Thaïlande – Un rebond timide de la croissance
- 13.12.2024
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En résumé
La Thaïlande affiche une croissance de 3% au troisième trimestre en glissement annuel (g.a.), contre 2,2% au trimestre précédent. Sur les neuf premiers mois de 2024, l'économie thaïlandaise a progressé de 2,3%, dépassant ainsi les 1,9% enregistrés sur l'ensemble de l'année 2023.
Cette reprise est principalement portée par une forte augmentation de la consommation publique (+6,3% au T3) et de l'investissement (+5,2% au T3). En revanche, la consommation privée montre des signes de ralentissement, avec une progression de 3,4% au troisième trimestre, contre 4,9% au deuxième trimestre et 6,1% au premier.
Le commerce extérieur continue de soutenir l'économie thaïlandaise, avec des exportations en hausse de 11,2% en g.a. ce trimestre, surpassant la progression des importations (+10,5%). Pour rappel, la Thaïlande est une économie très axée sur les exportations (environ 65% du PIB). Mais en 2023, la croissance était restée contrainte par la faiblesse des débouchés extérieurs (-2,8% pour les exportations de biens), ce qui avait expliqué ses performances en demi-teinte.
Cette année, la trajectoire de croissance est plutôt pénalisée par la faiblesse de la consommation, qui se reflète dans les chiffres de l'inflation. Le pays oscille ainsi entre déflation et désinflation : après une phase d'accélération en 2022, marquée par la hausse des prix alimentaires et surtout énergétiques, l'inflation a rapidement décéléré, passant de 6,1% en 2022 à 1,2% en 2023, avec une phase de déflation à la fin de l'année. En novembre 2024, l'indice des prix à la consommation a progressé de 0,9% en g.a., en légère hausse par rapport aux 0,8% enregistrés en octobre. L'inflation est attendue autour de 0,4% pour l'année 2024, bien en-deçà de la fourchette cible de 1-3% fixée par la Bank of Thailand (BoT).
Malgré cela, la BoT se trouve contrainte dans son assouplissement monétaire. Le taux directeur, abaissé à 2,25% en octobre, est déjà nettement inférieur à celui de la Fed. Une nouvelle réduction des taux exposerait ainsi le pays à des sorties de capitaux et à des pressions accrues sur le taux de change, alors même que la banque centrale a réussi à stabiliser le cours du baht.
Un secteur touristique toujours à la peine
En 2023, la Thaïlande a accueilli environ 28 millions de touristes, chiffre en progression de plus de 150% par rapport à 2022, mais toujours inférieur de 30% à celui de 2019. La reprise du tourisme s'est poursuivie en 2024, avec 26 millions de visiteurs recensés entre janvier et septembre, contre 20 millions sur la même période en 2023 et 29 millions en 2019.
Bien que les flux touristiques repartent à la hausse depuis 2022, la dépense par tête des visiteurs demeure nettement inférieure aux niveaux prépandémiques. De fait, les revenus liés au tourisme, qui avoisinaient les soixante milliards de dollars en 2019, n'ont atteint que trente milliards en 2023. Cela peut être attribué en partie à une évolution dans les pays d'origine des touristes.
La reprise du tourisme chinois reste lente. Malgré la levée progressive des restrictions de voyage pour les ressortissants chinois en 2023, les subventions gouvernementales encourageant le tourisme domestique en Chine ont probablement freiné la reprise des voyages internationaux. En outre, ceux qui continuent de voyager consomment peu – reflet d'une situation économique difficile en Chine. De même, le nombre de visiteurs en provenance du Japon ou de la Corée du Sud, au pouvoir d'achat élevé, peine à retrouver les niveaux de l'année 2019. En revanche, on observe une croissance du nombre de touristes en provenance d'Inde et de Malaisie notamment.
Le tourisme occupe une place prépondérante dans l'économie thaïlandaise et contribue de manière significative aux excédents de la balance courante du pays. En 2019, cet excédent atteignait 7% du PIB. L'arrêt brutal du secteur touristique a entraîné un déficit courant de 3,5% du PIB en 2022.
Une grande partie du secteur touristique (hôtellerie, restauration, etc.), comptabilisée comme des exportations de services, permet à la balance des services d'enregistrer des excédents conséquents. Au cours des neuf premiers mois de l'année 2024, la balance des biens et services a enregistré un excédent de 4,55 milliards de dollars. Ce résultat se décompose en un excédent de 5,8 milliards de dollars pour la balance commerciale et un déficit de 1,25 milliard de dollars pour la balance des services, signe d'une reprise encore timide du secteur touristique.
Conscient du rôle cardinal joué par le tourisme dans l'économie, le gouvernement a mis en place diverses mesures pour stimuler le secteur touristique. L'une des initiatives phares consiste à autoriser les ressortissants de plusieurs dizaines de pays à entrer sur le territoire sans visa pour un séjour allant jusqu'à 60 jours, contre 30 auparavant. Des programmes visant à attirer les « travailleurs nomades » avaient aussi été mis en place fin 2022.
Le gouvernement opte pour une relance de court terme
Fin septembre, le gouvernement thaïlandais a lancé un ambitieux programme de distribution monétaire à sa population. Ce plan prévoit d'octroyer 10 000 bahts (environ 292 dollars) à près de 50 millions de Thaïlandais, sélectionnés selon des critères d'âge et de revenus. La première phase de distribution a concerné quinze millions de bénéficiaires. Le coût total de cette initiative devrait avoisiner les 500 milliards de bahts (13,1 milliards de dollars). Le financement du programme sera assuré par les budgets 2024 (152,7 milliards de bahts) et 2025 (175 milliards de bahts), ainsi que par la Bank for Agriculture and Agricultural Cooperatives (172,3 milliards de bahts).
Conçue pour stimuler la consommation à court terme, le gouvernement estime que la première salve de dons devrait engendrer un impact positif sur le PIB compris entre 0,2% et 0,35%. Toutefois, ce programme ne résout pas les problèmes structurels de l'économie thaïlandaise, notamment l'endettement élevé des ménages qui frôle les 90% du PIB et freine la consommation.
En outre, l'instabilité politique actuelle empêchera peut-être la Première ministre, Paetongtarn Shinawatra, de mener à bien ce projet. Pour rappel, Shinawatra n'est autre que la fille et nièce de Thaksin et Yingluck Shinawatra, tous deux anciens Premiers ministres thaïlandais renversés par des coups d'État militaires en 2006 et 2014.
L'été 2024 avait déjà été marqué par une forte turbulence politique : le Premier ministre Srettha Thavisin a été destitué par la Cour constitutionnelle car il avait nommé dans son cabinet un avocat condamné pour corruption, tandis que le parti Move Forward était dissous et certains de ses membres frappés d'inéligibilité pour avoir fait campagne pour réformer le crime de lèse-majesté, extrêmement strict en Thaïlande.
Ainsi, malgré son élection récente, Paetongtarn Shinawatra n'est pas à l'abri des turbulences politiques caractéristiques du royaume.
Notre opinion – La Thaïlande reste un des rares pays à ne pas encore avoir retrouvé son niveau de PIB prépandémie : la récession y avait été particulièrement violente et la reprise demeure peu dynamique. La timide relance amorcée en 2024 devrait toutefois se poursuivre en 2025. Nous anticipons une croissance de 2,6% pour l'année 2024, puis de 2,8% pour 2025. Certains risques baissiers pourraient néanmoins impacter l'activité, comme la détérioration de la demande internationale, en particulier chinoise et américaine.
Pour relancer la croissance, le nouveau gouvernement privilégie une stimulation à court terme de la consommation, au détriment de réformes plus profondes. Or, le retour à un sentier de croissance supérieur à 3% sur le moyen et long terme impliquera pour la Thaïlande de sortir de sa trop forte dépendance au tourisme, d'être mieux placée dans les chaînes de valeur de la zone, et de répondre à ses défis structurels (vieillissement de la population, classe moyenne qui peine à émerger, productivité insuffisante, etc.). Le pays dispose d'un marché intérieur vaste (70 millions d'habitants), où le développement de la classe moyenne et le passage à une croissance mieux équilibrée entre consommation privée et excédents courants constitueraient une évolution idéale du modèle.
Article publié le 6 décembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
La Thaïlande reste un des rares pays à ne pas encore avoir retrouvé son niveau de PIB prépandémie : la récession y avait été particulièrement violente et la reprise demeure peu dynamique. La timide relance amorcée en 2024 devrait toutefois se poursuivre en 2025.
Matteo GUERRAZ, Economiste (stagiaire) - Asie