Indonésie – Prabowo Subianto débute son mandat dans un contexte économique favorable
- 19.12.2024
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Le président indonésien, entré en fonction le 20 octobre dernier, a annoncé fin novembre une hausse du salaire minimum de 6,5% pour l'année 2025 (contre une augmentation de 3% pour l'année 2024). En moyenne de 3,1 millions de roupies indonésiennes (IDR), soit environ 195 dollars, ce dernier diffère sensiblement selon les provinces : plus de 5 millions de roupies à Jakarta, contre 2 millions dans certaines régions rurales.
Le chiffre annoncé de 6,5% reflète une volonté de concilier les revendications des syndicats de travailleurs, qui réclamaient une augmentation de 10%, et les propositions des employeurs, qui se situaient autour de 3%. Certains syndicats ont salué cette mesure en annulant des grèves prévues, mais d'autres la jugent insuffisante.
Une croissance tirée par la demande intérieure
Cette revalorisation du salaire minimum vise à renforcer le pouvoir d'achat des travailleurs, et donc à stimuler la consommation des ménages et, par conséquent, la croissance économique. Le président Prabowo Subianto s'est engagé à porter cette dernière à 8% avant la fin de son mandat en 2029, alors qu'elle atteignait 5% en 2023. Or, la consommation intérieure, qui représente environ 55% du PIB au premier semestre 2024, est essentielle pour atteindre de tels taux de croissance.
Au troisième trimestre, le PIB indonésien a enregistré une croissance de 4,9% en glissement annuel (g.a.), légèrement en deçà des 5% observés au deuxième trimestre. Cette progression est principalement soutenue par une consommation privée robuste, affichant une hausse de 4,9% en g.a. au troisième trimestre. Cependant, une récente vague de licenciements – avec 60 000 suppressions d'emplois en octobre contre 35 000 en juillet – pourrait entamer la confiance des consommateurs et freiner la demande des ménages à court terme.
On constate par ailleurs un léger fléchissement de la demande extérieure, particulièrement en provenance de Chine (les importations chinoises depuis l'Indonésie ont baissé de 5,5% en octobre en g.a.), reflétant la faiblesse de la demande interne du géant asiatique. Cette tendance est exacerbée par les mesures protectionnistes du gouvernement de Joko Widodo, prédécesseur de P. Subianto. En effet, à la suite de manifestations ouvrières à Jakarta, le ministre du Commerce, Zulkifli Hasan, avait annoncé en juillet l'imposition de droits de douane de 200% sur les importations chinoises de produits textiles, électroniques et d'habillement. Pour rappel, la Chine est le premier client de l'Indonésie (28,4% des exportations) et son premier fournisseur (28,5% des importations).
Prabowo Subianto s'inscrit pleinement dans cette politique protectionniste. Il a notamment interdit la vente sur le territoire des derniers modèles d'iPhone et de téléphones Google Pixel, ces derniers ne respectant pas l'exigence de contenu national qui stipule que 40% des produits doivent être fabriqués avec des matières premières locales.
Ces mesures protectionnistes, bien qu'elles visent à stimuler l'industrie nationale, risquent d'isoler un pays déjà assez peu ouvert (le commerce extérieur représente environ 45% de son PIB), compliquant l'attraction d'investissements directs étrangers (IDE) et le développement d'une industrie à forte valeur ajoutée. L'Indonésie n'est pas le pays de la zone appliquant les droits de douane les plus élevés, mais joue sur les barrières non tarifaires : restrictions aux exportations (notamment sur les matières premières jugées sensibles) et exigence en contenu local, avec des règles parfois peu transparentes pour de potentiels investisseurs étrangers.
Pourtant, c'est bien en attirant un volume colossal d'IDE dans l'industrie manufacturière qu'un pays comme le Vietnam a pu atteindre, par le passé, des taux de croissance de 8%1.
La Banque centrale assure un assouplissement monétaire graduel
Cette augmentation du salaire minimum dépasse largement nos prévisions d'inflation pour l'année 2025, qui s'élèvent à 2,6%, et devrait donc effectivement soutenir une hausse du pouvoir d'achat des travailleurs concernés.
À 3,1% en mars 2024, l'inflation a décéléré continuellement. En novembre, elle s'établissait à 1,5% en g.a., son niveau le plus bas depuis juillet 2021. Cette baisse s'explique principalement par la diminution des prix des produits alimentaires et de certains carburants. En revanche, l'inflation sous- jacente a poursuivi sa légère tendance haussière amorcée en janvier 2024, s'établissant à 2,3% en novembre en g.a., contre 2,2% en octobre, signe que des effets de second tour continuent de s'appliquer.
L'inflation se situe donc dans la partie inférieure de la cible de 1,5% à 3,5% fixée par le gouvernement pour l'année 2024. Cela donne des marges de manœuvre à la banque centrale, qui devrait réduire son taux directeur lors du prochain comité de politique monétaire prévu le 18 décembre. Ce taux devrait être abaissé de 25 points de base (pdb), pour atteindre 5,75%. Cette baisse s'inscrirait dans la continuité des actions de la Fed, qui devrait également réduire ses taux en décembre.
Bien que la Bank Indonesia (BI) dispose d'une certaine marge de manœuvre, avec un taux directeur supérieur de 100 pdb au niveau pré-Covid (5%), elle reste attentive à l'évolution de sa devise face au dollar. La roupie s'est dépréciée d'environ 10% par rapport au billet vert au cours du premier semestre 2024, atteignant en juin son niveau le plus bas depuis mars 2020. Sur l'ensemble de l'année 2024, la monnaie indonésienne a enregistré une dépréciation d'environ 2,8% face au dollar. Dans ce contexte, la BI privilégie un assouplissement graduel.
Cependant, les pressions sur la roupie présentent un risque limité du fait de l'ampleur des réserves de change. Fin octobre, ces dernières atteignaient 151 milliards de dollars, un niveau qui couvre 6,6 mois d'importations, au-delà du seuil recommandé de trois mois.
Un dérapage budgétaire inévitable ?
Le président indonésien, entré en fonction le 20 octobre dernier, a annoncé fin novembre une hausse du salaire minimum de 6,5% pour l'année 2025 (contre une augmentation de 3% pour l'année 2024). En moyenne de 3,1 millions de roupies indonésiennes (IDR), soit environ 195 dollars, ce dernier diffère sensiblement selon les provinces : plus de 5 millions de roupies à Jakarta, contre 2 millions dans certaines régions rurales.
Pour financer son programme économique ambitieux et parvenir à son objectif de croissance de 8%, le nouveau gouvernement envisage de recourir à l'endettement public ainsi qu'à l'augmentation des recettes fiscales. Notons que ces dernières sont très basses, représentant seulement 10% du PIB en 2023. Le niveau structurellement bas des recettes est une fragilité importante pour l'économie indonésienne. Ce dernier avait en effet renoué avec la rigueur budgétaire, ramenant le déficit public sous la barre des 3% du PIB dès 2022 (cette contrainte avait été relâchée en 2020 et 2021 en raison du Covid), conformément à la règle d’or budgétaire du pays.
Bien que l'Indonésie affiche la dette publique la plus faible des économies de l'Asean et du G20 (39% du PIB), sa structure présente des risques. En effet, plus d'un tiers de la dette est libellé en devises, ce qui la rend vulnérable aux effets de change.
Parmi les nouvelles mesures annoncées par le président figure un plan de dons de repas gratuits aux écoliers. Il s'agit de fournir des repas à environ 80 millions d'enfants indonésiens, pour un coût total de 450 000 milliards de roupies, soit 29 milliards de dollars (2% du PIB).
Notre opinion – Le nouveau président hérite d'un contexte économique plutôt favorable, mais reste limité par les faiblesses traditionnelles du pays : base fiscale très étroite, dépendance aux matières premières, industrie encore peu compétitive expliquant les biais protectionnistes pour protéger les entreprises domestiques d'une concurrence extérieure nécessairement attirée par le vaste marché indonésien (278 millions d'habitants). Pour les surmonter, il lui faudra prendre des risques : celui d'ouvrir un peu plus l'économie afin d'attirer les investisseurs et d'insérer l'Indonésie dans les échanges internationaux – un pari peut être risqué dans le contexte ambiant, même si le pays aurait une carte à jouer dans la réorganisation de certaines chaînes de valeur. Ou bien tout miser sur le marché domestique en espérant que la hausse des revenus déclenche un cercle vertueux permettant de lever plus d'impôts et donc d'accorder au gouvernement les moyens budgétaires nécessaires pour accompagner le développement.
Article publié le 13 décembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
1Voir : Les IDE, carburant durable de la croissance économique du Vietnam ?
Le nouveau président hérite d'un contexte économique plutôt favorable, mais reste limité par les faiblesses traditionnelles du pays : base fiscale très étroite, dépendance aux matières premières, industrie encore peu compétitive expliquant les biais protectionnistes pour protéger les entreprises domestiques d'une concurrence extérieure nécessairement attirée par le vaste marché indonésien (278 millions d'habitants).
Matteo GUERRAZ, Economiste (stagiaire) - Asie