Chine : immobilier, le plan de la dernière chance ?

Chine : immobilier, le plan de la dernière chance ?

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Le FMI a relevé ses prévisions de croissance pour la Chine, les passant de 4,6 à 5% – cible officielle du gouvernement chinois – pour 2024 et de 4,1% à 4,5% pour 2025. Cette décision se fonde sur des chiffres de croissance ayant surpris à la hausse au premier trimestre, sans que les doutes profonds autour du contenu et de la qualité de la croissance chinoise ne se dissipent.

En avril, les données d'activité dépeignaient toujours un panorama contrasté et une hétérogénéité croissante entre l'offre et la demande : les ventes au détail ont progressé de 2,3% – certes pénalisées par un fort effet de base – en glissement annuel, quand le consensus les attendait à 3,7%, tandis que la production industrielle a surpris à la hausse, en croissance de 6,7% quand le consensus la situait autour de 5,5%. Les ventes de voitures, proxy traditionnel de la confiance et de l'appétit des consommateurs, sont en contraction depuis le début de l'année. Pas étonnant dans ce contexte que l'inflation soit restée très faible, à 0,3% en glissement annuel. Elle n'a plus dépassé les 1% depuis février 2023, à rebours de la dynamique observée un peu partout dans le reste du monde.

Si les exportations n'ont progressé que de 1,5% en glissement annuel (après un fort recul de 7,5% en mars), elles demeurent à un niveau près de 40% supérieur en valeur à celui pré-Covid et ce alors que les prix à l'export ont baissé sous l'effet de la dépréciation du yuan et de la guerre des prix en vigueur dans certains secteurs – notamment celui des véhicules électriques. Les importations ont bondi de 8,4%, portées par les matières premières (métaux et produits agricoles). L'excédent commercial s'est donc réduit, mais reste supérieur à 750 milliards de dollars.
       
C'est cette dichotomie entre offre et demande que le FMI pointe du doigt dans son rapport, insistant sur la nécessité pour la Chine d'abandonner les politiques industrielles inefficaces et créatrices de surcapacités et de se tourner vers des outils favorisant la consommation domestique. Pour ce faire, l'urgence est d'abord de restaurer la confiance des ménages en s'attaquant à leur plus grande préoccupation : la stabilisation du marché immobilier.

Immobilier : enfin un plan d'envergure pour sortir de la crise ?

Alors que la crise immobilière ne montre aucun signe d'accalmie et que les indicateurs (mises en chantier, transactions, prix des biens) continuent de se dégrader, les autorités chinoises ont dévoilé un nouveau plan de relance pour le secteur.  

Ce dernier s'appuie notamment sur la création d'un fonds, doté à hauteur de 300 milliards de yuans (soit 41 milliards de dollars), qui doit servir à racheter des appartements vides ou en construction aux promo-teurs en faillite afin de les convertir en logements sociaux. Ces logements seront proposés à la vente à des prix modérés, ou bien loués à vie par des entreprises publiques locales ou directement par les municipalités. Une goutte d'eau d'après Goldman Sachs qui estime le stock de propriétés à 30 trillions de yuans, soit dix fois le montant des transactions réalisées l'an dernier. Ce stock frôlait encore les 750 millions de mètres carrés en mars, auxquels il faut ajouter – toujours selon Goldman Sachs, entre 90 et 100 millions d'appartements supplémentaires vacants, achetés sur un pur motif spéculatif ou servant de collatéral, les prêts bancaires étant souvent adossés à des actifs immobiliers.

L'approbation de ce plan, entériné par Xi Jinping lui-même, ne s'est pas fait sans douleur. Deux visions s'affrontaient : celle du ministère de la Sécurité publique, soucieux de répondre aux attentes des ménages, principales victimes collatérales de la crise immobilière, et celle de la commission en charge de la lutte contre la corruption, qui souhaitait avant tout finir sa campagne de purge contre les responsables du marasme immobilier (de nombreux promoteurs immobiliers ont déjà été arrêtés ou n'ont pas été vus depuis plusieurs mois).

Finalement, l'argument économique et la peur que la spirale de baisse des prix ne s'accélère – ces derniers ont reculé de 3,1% en glissement annuel en avril, soit la plus forte chute depuis le début de la crise – ont achevé de convaincre un Xi Jinping désireux de ne pas entamer un peu plus le contrat social chinois, déjà mis à mal par trois années de politique zéro-Covid. Pour des ménages ayant placé 70% de leur patrimoine dans le secteur immobilier (résidentiel ou commercial), le risque est donc de s'exposer à un fort effet de richesses, voire de revenus pour les multi-propriétaires qui louaient leurs biens secondaires.

En plus de la création du fonds, de nouveaux relâchements sur l'accès aux crédits et le taux d'apport nécessaire à l'achat ont été décidés. De nouvelles mesures pourraient être annoncées lors du troisième plénum, la session plénière du comité central du Parti communiste chinois qui aura lieu en juillet, après avoir été repoussée plusieurs fois depuis octobre.

Les paradoxes de l'économie de marché à la chinoise

Autre épine dans le pied de l'économie chinoise : le net recul des flux d'Investissements directs étrangers (IDE), devenus négatifs pour la première fois depuis vingt-cinq ans. Officiellement, la Chine prône une politique d'ouverture, affichant sa volonté d'attirer de nouveaux investissements lors des déplacements de ses officiels à l'étranger. De multiples rencontres à très haut niveau ont ainsi été organisées avec les dirigeants d'entreprises comme Samsung, Tesla, Apple ou Blackstone.

Sur place en revanche, les entreprises étrangères dénoncent un climat des affaires de plus en plus compliqué par l'inflation de normes réglementaires pesant sur la profitabilité des entreprises, en particulier celles de petite taille. La loi sur l'espionnage et l'ingérence étrangère, ainsi que toute la réglementation liée à l'usage des données impliquent des coûts opérationnels de plus en plus élevés.

Le dernier rapport de la Chambre européenne de Commerce en Chine dresse le panorama d'entreprises européennes elle-même confrontées à des problèmes de surcapacités dans leur secteur, en particulier dans l'automobile et la construction et de plus en plus incertaines sur leur comportement d'investissements ou de réinvestissements en Chine. Un tiers des entreprises européennes interrogées prévoient ainsi de diminuer la valeur des réinvestissements. Cela correspond à la vision globale donnée par les chiffres de la SAFE, qui, contrairement à ceux du MOFCOM, inclus les profits réinvestis en IDE des entreprises étrangères. La nette baisse des flux indique qu'après trois années de Covid durant lesquelles les entreprises avaient conservé une position attentiste, une partie d'entre elles a finalement décidé de rapatrier ses profits hors de Chine.

Notre opinion – L'annonce du plan de soutien à l'immobilier est une bonne nouvelle. Ayant fait l'objet d'intenses tractations en interne, son approbation indique que la logique économique l'a emporté sur l'enjeu de la lutte contre la corruption, une des priorités de Xi Jinping depuis son accession au pouvoir en 2012. Le risque est qu'il intervienne trop tard, et que les montants qui lui sont consacrés ne soient pas suffisants pour casser une spirale de baisse des prix et des transactions enclenchée depuis maintenant trois ans. Dans ce contexte, la tenue et les annonces du troisième plénum permettront aussi de mesurer le niveau d'inquiétude des autorités : même s'il reste improbable, un plan de relance de plus grande ampleur signalerait que la crise risque encore de durer.  
 

Article publié le 31 mai 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

Chine : immobilier, le plan de la dernière chance ?

L'annonce du plan de soutien à l'immobilier est une bonne nouvelle. Ayant fait l'objet d'intenses tractations en interne, son approbation indique que la logique économique l'a emportée sur l'enjeu de la lutte contre la corruption, une des priorités de Xi Jinping depuis son accession au pouvoir en 2012. Le risque est qu'il intervienne trop tard, et que les montants qui lui sont consacrés ne soient pas suffisants pour casser une spirale de baisse des prix et des transactions enclenchée depuis maintenant trois ans. Dans ce contexte, la tenue et les annonces du troisième plénum permettront aussi de mesurer le niveau d'inquiétude des autorités : même s'il reste improbable, un plan de relance de plus grande ampleur signalerait que la crise risque encore de durer.

Sophie WIEVIORKA, Economiste - Asie (hors Japon)