en plus pressant. « Une génération entière pourrait être détruite » explique Olga Sarrado Mur, porte-parole de l'agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), rappelant que près de la moitié de la population soudanaise vit actuellement dans un contexte de pénurie chronique de nourriture, d'eau potable, de médicaments et de carburant.

Jusqu'ici, la diplomatie était restée prise au piège des luttes d'influence entre des acteurs sous-régionaux et internationaux. Toutefois, la semaine dernière, une conférence internationale s'est tenue à Paris afin de soutenir les efforts de paix dans la région. Organisée conjointement par le ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, son homologue allemande, Mme Annalena Baerbock, le Haut représentant de l'Union européenne, Josep Borrell, et le Commissaire européen à la Gestion des crises, Janez Lenarčič, la conférence a recueilli la promesse d'une enveloppe de 2 milliards d'euros : soit un premier pas vers la résolution des enjeux socioéconomiques et, a fortiori, de la crise humanitaire à laquelle le pays est confronté.
 

Article publié le 19 avril 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

Soudan – Un an après le déclenchement du conflit, l'économie est au point mort

Jusqu'ici, la diplomatie était restée prise au piège des luttes d'influence entre des acteurs sous-régionaux et internationaux. Toutefois, la semaine dernière, une conférence internationale s'est tenue à Paris afin de soutenir les efforts de paix dans la région. Organisée conjointement par le ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, son homologue allemande, Mme Annalena Baerbock, le Haut représentant de l'Union européenne, Josep Borrell, et le Commissaire européen à la Gestion des crises, Janez Lenarčič, la conférence a recueilli la promesse d'une enveloppe de 2 milliards d'euros : soit un premier pas vers la résolution des enjeux socioéconomiques et, a fortiori, de la crise humanitaire à laquelle le pays est confronté.

Thomas MORAND, Economiste (alternant)