Web3, les nouveaux Salesforce

Web3, les nouveaux Salesforce

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Avec l'avènement du Web3, une nouvelle génération d'entreprises émerge, cherchant à exploiter de manière innovante les informations des utilisateurs de la cryptosphère. Ces nouveaux acteurs offrent aux entreprises du Web2 des solutions de Wallet Relationship Management (WRM). Ce WRM propose des capacités de marketing digital avancées pour tirer profit des milliards de dollars encapsulés dans les portefeuilles numériques du Web3. 

Absolute Labs, qui a levé 8 millions de dollars l’an dernier, est l'un de ces acteurs. En partenariat avec XMTP, Chainalysis, Google ou encore Crypto.com, la start-up revisite les techniques éprouvées de la gestion de la relation client qui ont contribué au succès du Web2. 

Mais cette révolution du marketing digital qui unifie la donnée Web2 et Web3, bien que prometteuse pour de nombreux agents économiques, soulève des préoccupations majeures quant à la vie privée des utilisateurs de la toile qui naviguent dans un Web2.5 défini comme le meilleur des deux internets. 

Les promesses du Web3 

Le Web3, souvent présenté comme la prochaine évolution d'internet, offre une alternative intéressante au Web2, où les données sont principalement centralisées et contrôlées par les Gafam. Grâce à l'utilisation de la technologie blockchain, faite entre autres de décentralisation1, de tokenisation2 et de pseudonymisation3, le Web3 promet aux utilisateurs de reprendre le contrôle de leur vie numérique

Ses bénéfices incluent la pleine propriété des données, l’autocontrôle, des interactions sans intermédiaire, une économie de la récompense renouvelée et repensée à l’ère des jetons numériques. Le Web3 promet également une transparence, une traçabilité et une résistance à la censure accrues.  

Ces perspectives extraordinaires pourraient potentiellement changer la façon dont les consommateurs interagissent avec les services en ligne, les libérant de l’emprise des géants du Web qui ont fait de leurs données personnelles et de leurs comportements de consommation l'or noir du 21e siècle. 

Face à l’appât du gain, un Web3 paradoxal 

Bien que l'autoconservation des actifs numériques et la pseudonymisation des échanges soient au cœur de la révolution Web3, ces principes sont mis à rude épreuve par un écosystème en quête d’adoption, de croissance, de nouvelles sources de revenus et de rentabilité. 

En nouant des partenariats avec des entreprises telles que Google Cloud et XMTP, un spécialiste de la messagerie sur wallet, Absolute Labs, vise à encourager les commerçants, les marques et globalement le commerce en ligne à cibler pour leur campagne marketing les détenteurs de portefeuilles numériques cryptographiques. Le Salesforce du Web2.5 offre une opportunité unique aux marques en leur ouvrant ce nouveau segment de marché, dont le pouvoir d'achat mesuré en crypto-actifs promet d'être converti dans le monde réel, offrant ainsi un potentiel de croissance considérable.

Mais cet appât du gain ne vient pas seul, il s’accompagne d’un coût, celui d’un risque accru de profilage du consommateur.

La collecte et l'intégration de données personnelles et sensibles provenant de différentes sources économiques, réelles et virtuelles, provoquent des préoccupations. Elles augmentent de facto le risque de création de profils de plus en plus détaillés sur les comportements de toute nature des consommateurs en croisant leurs habitudes en ligne et hors ligne avec celles de leurs avatars dans les métavers et leurs transactions dans la cryptoéconomie. Les entreprises et les marques évoluant dans cet espace paradoxal doivent donc naviguer avec prudence pour ne pas trahir la promesse faite aux utilisateurs du Web3 de rester pseudonymes.

De leur côté, les utilisateurs du Web2.5 doivent être vigilants face aux défis de sécurité et de gouvernance de leurs données. Alors que les start-up du WRM cherchent à exploiter les informations du Web3 au bénéfice d'acteurs du Web2, les consommateurs doivent être prudents quant à l'utilisation et au partage de leurs informations entre ces deux mondes et prêter une attention toute particulière aux nouvelles conditions de leur consentement.

Du marketing à la surveillance en passant par le spam

Annoncé en janvier dernier, le rapprochement stratégique d’Absolute Labs avec Google Cloud suscite légitimement des inquiétudes par la facilité à orchestrer désormais sans friction des campagnes marketing hybridant Web2 et Web3.

Cette alliance stratégique du pionnier nord-américain du WRM avec les infrastructures du géant américain ouvre en effet de nouvelles perspectives pour les marques. Dans un même tunnel d’acquisition, un spécialiste du luxe, tel que Louis Vuitton par exemple, peut désormais, pour 2.000 à 25.000 dollars par mois, orchestrer une campagne où sont envoyés en masse et en même temps des e-mails sur une messagerie, des sms sur un numéro de téléphone portable, mais aussi des airdrops4 et des messages sur un portefeuille numérique.

Couplé à des actions de promotion via des influenceurs sur les réseaux sociaux et à des traceurs de wallet intégrés à des sites Web pour identifier les visiteurs également actifs dans le Web3, le cocktail de ce nouveau marketing est tout simplement explosif.

L’automatisation de ce néo marketing qui se base sur des données transactionnelles sensibles, notamment financières, par analyse des avoirs en crypto-actifs des wallets, conduira dans le Web3 à l’explosion des sollicitations commerciales intrusives et sera exploitée pour générer un spam frauduleux de nouvelle génération.

Globalement, cette tendance sera perçue comme une nouvelle forme de surveillance soulevant des préoccupations quant à la manière dont les données les plus sensibles de ces campagnes sont obtenues, stockées et exploitées.

Par ailleurs, il est fort probable que des vols ou des scandales, impliquant l’exploitation de données extraites d’un WRM, se produisent à l’avenir. Ces événements seront de nature à stopper, freiner ou limiter l'adoption du Web3 par le grand public.

L’avenir du WRM

Face aux dérives potentielles liées à l'exploitation du WRM, il est essentiel que le consentement des consommateurs soit éclairé et basé sur une compréhension claire et transparente de l'utilisation de leurs données issues du Web3, en particulier lorsqu'elles sont croisées avec des données plus conventionnelles.

Les consommateurs doivent avoir la possibilité de contrôler la durée de conservation de leurs informations Web3 et la manière dont elles peuvent être supprimées. Le droit à l'oubli dans le Web3 reste complexe à saisir, et certains acteurs du marketing Web2.5 ont déjà commencé à exploiter cette zone grise en jouant sur la géographie des juridictions.

De fait, Il est probable que des voix s’élèvent du côté des législateurs, des associations de consommateurs ou des gendarmes des données numériques pour appeler à une régulation spécifique de ces CRM enrichis, afin de comprendre et s’assurer que le consentement du consommateur est obtenu de manière éthique et transparente dans cette chaîne de valeur du néo CRM.

 

  1. La décentralisation, dans le contexte de la blockchain, fait référence à la distribution du contrôle et de la prise de décision à travers un réseau d'ordinateurs plutôt qu'en un seul point central. Cela signifie qu'aucune entité unique ne contrôle le réseau, rendant le système plus résistant à la censure et aux points de défaillance uniques. 
     
  2. La tokenisation est le processus de conversion de droits ou d'actifs en un jeton numérique sur une blockchain. Ces jetons peuvent représenter la propriété ou certains droits sur des actifs réels ou virtuels et peuvent être échangés ou utilisés dans l'écosystème de la blockchain. Un exemple de tokenisation est la création de jetons représentant des parts dans un bien immobilier. Ces jetons peuvent être achetés et vendus sur des plateformes de blockchain, permettant aux investisseurs d'acheter des fractions d'un bien immobilier et de bénéficier potentiellement de revenus locatifs ou de gains en capital.
     
  3. La pseudonymisation est une méthode de traitement des données qui remplace les identifiants privés par des pseudonymes ou des identifiants non directement identifiables. Dans le contexte de la blockchain, cela permet aux utilisateurs de participer au réseau et d'effectuer des transactions sans révéler leur identité réelle. Lorsqu'une personne effectue une transaction en utilisant Bitcoin, elle n'est identifiée que par une adresse de portefeuille, qui est un ensemble de chiffres et de lettres. Cette adresse agit comme un pseudonyme, car elle ne révèle pas directement l'identité du propriétaire du portefeuille, bien que les transactions soient publiques et traçables sur la blockchain. 
     
  4. Un airdrop est une stratégie marketing qui prend la forme d'une distribution gratuite de tokens ou de crypto-actifs à une population ciblée d'utilisateurs de blockchain. L'impact de l'airdrop est double : il crée un effet de richesse immédiat pour les bénéficiaires et peut potentiellement augmenter la notoriété et l'usage du jeton distribué. Cependant, il est important de noter que les airdrops peuvent aussi être associés à des risques de manipulation de marché et de fraude.
     
Web3, les nouveaux Salesforce

Couplé à des actions de promotion via des influenceurs sur les réseaux sociaux et à des traceurs de wallet intégrés à des sites Web pour identifier les visiteurs également actifs dans le Web3, le cocktail de ce nouveau marketing est tout simplement explosif.

Romain LIQUARD, Responsable Domaines Industrie et Services