Royaume-Uni – L'assouplissement du marché du travail se poursuit, et c'est une bonne nouvelle pour la BoE
- 23.05.2024
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Au cours de l'année passée, le marché du travail britannique a relativement bien résisté à la faiblesse de l'activité, qui a stagné pendant plusieurs trimestres avant de chuter légèrement et temporairement au second semestre. En effet, le taux de chômage est resté étonnamment bas, 4% en moyenne en 2023, même si les données mensuelles ont été volatiles et restent entourées d'une incertitude inhabituellement élevée (1). Le taux de chômage a même diminué au cours du second semestre passant de 4,2% au deuxième trimestre à 3,8% au quatrième trimestre. Il a augmenté récemment, à 4,3% au premier trimestre 2024, +0,3 pp sur un an, mais reste néanmoins inférieur à son niveau d'équilibre de moyen terme (4,5% selon l'estimation de la BoE).
Si le taux de chômage n'est pas l'indicateur le plus fiable des tensions sur le marché du travail en raison de l'incertitude inhérente aux résultats de l'enquête LFS, d'autres indicateurs témoignent de la détente en cours du marché. Il s'agit notamment du nombre de postes à pourvoir, en recul depuis presque deux ans. Après avoir atteint un pic à 1,3 million en avril 2022, il a diminué à 898 000 au premier trimestre 2024 (- 26 000 en variation trimestrielle), un niveau néanmoins toujours supérieur à celui d'avant-Covid. Le ratio chômeurs/postes vacants, qui constitue un indicateur clé du degré d'assouplissement du marché du travail, est désormais en ligne avec ses niveaux de 2019. On compte à présent un peu plus d'un chômeur et demi par poste à pourvoir, alors que ce rapport était d'un pour un à son plus bas au cours de la première moitié de 2022. De même, les difficultés de recrutement ont significativement diminué, sans toutefois retomber aux niveaux d'avant la pandémie, comme c'est le cas notamment pour les besoins de main-d'oeuvre qualifiée dans l'industrie.
La relation entre taux de chômage et taux de postes vacants (2) (courbe de Beveridge) semble revenue à une situation comparable à celle d'avant 2020 (lorsqu'une baisse du taux de postes vacants était accompagnée d'une hausse du taux de chômage), suggérant que tout assouplissement supplémentaire du marché du travail dans les mois à venir devrait se traduire par une hausse du chômage.
La baisse de la demande de main-d'œuvre impacte désormais l'emploi. L'emploi baisse au premier trimestre (-177 000) par rapport au trimestre précédent (-0,5%) et de -0,6% sur un an, signifiant que les destructions d'emplois dépassent les créations. La baisse de l'emploi sur fond de hausse de la population totale conduit à un recul du taux d'emploi : 74,5% de la population (âgée de 16 à 64 ans), un plus bas depuis presque trois ans, perdant 0,5 pp sur le trimestre et 0,8 pp sur un an.
Le marché britannique demeure caractérisé par un taux d'inactivité anormalement élevé depuis la pandémie, et en hausse : + 300 000 sur un an à 22,1% de la population âgée entre 16 et 64 ans. Cela est dû à une hausse des maladies de longue durée et du nombre d'étudiants. Des mouvements dans la composition de la population et, notamment, dans la pyramide des âges semblent participer également à l'explication de la hausse du taux d'inactivité et de chômage. La faible participation permet d'expliquer en partie à son tour le niveau bas du taux de chômage, les personnes quittant le marché du travail n'étant évidemment pas comptées en tant que chômeurs.
Le rééquilibrage de la demande et de l'offre de travail, ainsi que la baisse des anticipations d'inflation (celles-ci évoluent en ligne avec l'inflation réalisée) se sont traduits par une modération de la croissance des rémunérations salariales. Toutefois, celle-ci reste encore forte en raison de pressions persistantes exercées par les chocs passés sur les prix (effets de second tour) : 6% au premier trimestre, contre 6,2% au quatrième trimestre et un pic à 7,9% en août dernier. Les individus cherchent à compenser les chocs sur les prix (et sur les taux d'intérêt) pour maintenir leurs niveaux de vie en renégociant des hausses de salaires. Dans le secteur privé, la croissance des salaires s'établit à 5,9% au premier trimestre, contre 6,2% au quatrième trimestre et un pic à 8,2% en juin dernier. C'est dans le secteur manufacturier et dans la finance qu'elle est la plus forte (6,8%). En ce qui concerne la rémunération totale (bonus inclus), elle ralentit à 5,7% au premier trimestre après 5,8% au quatrième trimestre et contre un pic à 8,5% en juillet dernier.
Le 16 mai dernier, Megan Greene, membre externe du MPC, a publié un discours sur les dynamiques du marché du travail. Selon elle, la résistance du taux de chômage à la faiblesse de l'activité et le rythme toujours élevé de la croissance des salaires ont une part inexpliquée par les modèles. Cela serait dû en partie à une volonté probablement plus forte que la normale des entreprises de retenir leurs employés (« labour hoarding ») face à des fluctuations temporaires de la demande. Ce comportement permet aux entreprises de faire des économies sur les coûts de recrutement et de formation. S'il venait à persister, et les difficultés de recrutement toujours élevées dans certains secteurs suggèrent que cela pourrait être le cas, il pourrait ralentir le processus d'assouplissement des conditions sur le marché du travail. Toutefois, pour Madame Greene, l'équilibre entre l'offre et la demande de main-d'œuvre est désormais normalisé (ce qui est en ligne avec le constat fait par la majorité du MPC dans le rapport de politique monétaire du mois de mai). La croissance des salaires et l'inflation dans les services devraient se normaliser vers des niveaux compatibles avec la moyenne de long terme. Au mois de mai, Madame Greene a voté avec la majorité du MPC pour le maintien du taux directeur inchangé à 5,25%.
La modération de la croissance de la rémunération est plus lente que celle de l'inflation, ce qui permet aux ménages de bénéficier d'une reprise de leur pouvoir d'achat : corrigés de l'inflation, les salaires progressent de 2% sur un an, alors qu'ils baissaient au même rythme à la même période il y a un an. Leur croissance s'inscrit en territoire positif depuis maintenant dix mois. La dissipation des chocs passés sur l'inflation et la baisse des anticipations de taux participent à l'amélioration de la confiance du consommateur malgré l'assouplissement des conditions sur le marché du travail.
Notre Opinion – Depuis la crise financière de 2008, le marché du travail britannique n'a cessé d'intriguer les économistes avec ses « puzzles ». Il a surpris en permanence par sa résilience lors des phases de ralentissement économique (taux de chômage plus bas que suggéré par la loi d'Okun), ce qui a pour résultat une productivité (output par tête ou par heure travaillée) structurellement basse et généralement plus faible que dans les autres pays avancés. Le rôle de l'État dans le soutien aux entreprises dans les périodes de crise mais également celui des banques, plus prudentes qu'avant la crise financière, a permis de limiter la hausse du taux de faillites des entreprises et, partant, la hausse du chômage, dans une économie relativement intensive en emplois de faible qualification. Depuis la pandémie, un taux de participation anormalement faible contribue à son tour à expliquer une partie de la faiblesse du taux de chômage. Le Brexit n'a pas arrangé les choses, contribuant au manque de main-d'œuvre dans certains segments de l'activité qu'une hausse de l'immigration hors UE n'a pas pu compenser, contribuant par-là aux tensions sur les salaires.
À court terme, bien qu'une incertitude persiste dans les statistiques issues de la LFS, le taux de chômage devrait continuer de progresser légèrement. L'assouplissement du marché du travail et la baisse imminente de l'inflation vers la cible de 2% devraient permettre à la BoE d'entamer son cycle de baisses graduelles de taux avec une première baisse de 25 points de base en juin prochain.
(1) L'année dernière, l'ONS a suspendu pendant plusieurs mois la publication des statistiques du marché du travail (Labour Force Survey) en raison de taux de réponse trop faibles à cette enquête réalisée auprès des ménages. En effet, les taux de réponse ont baissé fortement depuis la pandémie pour atteindre moins de 15% en 2023 contre plus de 40% dans les années avant la Covid. Après avoir mis en oeuvre des mesures pour améliorer la représentativité à l'enquête, l'ONS a repris sa publication en février 2024. En revanche, l'institution continue d'insister sur le fait qu'il faille interpréter les données avec prudence car le taux de réponse à l'enquête reste faible. Par ailleurs, une mise à jour récente des données démographiques a conduit à une repondération des variables de l'enquête et à une révision des chiffres des années récentes.
(2) Le taux de postes vacants est calculé comme le rapport entre le nombre de postes vacants et la somme entre l'emploi et le nombre de postes vacants à une période donnée.
Article publié le 17 mai 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

Depuis la crise financière de 2008, le marché du travail britannique n'a cessé d'intriguer les économistes avec ses « puzzles ». Il a surpris en permanence par sa résilience lors des phases de ralentissement économique (taux de chômage plus bas que suggéré par la loi d'Okun), ce qui a pour résultat une productivité (output par tête ou par heure travaillée) structurellement basse et généralement plus faible que dans les autres pays avancés. Le rôle de l'État dans le soutien aux entreprises dans les périodes de crise mais également celui des banques, plus prudentes qu'avant la crise financière, a permis de limiter la hausse du taux de faillites des entreprises et, partant, la hausse du chômage, dans une économie relativement intensive en emplois de faible qualification. Depuis la pandémie, un taux de participation anormalement faible contribue à son tour à expliquer une partie de la faiblesse du taux de chômage. Le Brexit n'a pas arrangé les choses, contribuant au manque de main-d'œuvre dans certains segments de l'activité qu'une hausse de l'immigration hors UE n'a pas pu compenser, contribuant par-là aux tensions sur les salaires.
Slavena NAZAROVA, Economiste - Royaume-Uni, États-Unis, Irlande