Monde – Scénario 2025-2026 : un scénario conditionnel, plus que jamais
- 20.12.2024
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- Editorial : un scénario conditionnel, plus que jamais
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- Prévisions économiques & financières
En résumé
Plus que jamais, les perspectives sont conditionnées par la tournure que prendront la géopolitique et la politique économique américaines. Les hypothèses émises sur l'ampleur et le calendrier des mesures qui seront prises par la nouvelle administration conduisent à tabler, aux États-Unis, sur la résistance de l'économie, mais aussi sur un regain d'inflation, un assouplissement monétaire modeste et des pressions haussières sur les taux d'intérêt longs. Ces mesures ne sont, en outre, qu'une des explications de la reprise poussive, à un rythme inférieur au potentiel, que connaîtrait la zone euro.
Dessiner les contours du scénario américain (et partant, mondial) suppose évidemment d'émettre des hypothèses tant sur l'ampleur des mesures susceptibles d'être mises en œuvre que sur leur calendrier, selon qu'elles relèvent des prérogatives présidentielles ou nécessitent l'approbation du Congrès.
Du côté des droits de douane, les menaces de D. Trump semblent s'apparenter à des moyens de pression extrême. Elles invitent à retenir un scénario "intermédiaire" consistant en des hausses substantielles, sans pour autant atteindre les propositions de campagne. Les droits de douane passeraient ainsi à 40% en moyenne pour la Chine, à partir du deuxième trimestre 2025, et à 6% en moyenne pour le reste du monde, introduits progressivement au second semestre 2025. Une politique budgétaire agressive, privilégiant les baisses d'impôts et maintenant des déficits extrêmement élevés, serait mise en œuvre plus tardivement : ses effets pourraient être manifestes à partir de 2026. En termes d'immigration, des restrictions pourraient être appliquées dès le début du mandat présidentiel. Elles seraient suivies d'un très net ralentissement des flux d'immigration et, si des expulsions sont à prévoir, elles seraient "sélectives" par opposition à un renvoi massif et indiscriminé de millions de personnes. Enfin, la déréglementation, dont les secteurs de l'énergie et de la finance seraient vraisemblablement les principaux bénéficiaires, viendrait plutôt diffuser ses "bienfaits" tout au long du mandat.
Ces orientations politiques devraient être, dans leur ensemble, favorables à la croissance. Mais, si l'effet positif attendu d'une politique budgétaire agressive et de la déréglementation excède l'impact négatif des droits de douane et des restrictions en matière d'immigration, il lui sera postérieur. Compte tenu de la résistance de l'économie américaine dont la croissance devrait encore déjouer les prévisions pour s'établir vers 2,7% en 2024, cela laisse présager une croissance toujours soutenue, quoique légèrement plus faible. En raison de quelques vulnérabilités (ménages à faible revenu, petites entreprises, plus exposés à des taux d'intérêt élevés), notre scénario table donc sur un ralentissement en 2025 vers 1,9%, avant un redressement à 2,2% en 2026 : une évolution qui devrait s'accompagner d'un regain d'inflation. La fin du parcours désinflationniste pour atteindre la cible de 2% est, en effet, la plus ardue et les droits de douane pourraient se traduire par des pressions sur les prix comprises dans une fourchette de 25 à 30 points de base. L'inflation totale pourrait ainsi se replier vers 2% au printemps prochain, avant de se redresser à environ 2,5% d'ici fin 2025 et s'y maintenir en 2026 : le potentiel d'assouplissement politique monétaire sera très limité.
Dans la zone euro, l'accélération de la croissance au cours de l'été permet d'espérer une reprise seulement poussive, à un rythme toujours inférieur au potentiel et à celui dont profiteront les États-Unis. Si le redressement de la consommation des ménages acté au cours de l'été augure d'une croissance un peu plus soutenue, les dernières informations sur l'investissement ne présagent pas d'une accélération marquée. Baisse de l'inflation permettant une hausse du pouvoir d'achat, mais aussi une reconstitution de la richesse réelle impliquant un moindre effort d'épargne et taux d'intérêt plus bas aidant à restaurer le pouvoir d'achat immobilier : les ingrédients sont bien présents pour une poursuite de la reprise des dépenses des ménages. Mais à un rythme seulement très modéré car la consolidation budgétaire et l'incertitude globale risquent d'inciter à maintenir un taux d'épargne élevé. Notre scénario retient donc une accélération modeste de la consommation à 1,1% en 2025 et 1,2% en 2026, après 0,9% en 2024. Après un net recul en 2024 ( 2,1%), l'investissement en 2025 continuerait d'être pénalisé par le délai de transmission des réductions des taux d'intérêt mais, surtout, par la faiblesse de la demande domestique et une incertitude croissante sur la demande étrangère. L'investissement ne croîtrait que de 1,5%, avant de se raffermir légèrement en 2026 (2%).
Les politiques de l'administration Trump auraient un impact modérément négatif sur la croissance de la zone euro, dont le canal le plus important à court terme serait l'incertitude. Par ailleurs, le dosage des politiques monétaire et budgétaire reste défavorable à la croissance avec, notamment, un taux directeur qui retrouve la neutralité mi-2025, alors que la réduction du bilan de la BCE continue d'imprimer une orientation restrictive. Les prévisions situent donc la croissance sur une tendance à l'accélération seulement très molle, passant de 0,7% en 2024 à 1% en 2025, puis 1,2% en 2026 : la croissance potentielle serait atteinte, mais l'écart de production, faiblement négatif, ne serait pas encore comblé, alors que l'écart de croissance avec l'économie américaine se creuserait.
Du côté des pays émergents, s'il n'y avait pas les difficultés liées à "Trump 2.0", le contexte serait en voie d'amélioration : baisse des taux directeurs américains propice à l'assouplissement monétaire global, à l'allégement des pressions baissières sur les devises émergentes et, plus généralement, aux financements extérieurs des pays émergents ; croissance domestique portée par le recul de l'inflation et les baisses de taux d'intérêt ; exportations à destination des pays développés (en premier lieu, des États-Unis) encore soutenues. Mais les effets des facteurs de soutien risquent d'être contrariés par les répercussions probables des mesures de la nouvelle administration américaine. Aux droits de douane susceptibles de renchérir et limiter les exportations émergentes s'ajoutent une moindre accommodation monétaire américaine et une diminution probable du soutien militaire et financier des États-Unis à l'Ukraine alimentant l'incertitude géopolitique en Europe. Il sera donc préférable d'être un grand pays peu ouvert tel l'Inde, l'Indonésie, le Brésil, un pays exportateur de matières premières ou une économie bien intégrée à la Chine qui se prépare à la tempête Trump.
En Chine, la dernière réunion du Politburo s'est, en effet, conclue en décembre par un engagement des autorités à mettre en œuvre une politique budgétaire "plus proactive" et une politique monétaire "suffisamment accommodante", afin de relancer la demande intérieure et de stabiliser les marchés immobiliers et actions. Une période de tensions commerciales s'annonce et, hormis les restrictions aux exportations de produits critiques (dont les terres rares), les moyens de rétorsion sont limités : difficile de répondre en stimulant la compétitivité des exportations (le yuan est déjà historiquement bas) ou en procédant à une hausse réciproque des tarifs qui risquerait de pénaliser une consommation domestique déjà très fragile. Les intentions de soutien plus franc à la demande domestique de la part des autorités sont louables, mais l'efficacité de cette stratégie reste conditionnée par la confiance des ménages : le rebond ne se décrète pas et notre scénario continue de tabler sur un fléchissement de la croissance en 2025.
Les espoirs de "fol assouplissement monétaire" de la part du marché ont été démentis et ne sont absolument plus à l'ordre du jour, tout particulièrement aux États-Unis. Dans une économie supposée rester "résiliente" avec une inflation se maintenant au dessus de 2%, puis susceptible de se redresser, l'assouplissement serait, en effet, modeste. Après une réduction totale de 100 points de base en 2024 (pdb), la Fed procéderait à un assouplissement supplémentaire total de 50 pdb, portant le taux des Fed funds (limite supérieure de la fourchette cible) à 4,00% au premier semestre 2025, avant de marquer une pause prolongée.
Quant à la BCE, avec une inflation conforme à l'objectif et sans récession en vue, elle poursuivrait un assouplissement modéré via ses taux directeurs, tout en prolongeant son resserrement quantitatif. Après ses quatre réductions de 25 pdb en 2024, la BCE baisserait ses taux de 25 pdb aux réunions de janvier, mars et avril, puis maintiendrait son taux de dépôt à 2,25%, soit très légèrement sous l'estimation du taux neutre (2,50%).
Tout concourt à dessiner un scénario de modeste remontée des taux d'intérêt longs. Compte tenu du scénario économique (ralentissement limité de la croissance et modération de l'inflation concentrés en début de période) et d'un assouplissement monétaire modeste suivi d'une pause plus précoce, les taux d'intérêt américains pourraient légèrement baisser au premier semestre 2025 avant de se redresser. Les nouvelles prévisions de taux sont plus élevées que les précédentes et envisagent un taux des Treasuries à dix ans approchant 4,50% fin 2025, puis environ 5,00% fin 2026.
Dans la zone euro, plusieurs facteurs conduisent à un scénario de légère hausse des taux d'intérêt souverains : des anticipations d'assouplissement monétaire trop audacieux de la part des marchés dont la correction pourrait susciter un redressement des taux de swap, une hausse du volume de titres publics liée à la réduction par la BCE de la taille de son bilan (Quantitative Tightening) ainsi qu'à des émissions nettes nationales encore élevées, une diffusion de la hausse des taux obligataires américains à leurs équivalents européens, attendue fin 2025 et en 2026. Alors que l'économie allemande (où des élections anticipées devraient se tenir en février) continue à souffrir, que la situation politique en France peine à s'éclaircir, les pays dits "périphériques" ont vu leurs bons résultats économiques (notamment l'Espagne) ainsi que leur stabilité politique (cela vaut pour l'Italie et l'Espagne) récompensés par un resserrement notable de leurs spreads à l'égard du taux allemand à dix ans en 2024 : ils devraient bénéficier des mêmes soutiens en 2025. Notre scénario retient donc des taux d'intérêt à dix ans allemand, français et italien de, respectivement, 2,55%, 3,15% et 3,55% fin 2025.
Enfin, du côté du dollar de nombreux facteurs positifs, dont le renforcement de son attrait en termes de rendement, sont déjà intégrés dans son cours. En conséquence, notre scénario table sur un billet vert restant proche de ses points hauts récents tout au long de l'année 2025, sans les dépasser durablement.
Les politiques de l'administration Trump auraient un impact modérément négatif sur la croissance de la zone euro, dont le canal le plus important à court terme serait l'incertitude.
Catherine LEBOUGRE, Economiste