Métavers, la renaissance !

Métavers, la renaissance !

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Imaginez-vous un instant au cœur d’une nouvelle ère numérique, un monde en trois dimensions où réalités virtuelle et augmentée fusionnent pour créer des expériences de vie inédites et totalement immersives. Ainsi, il y a quatre ans, allait gaiement un métavers revenu du passé et porté aux nues en 2022. Mais l’ouragan ChatGPT est passé depuis sur ses terres virtuelles. Une nouvelle fois ringardisé, au fond du gouffre abyssal des désillusions, le métavers déprime avec son vieux camarade Second Life. Et pourtant, sa déclinaison industrielle pourrait bien lui redonner un nouveau souffle.

Euphorie

Le métavers, avec ses espaces virtuels rendus hautement immersifs grâce à des dispositifs électroniques de pointe, promettait, selon Goldman Sachs, une méta-économie florissante aux 12 500 milliards de dollarsCette nouvelle économie de la création, entièrement tournée vers le consommateur et ses avatars, reposait sur l'hypothèse que 33% de l'économie numérique migrerait vers ces nouveaux environnements, avec une croissance annuelle de 25%. 

Une aubaine pour les géants du numérique qui ont naturellement et massivement acheté cette vision. En effet, ces nouvelles plateformes virtuelles pensées comme programmatiques, infinies, voire perpétuelles, leur ouvraient de vastes opportunités en matière de récupération d’informations. Dans ces environnements, nos doubles numériques sont conçus pour générer des quantités astronomiques de données biométriques, de santé et de mouvements. Une collecte estimée 300 fois plus importante à celle obtenue aujourd’hui par exemple sur un smartphone !

En 2021, Meta a donc injecté 10 milliards de dollars dans Reality Labs, son laboratoire de réalité virtuelle. En Chine, Tencent, le géant chinois de la technologie, a investi des sommes comparables, attiré par un marché du métavers de 8 000 milliards de dollars projeté par Morgan Stanley. 

En 2023, en dépit d'une baisse significative de l'intérêt pour les univers virtuels, notamment ceux basés sur des modèles décentralisés, Microsoft déboursait tout de même quelque 75,4 milliards de dollars pour s’emparer du géant des jeux vidéo, Activision Blizzard, dans le but de révolutionner la 3D immersive.

Désillusion

Cet engouement initial autour d’univers centrés avant tout sur le consommateur a certainement produit des attentes démesurées souvent portées par des excès marketing et matérialisées dans la pratique par une myriade indigeste d’expériences virtuelles sans véritable utilité, marché ou fondement économique. 

La faible adoption de matériels et logiciels immersifs décevants couplée à la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) ont forcé les industriels du numérique a changé radicalement leurs priorités vis-à-vis du développement et du déploiement du métavers.

Dernièrement, en Chine, la presse rapportait de nouvelles réductions d'effectifs, cette fois-ci au sein de la division métavers d'Alibaba. Cette unité, que le géant chinois du numérique avait constituée en 2021, comptait à son paroxysme quelque 300 personnes. Ce dispositif visait aussi à positionner l’empire du Milieu en tête de la course mondiale à la renaissance des mondes virtuels. Ce nouveau revers intervient après la restructuration de la division de réalité virtuelle de ByteDance, la maison-mère de TikTok. 

Repositionnement

Ces derniers développements ne marquent pourtant pas la fin du métavers. Ils indiquent plutôt un repositionnement des acteurs mondiaux de sa chaîne de valeur vers un socle technologique repensé pour des marchés plus ciblés et mieux évalués. Certes, Alibaba réduit ses ambitions dans le métavers, mais le conglomérat continue à souligner son engagement envers le potentiel à long terme des environnements immersifs. 

Par ailleurs, depuis Cupertino, son site basé en Californie, Apple tente de faire basculer ces univers dans l’ère de l’ordinateur spatial, avec son casque Vision Pro, pariant ainsi sur la réalité mixte1. Un marché prévu pour connaître une forte croissance au cours des cinq prochaines années au détriment des métavers basés uniquement sur la réalité virtuelle. 

Le métavers possède donc encore un fort potentiel disruptif : il ne se limite pas aux seuls enjeux d’un consommateur ludique, mais il contribue également à la numérisation de l’industrie. 

Avec lui, on assiste à la transformation profonde des chaînes de production, comme vient de le rappeler S&P Global dans une étude datée d’octobre dernier2.

Rebond

Cette étude, réalisée en collaboration avec Siemens et basée sur une enquête auprès de 907 organisations impliquées dans des projets de métavers industriel, révèle que 62% d'entre elles ont augmenté leurs investissements dans ce domaine depuis 2023. 

Cette tendance est particulièrement marquée parmi les grandes entreprises qui visent des objectifs stratégiques tels que l’augmentation de leurs revenus, le renforcement de leur capacité d’innovation et la réduction de leurs coûts opérationnels. 

Si le métavers industriel semble donc gagner du terrain chez les géants industriels, il est aussi intéressant de noter que son attrait auprès des entreprises de plus petite taille ne faiblit pas

Intégrateur

Au-delà des concepts, le métavers s'appuie en effet sur de très nombreuses technologies existantes telles que les jumeaux numériques, la réalité mixte, l’Internet industriel des objets, le edge computing3 et bien sûr l'IA en mère-nourricière, autant de constituants qui participent déjà à fonder l’industrie du futur. 

Alors que toutes ces technologies gagnent en interopérabilité, le métavers se mue en intégrateur transformatif. Aujourd'hui considéré comme une plateforme combinatoire de technologies, le métavers industriel s’entend désormais comme un écosystème numérique unifié visant à améliorer toute la chaîne de fabrication de l’industriel

Compétitivité

Renault est un excellent cas d’entreprise à ce niveau. Le constructeur automobile français a mis en place un métavers à grande échelle dans le but de transformer son système industriel afin d’accroître sa compétitivité face à une concurrence acharnée. 

Éric Marchiol, Directeur Metaverse industrie et qualité Renault Group, a récemment déclaré dans les médias que Renault visait ainsi à se mesurer « aux titans chinois qui s’appuient sur des usines quasiment neuves ». La performance du métavers de Renault est avant tout attribuée à sa capacité à capter de la donnée propriétaire, standardisée à l'échelle, ceci sur tous ses sites et équipements dans le monde. 

Un avantage concurrentiel que peineraient à répliquer ses compétiteurs japonais, américains, allemands et même chinois.

Gains

Depuis 2019, date de son lancement, ce jumeau numérique de la chaîne de fabrication profonde de Renault a accompagné plus de 300 projets, « de la qualité à la supply chain, en passant par la maintenance et l'énergie ». 

Le constructeur automobile indique avoir réalisé plus de 700 millions d'euros de gains grâce à son métavers industriel et prévoit d'engranger 300 à 400 millions d'euros d'économies supplémentaires.

Siemens, qui a annoncé en 2023 son intention d'investir 500 millions d'euros afin de faire de son site d'Erlangen en Bavière un centre mondial des activités technologiques axées sur le métavers industriel, mène une stratégie analogue à celle de Renault.

En intégrant des technologies telles que l'intelligence artificielle, les jumeaux numériques et la robotique, le groupe allemand a d’ores et déjà réussi à créer des usines parmi les plus avancées au monde, générant également des gains significatifs en termes de productivité et d'efficacité énergétique. 

Grâce à ces innovations combinées, la productivité de son usine d'Erlangen a, par exemple, augmenté de 69%, tandis que sa consommation d'énergie a diminué de 42%.

Avenir

Les succès de ces leaders, pionniers d’une nouvelle révolution industrielle, devraient en toute logique encourager d’autres industriels européens à créer à leur tour des écosystèmes numériques pour leurs usines. En suivant l’exemple de Renault et Siemens, ces entreprises peuvent concrètement exploiter le potentiel transformateur du métavers, intégrateur technologique, afin de stimuler une innovation durable à très forte potentialité de gains.

Malgré les nombreux défis qui accompagnent chaque projet, qui persistent sur chaque site de fabrication, qu'il s'agisse de gouvernance, d'interopérabilité, d'expertise technique ou de résistance au changement, le métavers est là, bien vivant. Ses potentialités s’expriment en arrière-plan de nos vies de consommateurs. Mieux, il progresse, s’impose sur le plan industriel et s’invite au secours d'une Europe dont le tissu industriel en déclin doit impérativement regagner en compétitivité sur la scène mondiale.

 

  1. Combinaison de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée où l’utilisateur peut agir simultanément avec des objets virtuels et réels dans un même environnement
  2. Industrial Metaverse Research Study, 451 Research Discovery Report, S&P Global, October 2024
  3. L’edge computing désigne le traitement informatique qui rapproche les applications d’entreprise des sources de données. Cette proximité avec les données à la source peut offrir des avantages considérables aux entreprises, notamment des analyses plus rapides, une amélioration des temps de réponse et une meilleure disponibilité de bande passante.
Métavers, la renaissance !

Aujourd'hui considéré comme une plateforme combinatoire de technologies, le métavers industriel s’entend désormais comme un écosystème numérique unifié visant à améliorer toute la chaîne de fabrication de l’industriel. Si le métavers industriel semble donc gagner du terrain chez les géants industriels, il est aussi intéressant de noter que son attrait auprès des entreprises de plus petite taille ne faiblit pas.

Romain LIQUARD, Responsable Domaines Industrie et Services