Royaume-Uni – Élections britanniques : plus qu'une victoire du Labour, un effondrement des conservateurs

Royaume-Uni – Élections britanniques : plus qu'une victoire du Labour, un effondrement des conservateurs

En résumé

En ligne avec les anticipations, le Parti travailliste a remporté une victoire écrasante aux élections législatives britanniques du 4 juillet dernier, mettant fin à 14 ans de pouvoir des conservateurs. Le Labour obtient 411 sièges à la Chambre basse du parlement sur un total de 650, contre 202 aux élections de 2019. 

Le Parti conservateur essuie une défaite historique : il n'obtient que 121 sièges, soit le tiers de ce qu'il avait obtenu en 2019 (376). Le Parti conservateur réalise toutefois un score meilleur que prévu, totalisant près de 24% du vote national et obtenant plus de sièges qu'anticipé par les sondages avant les élections qui lui accordaient moins de 100 sièges. L'écart par rapport au pourcentage de votes obtenu par le Labour n'est finalement que de 10 points de pourcentage, soit la moitié de ce que prédisaient les sondages.

Keir Starmer, leader du Parti travailliste sera le nouveau Premier ministre. Il bénéficierait d'une majorité significative de 172 sièges à la Chambre des communes, comparable à celle de Tony Blair en 1997 (179).

Cette victoire du Labour est toutefois à relativiser : elle ne reflète pas une popularité en hausse du Parti travailliste, bien au contraire. Attirant près de 34% du vote national, le Labour enregistre le pire score d'un parti gagnant lors d'élections législatives. Il est nettement plus faible que celui obtenu par Jeremy Corbyn en 2017 (40% des votes), lorsque le Parti travailliste avait perdu contre les conservateurs. 

La victoire du Labour est en partie le résultat d'un report des votes de droite vers le Parti anti-establishment Reform UK, l'ex-Brexit party de Nigel Farage (14% des votes) et vers le Parti centriste des libéraux démocrates (12% des votes). Le Reform UK réalise une percée historique et entre au parlement pour la première fois avec 5 sièges. Les libéraux démocrates augmentent considérablement leur nombre de sièges au parlement, passant de 11 à 72. Ils gagnent surtout dans le sud de l'Angleterre, au détriment des conservateurs. En parallèle, en Écosse, le Labour afflige une défaite significative au Parti des indépendantistes écossais. Le SNP n'obtient que 9 sièges à la Chambre des communes contre 37 pour le Labour. Enfin, la victoire du Labour est aussi favorisée par le système électoral britannique (first-past-the-post ou scrutin uninominal majoritaire à un tour) qui tend à privilégier les partis principaux bien établis dans les circonscriptions (et y ayant donc un électorat concentré leur procurant le plus de sièges).  

On constate un désaveu clair des Britanniques pour les partis de l'establishment, le pourcentage des intentions des votes en faveur du Labour et du Parti conservateur étant tombé au plus bas depuis 1918 à seulement 58% du vote national contre 76% en 2019 et 82% en 2017. Par ailleurs, le taux de participation s'inscrit en baisse à 60%, contre 67,3% lors des élections en 2019 et proche des plus bas enregistrés depuis 1918. 

La majorité absolue dont le Labour bénéficiera dans le parlement britannique lui donnera les pleins pouvoirs pour mettre en œuvre l'ensemble de ses réformes et promesses électorales en termes de dépenses. Une période de stabilité politique ne sera que positive pour les perspectives de croissance, favorisant l'investissement des entreprises. Toutefois, la situation budgétaire très tendue laisse peu de place, voire aucune, pour un stimulus budgétaire supplémentaire. Toute dépense courante supplémentaire devra être financée par une hausse de la fiscalité. Or, le Labour a promis de ne pas augmenter les impôts sur le revenu, sur les sociétés, les cotisations sociales ou encore la TVA, et de n'emprunter que pour investir, sachant que toute hausse des dépenses d'investissement devra se faire avec parcimonie afin de ne pas compromettre la stabilisation du ratio de dette publique sur PIB à l'horizon des cinq prochaines années. 

De fait, les montants de dépenses auxquels le Labour s'est engagé dans son programme électoral témoignent d'une prudence extrême : 4,8 milliards de livres de dépenses dans les services publics (dans les domaines du système de santé, de la collecte des impôts, de l'éducation, des aides familiales et de la planification) financées par des mesures anti-évasion fiscale et quelques hausses de taxes qui ne concernent qu'une minorité (telles que la TVA dans les écoles privées et une hausse de la fiscalité des non-résidents)1

L'objectif-phare du Labour est d'obtenir la plus forte croissance du PIB au sein du G7 à travers une stimulation de l'investissement, notamment dans les industries de la transition verte à travers son Green Prosperity Plan. Le Labour souhaite investir 4,7 milliards de livres sterling supplémentaires par an dans le cadre de ce plan (contre 8 milliards de livres actuellement). Il vise à accélérer la transition verte (objectif zéro automobiles à combustion interne en 2030 contre 2035 pour les conservateurs) et à créer 650 000 emplois dans les industries vertes. Ces dépenses supplémentaires seront financées en partie par la taxe exceptionnelle sur les profits des compagnies pétrolières (prolongée pour cinq ans et relevée de 3 points de pourcentage) ainsi que par le recours à l'emprunt. 

Si le Labour parvenait à réaliser ces investissements, ce serait évidemment positif pour la croissance. Néanmoins, la trajectoire de l'investissement public net restera baissière puisque les investissements publics dans les industries hors transition verte continueront de baisser fortement en termes réels et en pourcentage du PIB. Nous estimons à 0,25 point de pourcentage l'impact sur le PIB à l'horizon 2028 (en utilisant les multiplicateurs fiscaux de l'OBR) de l'ensemble des politiques du Labour. Un impact modeste mais qui pourrait être amplifié par une hausse de l'investissement privé si le Labour parvenait à réaliser son pari : "débloquer" l'investissement privé en favorisant un environnement politique et institutionnel stable, une relation plus étroite avec l'UE et des partenariats stratégiques entre l'État et les investisseurs privés.

Notre opinion – Le résultat des élections est potentiellement positif pour les perspectives de croissance de l'économie britannique puisque le programme du Labour se veut favorable aux entreprises, à l'investissement, à la relation avec l'UE et à la discipline budgétaire. Ce changement de gouvernement ne devrait toutefois pas provoquer de miracles. Le Labour est confronté à la réalité budgétaire qui ne lui laisse pas de marges de manœuvre pour un stimulus significatif. À moins de très bonnes surprises côté croissance, taux et inflation, le Labour aura une équation difficile à résoudre à l'automne : réaliser des coupes budgétaires massives dans les départements non protégés (hors éducation, santé, aides familiales et défense) estimées à près de 20 milliards de livres sur les cinq prochaines années, augmenter les taxes plus qu'annoncé ou enfreindre la règle budgétaire. Quoi qu'il en soit, la politique budgétaire devra être fortement restrictive dans les prochaines années, avec des surplus primaires à dégager afin de stabiliser le ratio de dette sur PIB.

1Pour en savoir plus, consultez notre publication Royaume-Uni – Élections générales 2024 : le Labour entre ambitions et réalité du 5 juin 2024.

Article publié le 5 juillet 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
 

Royaume-Uni – Élections britanniques : plus qu'une victoire du Labour, un effondrement des conservateurs

Cette victoire du Labour est toutefois à relativiser : elle ne reflète pas une popularité en hausse du Parti travailliste, bien au contraire. Attirant près de 34% du vote national, le Labour enregistre le pire score d'un parti gagnant lors d'élections législatives. Il est nettement plus faible que celui obtenu par Jeremy Corbyn en 2017 (40% des votes), lorsque le Parti travailliste avait perdu contre les conservateurs.

Slavena NAZAROVA, Economiste - Royaume-Uni, Pays scandinaves et Irlande