Chine – Pas de miracle sur le front de l'immobilier

Chine – Pas de miracle sur le front de l'immobilier

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La réaction chinoise aux annonces de l'Union européenne ne se sera pas fait attendre. Après avoir fustigé ses droits de douane sur les véhicules électriques, dorénavant taxés entre 27 et 48% – contre 10% aujourd'hui – la Chine a indiqué ouvrir une enquête antidumping sur les livraisons de porc européen. 50% des importations chinoises de viande de porc proviennent de l'Union européenne, notamment d'Espagne et du Danemark. Bien que le pays ait largement reconstitué son cheptel, qui avait été décimé par la grippe porcine de 2019, la demande domestique ne peut être entièrement satisfaite par la production locale. À court terme, la Chine pourrait donc se tourner vers le Brésil et le Canada, qui comptent également parmi ses premiers fournisseurs.

Autres cibles potentielles chinoises : les produits agricoles, en particulier laitiers, les voitures thermiques et l'aéronautique, qui figurent parmi les secteurs dans lesquels l'Union européenne détient des avantages comparatifs ou des intérêts offensifs forts.

Alors que la Chine compte toujours sur son secteur exportateur pour assurer emplois (180 millions environ) et contribution positive à la croissance, l'Union européenne et les États-Unis continuent de figurer parmi ses premiers clients et représentent environ 30% de ses exportations directes totales, et sûrement plus si l'on tient compte des flux transitant par des nouveaux pays tiers, comme le Vietnam ou le Mexique. En l'absence d'une croissance domestique auto-entretenue par la demande interne, et alors que le secteur immobilier ne montre pas de signe de reprise, l'écoulement de la production industrielle en dehors de la Chine reste un enjeu majeur pour l'économie.

En mai, les données d'activité faisaient état d'une croissance un peu meilleure qu'attendu des ventes au détail (+3,7% en glissement annuel, lorsque le consensus les estimait à +3%), d'un ralentissement de la production industrielle (+5,6% contre 6,7% en avril) et d'une inflation toujours faible ou négative (+0,3% pour les prix à la consommation, -2,4% pour les prix à la production, en contraction depuis janvier 2023).
 

Pas de miracle dans le secteur immobilier

Lors d'un forum financier qui se tenait à Shanghai, le gouverneur de la banque centrale chinoise, Pan Gongsheng, a indiqué qu'il fallait s'attendre à une contraction de la croissance du crédit en raison de la crise du secteur immobilier. Il a aussi pointé du doigt la mauvaise allocation des crédits dans le pays, alors que ces derniers sont souvent captés par les entreprises publiques, pas nécessairement les plus efficaces, au détriment du secteur privé, créant un fort effet d'éviction. Les trois principaux indicateurs du secteur immobilier (investissement, superficies vendues et nouvelles constructions) n'ont pas enregistré un mois de croissance positive depuis mars 2022.

Inquiétant également, la contraction des prix de l'immobilier a encore accéléré en mai (-0,7% par rapport à avril, -3,9% en glissement annuel) et ce malgré le plan de soutien au secteur dévoilé il y a un mois. Les doutes émergent déjà sur la capacité de Pékin à convaincre les entreprises publiques et les municipalités de mettre en place les programmes de rachat de logements vacants ou en construction, en particulier dans les zones où la demande est la plus faible. Or, on le sait déjà, les fonds dédiés à ce plan (environ 40 milliards de dollars) sont très insuffisants pour redresser le marché, les autorités misant plutôt sur un choc de confiance que sur un véritable effet multiplicateur.
 

Épargne, immobilier, investissement : les piliers chinois

Pan Gongsheng l'a rappelé : malgré l'ampleur des difficultés, il ne faut pas s'attendre à un plan de relance significatif, passant notamment par un assouplissement de la politique monétaire. Bien que les autorités reconnaissent un problème d'insuffisance de la demande, et mettent en avant leur volonté de rééquilibrer le modèle de croissance chinois en faveur de la consommation plutôt que de l'investissement, les politiques publiques restent résolument orientées en faveur de l'offre.

Xi Jinping l'a répété à l'envi : il ne croit pas aux politiques keynésiennes de relance de la demande, ni au développement de la protection sociale, qui créent des sociétés « d'assistés » et éloignent les populations de l'emploi. Il y a donc une motivation idéologique forte dans ce choix, mais aussi un principe de réalité : le modèle chinois a encore besoin de l'épargne des ménages pour tourner, et ce d'autant plus que les recettes de l'État provenant des impôts sur les ménages demeurent faibles, les autorités n'ayant jamais franchi le pas d'une réforme fiscale de grande ampleur (création d'une taxe d'habitation ou d'une taxe foncière par exemple). Avec un PIB/tête qui demeure loin du niveau de celui des économies avancées, même en tenant compte des parités de pouvoir d'achat, le maintien d'une épargne de précaution élevée se fait toujours au détriment de la consommation.

Or, la Chine demeure un pays fermé et isolé des marchés internationaux de capitaux. Comme le Japon ou les États-Unis, la Chine se finance à presque 100% dans sa devise. C'est ce qui lui permet d'afficher un niveau d'endettement total de son économie très élevé (près de 300% du PIB) et parfois supérieur à celui de certaines économies avancées comme les États-Unis. Ce mode de financement exige une épargne domestique importante et le maintien de taux d'intérêts bas, afin que la charge de la dette reste supportable, et ce d'autant plus lorsque la croissance ralentit.

L'épargne alimente aussi les besoins en investissements des entreprises non-financières, notamment publiques, qui supportent la majeure partie de l'endettement de l'économie, une spécificité toute chinoise. Alors que les marchés boursiers demeurent encore peu développés en Chine, l'immobilier représentait donc un canal de choix pour capter l'épargne chinoise.

Il offrait un rendement sûr aux ménages, souvent multipropriétaires, qui y ont placé 70% de leur patrimoine. Alors que l'inflation stagne depuis dix ans en Chine, les prix immobiliers avaient quant à eux augmenté très rapidement, entre 5 et 10% par an en moyenne entre 2016 et 2021, et parfois encore plus dans les grandes villes. Si bien que certains ménages ne prenaient parfois plus la peine de louer certains de leurs biens, se contentant de parier sur une plus-value à la revente. D'où une double urgence pour les autorités : celle de freiner la baisse des prix de l'immobilier, qui appauvrit mécaniquement la population via l'effet de richesse et de relancer de nouveaux projets pour capter de nouveaux flux d'épargne.
      

Notre opinion

Pan Gongsheng a de nouveau rejeté l'idée d'un « super plan » de relance, à l'image de ceux qui avaient été lancés lors des phases précédentes de ralentissement, en 2009 et 2015. Il a rappelé que l'objectif premier de la banque centrale chinoise demeurait celui de la stabilité monétaire, tout en reconnaissant que le maintien de taux « plus hauts, pour plus longtemps » par la Fed ne faisait pas les affaires de la Chine, dont le spread vis-à-vis des États-Unis est déjà négatif, et qui pourrait être confrontée à de nouvelles sorties de capitaux en cas de baisse de ses taux, l'arbitrage risque/rendement étant bien plus favorable côté américain. Preuve que, même pour un pays dont le compte financier reste encore fermé et qui se veut immunisé contre les fluctuations des marchés internationaux, les choix américains peuvent toujours peser sur les arbitrages domestiques.
 

Article publié le 21 juin 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

Chine – Pas de miracle sur le front de l'immobilier

Lors d'un forum financier qui se tenait à Shanghai, le gouverneur de la banque centrale chinoise, Pan Gongsheng, a indiqué qu'il fallait s'attendre à une contraction de la croissance du crédit en raison de la crise du secteur immobilier. Il a aussi pointé du doigt la mauvaise allocation des crédits dans le pays, alors que ces derniers sont souvent captés par les entreprises publiques, pas nécessairement les plus efficaces, au détriment du secteur privé, créant un fort effet d'éviction. Les trois principaux indicateurs du secteur immobilier (investissement, superficies vendues et nouvelles constructions) n'ont pas enregistré un mois de croissance positive depuis mars 2022.

Sophie WIEVIORKA, Economiste - Asie (hors Japon)