Pologne – Une cohabitation très laborieuse

Pologne – Une cohabitation très laborieuse

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Entre le nouveau Premier ministre, D. Tusk, et le président Duda, la guerre politique ne fait que s'exacerber depuis la prise de fonction du Premier ministre mi-décembre 2023. Tout d'abord, le président a retardé autant que possible la nomination du nouveau gouvernement de la coalition qui est sortie victorieuse des élections d'octobre dernier. Ensuite, il a exercé son droit de veto pour bloquer un projet de loi sur la refonte de la TVP (chaîne de télévision publique). Le dernier conflit concerne l'emprisonnement de deux anciens députés, auxquels le président avait accordé une grâce présidentielle en 2015 ; une bataille juridique est en cours pour savoir si ce processus d'arrestation (assez invraisemblable car les deux députés étaient réfugiés dans les bureaux du palais présidentiel) est constitutionnellement admissible ou non. Pour faire monter les tensions, le parti PiS (Droit et justice) a organisé une marche dans les rues de Varsovie avec des sympathisants du parti venus des quatre coins du pays grâce à des bus affectés pour l'occasion par les structures du PiS, accusant le Premier ministre d'avoir recours à des « emprisonnements politiques ».

Que PiS, l'ancien parti au pouvoir, lâche les rênes de façon démocratique et pacifique était déjà peu probable, mais de là à ce qu'ils se présentent comme les défenseurs de l'État de droit en Pologne, la plaisanterie frôle le mauvais goût ! Pire encore, l'ancien Premier ministre fait appel aux institutions de Bruxelles pour « les aider », alors que ces derniers étaient fortement décriés et discrédités par les dirigeants du PiS.

L'enjeu majeur pour le gouvernement Tusk consiste, dans un premier temps, à détricoter l'immense filet anti-démocratique qui a été tissé durant les huit ans de gouvernance du PiS. La tâche est très difficile et dangereuse, car le « verrouillage » institutionnel va très loin. D'abord, il faut défaire la législation et, sur ce point, le président Duda a encore la capacité d'utiliser son droit de veto, et ce jusqu'aux prochaines élections présidentielles de 2025, quand son deuxième mandat se terminera et qu'il ne pourra plus être éligible. Ensuite, il faut rappeler que le PiS a placé « ses hommes » aux postes clés des institutions du pays, notamment les juges de la Cour constitutionnelle et aux autres juridictions d'échelon inférieur, ainsi que dans les médias ou les grandes entreprises publiques. Il est donc difficile d'agir vite et à grande échelle pour remettre l'État de droit dans une situation conforme aux règles de l'Union européenne. Or, le temps c'est précisément l'ingrédient dont D. Tusk dispose le moins, car Bruxelles a besoin d'actions concrètes allant dans le bon sens pour pouvoir débloquer l'enveloppe du Fonds de relance à la Pologne, bloquée en raison des atteintes à l'État de droit. Cette « fenêtre » est donc largement exploitée par le PiS afin de déstabiliser Tusk et la coalition en place, en créant des tensions politiques dans le pays. Toutefois, Bruxelles est très confiant vis-à-vis de la nouvelle politique de Varsovie et il ne faut pas négliger les capacités et l'expérience politique de D. Tusk qui saura manœuvrer pour trouver des issues et faire avancer son agenda politique.

Le déblocage des fonds a d'ores et déjà commencé avec une première tranche de 5 milliards d'euros versée en décembre dernier et les financements devraient se poursuivre cette année. Pour rappel, l'ensemble de l'enveloppe représente environ 36 milliards d'euros en subventions et prêts. Le plan de relance du pays a déjà été validé et la structure des financements devrait se répartir à hauteur de 37% pour la transformation énergétique, sujet très cher au nouveau gouvernement, la digitalisation doit représenter autour de 20% des financements et le reste sera consacré aux améliorations du système de santé, de l'éducation, etc.


Article publié le 12 janvier 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

Pologne – Une cohabitation très laborieuse

Il faut rappeler que le PiS a placé « ses hommes » aux postes clés des institutions du pays, notamment les juges de la Cour constitutionnelle et aux autres juridictions d'échelon inférieur, ainsi que dans les médias ou les grandes entreprises publiques. Il est donc difficile d'agir vite et à grande échelle pour remettre l'État de droit dans une situation conforme aux règles de l'Union européenne. Or, le temps c'est précisément l'ingrédient dont D. Tusk dispose le moins, car Bruxelles a besoin d'actions concrètes allant dans le bon sens pour pouvoir débloquer l'enveloppe du Fonds de relance à la Pologne, bloquée en raison des atteintes à l'État de droit.

Ada ZAN, Economiste