Union européenne – La Commission affiche ses tarifs compensatoires sur les véhicules électriques chinois
- 19.06.2024
- 0
- Télécharger la publication (PDF - 296,63 KB)
Lire l'article
La Commission européenne a depuis 2019 enrichi ses outils visant à limiter, voire prévenir, les dépendances stratégiques envers des partenaires étrangers (lire la Chine) dans les secteurs critiques de la transition énergétique. Sont particulièrement visées les dépendances qui résultent d'importations de biens uniquement subventionnés par des pays tiers aux dépens de l'industrie européenne.
C'est ainsi qu'en octobre 2023 la Commission européenne a ouvert une enquête ex-officio (non sollicitée par l'industrie) sur un échantillon de producteurs chinois (sur les plus que 300 existants) ou de producteurs non-chinois basés en Chine de véhicules électriques. Des producteurs ayant accepté de participer à l'enquête, mais n'ayant pas été retenus dans l'échantillon, pourront se voir appliquer un droit de douane compensatoire qui n'excède pas la moyenne pondérée des tarifs imposés aux producteurs enquêtés.
Cette enquête est menée dans le cadre de la règlementation européenne anti-subvention et elle est conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est ainsi que les droits de douane ne visent pas à rendre les produits importés moins compétitifs que les produits domestiques, mais ne font que compenser l'avantage compétitif injustifié apporté à l'entreprise exportatrice par les subventions des gouvernements tiers. Cet avantage est calculé par la Commission au cours de l'enquête.
La Commission a réuni suffisamment de preuves sur le fait que les producteurs en question ont bénéficié d'importantes subventions de la part du gouvernement de la République populaire de Chine sous différentes formes :
- transferts directs de fonds ;
- crédits d'impôts ;
- fourniture publique de biens et services à un prix inférieur au prix de marché ;
- subventions, prêts et crédits à l'exportation et lignes de crédit fournies par des banques publiques et obligations souscrites par des banques publiques et privées à conditions préférentielles ;
- assurance à l'exportation à conditions préférentielles ;
- réductions et exemptions d'impôts sur le revenu, sur les dividendes, de TVA
En plus d'établir la preuve des subventions, la Commission doit aussi prouver qu'il existe une menace de nuisance pour les producteurs européens et démontrer le lien de causalité entre les subventions et la nuisance.
Elle a su prouver que les importations subventionnées ont crû à un rythme soutenu autant en termes absolus qu'en parts de marché et que les excès de capacités existantes en Chine, ne pouvant pas être absorbés par d'autres marchés, peuvent générer une hausse substantielle de ces importations dans l'UE dans le futur proche avec une probabilité élevée. Les importations européennes de véhicules électriques chinois ont rapidement augmenté passant de 1,6 milliard de dollars en 2020 à 11,5 Mds$ en 2023. La politique de subvention – en comprimant les coûts de production et les prix de vente – exerce une pression sur les ventes, les parts de marché et les profits des producteurs européens sur le marché unique. Les producteurs chinois bénéficient en plus du vaste schéma de subventions, de main-d'œuvre et d'énergie moins chère. L'intense concurrence sur le marché chinois saturé a conduit à une guerre des prix. Les producteurs cherchent donc à compenser la compression de leurs marges sur le marché chinois par des prix plus élevés sur le marché européen.
La Commission a donc dévoilé les droits de douane individuels qu'elle proposera à trois producteurs chinois sélectionnés :
- BYD à la hauteur de 17,4%
- Geely : à la hauteur de 20%
- SAIC à la hauteur de 38,1%
Ces droits de douane viendront s'ajouter aux droits existant de 10%.
Tous les autres producteurs chinois (ou en Chine) ayant coopéré à l'enquête sans faire l'objet d'une investigation personnalisée seront soumis au tarif compensatoire de 21%. BMW Brillance Automotive, Audi FAW NEV Co, FAW-Volkswagen, Dongfeng Peugeot Citroën font partie de ce groupe. C'est pour l'instant aussi le cas de Tesla, qui pourrait néanmoins, sur requête, faire l'objet d'un calcul individuel au stade final de la procédure. Ceux qui n'ont pas coopéré seront imposés à hauteur de 38,1%.
Ces droits provisoires seront imposés dès le 5 juillet 2024 (retenus sous forme de garantie par les douanes nationales) et deviendront effectifs quatre mois après cette date, soit début novembre.
Entre-temps, la discussion avec les autorités chinoises est ouverte afin d'explorer les voies possibles pour trouver une solution conforme aux règles de l'OMC.
Notre opinion
La prime offerte par le marché européen aux producteurs chinois est bien plus élevée que les droits de douane imposés par la Commission, laissant encore la possibilité aux producteurs chinois de baisser leurs prix pour gagner des parts de marché tout en restant profitables. Cette prime serait en revanche inférieure pour les producteurs étrangers basés en Chine et exportant en Europe, qui ne bénéficient pas de subventions équivalentes à celles des producteurs chinois. Le rôle de la Chine en tant que base d'exportation vers l'Europe pour ces producteurs (européens, japonais ou américains) pourrait être remis en cause. La faible croissance et la profitabilité réduite du marché domestique, l'absence de marchés d'exportation alternatifs attractifs et les capacités excédentaires existantes et en cours de construction justifient encore un fort intérêt des producteurs chinois pour le marché unique. Les producteurs pourraient aussi contourner ces droits de douane en investissant dans la production sur le sol de l'UE (projets en cours en Hongrie, en Espagne) ou dans son voisinage (en Turquie).
Mais l'action européenne à leur égard pourrait ne pas s'arrêter aux tarifs compensatoires. L'interdiction du marché unique aux produits utilisant le travail forcé ou présentant un risque pour la cybersécurité (intégration de caméras et capteurs contrôlés par des producteurs chinois) pourrait s'appliquer aux voitures. La Commission pourrait également initier une enquête anti-dumping, notamment si les producteurs chinois répondaient par une baisse des prix. Les pays européens pourraient en outre s'inspirer de l'exemple français qui conditionne la prime à l'achat d'un véhicule à des critères de soutenabilité excluant de facto les producteurs chinois.
Entre-temps, l'action de la Commission européenne pourrait se retrouver entravée si les États membres bloquaient sa décision au Conseil des instruments de défense commerciale. Un vote à la majorité (15 pays et 65% de la population de l'UE) serait nécessaire. L'Allemagne, la Hongrie et la Suède ont déjà manifesté leur opposition, l'industrie automobile allemande, notamment, craignant des rétorsions sur ses exportations sur le marché chinois.
Article publié le 14 juin 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
La prime offerte par le marché européen aux producteurs chinois est bien plus élevée que les droits de douane imposés par la Commission, laissant encore la possibilité aux producteurs chinois de baisser leurs prix pour gagner des parts de marché tout en restant profitables. Cette prime serait en revanche inférieure pour les producteurs étrangers basés en Chine et exportant en Europe, qui ne bénéficient pas de subventions équivalentes à celles des producteurs chinois. Le rôle de la Chine en tant que base d'exportation vers l'Europe pour ces producteurs (européens, japonais ou américains) pourrait être remis en cause.
Paola MONPERRUS-VERONI, Manager zone euro