Corée du Sud – Assouplissement monétaire inattendu
- 02.12.2024
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Deux baisses de taux consécutives : une première depuis 2009
Le 28 novembre, Rhee Chang-yong, gouverneur de la banque centrale coréenne (BoK), a annoncé une réduction de 25 points de base (pdb) du taux directeur (base rate), le ramenant à 3%. Le comité a voté à cinq contre deux en faveur d’une réduction.
Cette décision a pris les marchés au dépourvu. Seuls 4 des 38 économistes interrogés par Reuters avaient anticipé une baisse du taux. Et pour cause, il s’agit de la deuxième coupe consécutive du base rate, une première depuis 2009. En effet, une première réduction de 25 pdb avait été effectuée en octobre 2024, lors du dernier comité, faisant passer le taux de 3,5% à 3,25%. Il s’agissait de la première baisse de taux en quatre ans, marquant le début de l’assouplissement monétaire.
En fait, les marchés anticipaient un assouplissement plus graduel, dans un contexte d’affaiblissement du won et de volatilité des capitaux. Depuis janvier 2024, le won a perdu 9% de sa valeur, devenant la deuxième devise la moins performante d'Asie après le yen. La dépréciation a accéléré à la suite de l’élection américaine, avec une perte de 1,6% entre le 5 et le 26 novembre. Le won a franchi à plusieurs reprises le seuil symbolique des 1 400 wons par dollar, atteignant même 1 408,2 wons par dollar le 12 novembre, son niveau le plus bas depuis plus de deux ans.
Malgré les risques liés à la dépréciation du won, qui auraient pu être atténués par le maintien du taux directeur à 3,25%, laissant inchangé le spread avec les taux directeurs de la Fed, la BoK a choisi de privilégier le soutien à une économie qui montre des signes de ralentissement.
La banque centrale a été aidée par la stabilisation de l’inflation : l’indice des prix à la consommation a diminué rapidement depuis juillet pour atteindre 1,3% en octobre en glissement annuel. D’abord provoquée par la baisse de la partie volatile de la courbe et des prix énergétiques, le ralentissement s’est ensuite diffusé à la partie sous-jacente de l’indice (+1,8% en octobre). Malgré les pressions à la hausse exercées par l'augmentation du taux de change, l'inflation devrait rester stable dans un contexte de faible demande, autour de 2,3% cette année et de 2% en 2025. Cette dernière prévision est inférieure à celle formulée avant la baisse de taux, qui était de 2,2%. Par ailleurs, la BoK estime que l’inflation sous-jacente devrait se situer dans sa cible des 2% l’année prochaine, autour de 1,9%.
La BoK abaisse son taux directeur pour réanimer l’économie nationale
La croissance de l'économie sud-coréenne a décéléré, s'établissant à 1,5 % au troisième trimestre en glissement annuel, contre 2,3% au trimestre précédent. Ce ralentissement s’explique en partie par la faiblesse des exportations. Moteur essentiel de la croissance coréenne, les exportations (38% du PIB en 2023) ont enregistré leur première baisse trimestrielle au troisième trimestre depuis la fin 2022, avec une diminution de 0,4%.
Les dépenses de consommation privées ont quant à elles progressé de 0,5% au troisième trimestre, marquant un revirement par rapport à la contraction de 0,2% enregistrée au trimestre précédent. Malgré cela, la reprise de la demande intérieure reste limitée par la faiblesse de l’investissement privé, qui a reculé de 0,7 % au T3.
L’importante dette des ménages (110% du PIB) reste également un frein à la demande intérieure, et un facteur de risque à surveiller de près. La structure du marché immobilier (endettement à taux variables, tendances à la spéculation, pénurie de logements) explique généralement l’attitude plutôt prudente de la banque centrale en matière de politique monétaire. Cette dernière a donc considéré que le ralentissement de l’activité était suffisamment préoccupant pour justifier un assouplissement. De fait, la consommation privée a régressé, passant de 52,3% en 2010 à 48,3% du PIB en 2023.
À l'avenir, la consommation devrait poursuivre sa tendance à la reprise modérée. En revanche, les exportations devraient continuer de faiblir. Bien que les grandes entreprises multinationales coréennes, notamment dans le secteur électronique, aient enregistré de bonnes performances ces derniers mois, elles doivent désormais faire face à une baisse des commandes en provenance de Chine et d'Europe, ainsi qu'à un début de modération de la demande américaine.
La croissance devrait atteindre 2,2% en 2024 et 1,8% en 2025. Néanmoins, sa trajectoire future est soumise à d’importantes incertitudes, liées à l’évolution de l’environnement commercial international, aux tendances des exportations dans le secteur électronique et au rythme de la reprise de la demande intérieure.
Le spectre du protectionnisme américain plane sur l’économie sud-coréenne
Rhee Chang-yong a exprimé les préoccupations du comité de politique monétaire concernant les mesures protectionnistes annoncées par Donald Trump. Le président élu américain a réitéré son intention d’imposer des droits de douanes d’au moins 10% sur l’ensemble des importations américaines.
Ces mesures tarifaires représentent une menace sérieuse pour le modèle économique sud-coréen, puisque les États-Unis représentent le deuxième marché pour les entreprises exportatrices coréennes. En 2023, les États-Unis ont absorbé près de 18,4% des exportations sud-coréennes. Le pays pourrait même faire l'objet de droits de douane plus élevés, compte tenu de l'augmentation significative du déficit commercial américain vis-à-vis du pays, passant de 11,5 milliards de dollars en 2019 à 44,4 milliards de dollars en 2023.
La Corée du Sud est également très vulnérable aux droits de douane sur les produits chinois, que Donald Trump envisage de porter à 60%. Cette mesure affecterait indirectement la Corée, car de nombreux produits exportés de Chine vers les États-Unis intègrent des composants coréens. La Chine est d’ailleurs le premier importateur de produits coréens, absorbant 19,7% des exportations coréennes en 2023.
Par ailleurs, la menace de Donald Trump d'imposer des droits de douane de 25% sur les produits mexicains pourrait avoir des répercussions négatives sur les nombreuses entreprises coréennes implantées au Mexique, telles que Hyundai, Samsung Electronics et LG.
Signataire d’un traité de libre-échange avec les États-Unis, la Corée du Sud aurait beaucoup à perdre d’un changement.
Notre opinion – En plus de la baisse de taux annoncée, la Bank of Korea a adopté une stratégie de "forward guidance", visant à influencer les anticipations des agents économique en annonçant de futures baisses potentielles. Précisément, Rhee Chang-yong a déclaré que trois membres du comité de politique monétaire étaient favorables à une nouvelle baisse du taux directeur dans les trois prochains mois. Deux réunions de politique monétaire auront lieu dans ces trois mois : la première le 16 janvier, la deuxième le 25 février. Nous anticipons une première baisse de 25 pdb au premier trimestre 2025, suivi d’une deuxième réduction plus conséquence de 50 pdb au deuxième trimestre, avant une stabilisation du taux directeur à 2,25%.
Le ralentissement de la demande mondiale, la faible reprise de la demande intérieure et la perspective d’une politique commerciale protectionniste agressive des États-Unis sont autant d’éléments qui justifient la mise en place de politiques accommodantes en Corée. Pour soutenir efficacement l'économie, la politique monétaire expansionniste pourrait être insuffisante. Des mesures budgétaires de relance, marquant un tournant par rapport à la politique budgétaire restrictive actuelle, permettraient de soutenir plus efficacement la demande intérieure.
Le ralentissement de la demande mondiale, la faible reprise de la demande intérieure et la perspective d’une politique commerciale protectionniste agressive des États-Unis sont autant d’éléments qui justifient la mise en place de politiques accommodantes en Corée. Pour soutenir efficacement l'économie, la politique monétaire expansionniste pourrait être insuffisante. Des mesures budgétaires de relance, marquant un tournant par rapport à la politique budgétaire restrictive actuelle, permettraient de soutenir plus efficacement la demande intérieure.
Matteo GUERRAZ, Economiste (stagiaire) - Asie