Slovaquie : Entre le marteau et l'enclume

Slovaquie : Entre le marteau et l'enclume

En résumé

Au sein de l’Union européenne, la Slovaquie paraît particulièrement exposée aux risques économiques liés à l’évolution de la situation géopolitique mondiale, notamment sur les questions commerciales.

Pour commencer, la Slovaquie est une petite économie très ouverte et très spécialisée. En effet, elle est la 18e économie de l’UE et représente 0,7% de son produit intérieur brut. En 2023, son taux d’ouverture est de 182% (#5 dans l’UE) et les seules exportations de biens représentent 82% du PIB (#1 dans l’UE), avec un secteur automobile à l’origine de 35% des exportations de biens (#1 dans l’UE ; 29% du PIB). Surtout, lors de la précédente décennie, les exportations ont constitué le principal moteur de la croissance slovaque : elles ont été le premier contributeur à la croissance trimestrielle en glissement annuel (33 trimestres sur 37 entre le T1 2010 et le T1 2019). Toutes ces caractéristiques font de la Slovaquie un pays particulièrement à risque face aux tensions commerciales, qui s’ajoutent aux changements technologiques qui se déploient déjà dans l’automobile, son secteur de spécialisation.

Les problèmes ne s’arrêtent pas là, car la Slovaquie est également plus exposée à la Chine et aux États-Unis que les autres pays européens. De fait, elle est le 8e pays de l’UE qui exporte le plus vers ces pays en part de ses exportations de biens (le 2e en proportion de son PIB à 12%). Plus de 80% de ces exportations, sont des exportations de véhicules. Cela s’explique avant tout par l’implantation en Slovaquie d’usines produisant des SUV premium, qui sont directement exportés vers la Chine et les États-Unis plutôt que d’être produits sur place. Or, ces deux marchés pourraient devenir plus difficiles d’accès pour les exportateurs européens.

En Chine, les grands constructeurs européens sont en perte de vitesse face à une concurrence croissante des constructeurs locaux. Selon les chiffres compilés par Goldman Sachs, sur les dix premiers mois de 2024, la part de marché des constructeurs européens tombe à 43%. Elle était de 51% en 2023 et de 71% il y a dix ans. La niche sur laquelle se place la Slovaquie, à savoir les SUV premium,  offre une position concurrentielle plus solide, mais tout de même en péril : en 2024, l’ensemble des SUV exportés vers la Chine par les quatre marques produisant en Slovaquie pour le marché chinois (Audi, Land Rover, Volkswagen et Porsche) représentent 0,5% des immatriculations de véhicules individuels et 1,0% des immatriculations de SUV en Chine, contre 0,7% et 1,5% respectivement en 2020.

Or, la situation pourrait empirer si la Chine choisit de répondre aux tarifs douaniers récemment imposés par l’Union européenne sur ses véhicules électriques. Néanmoins, il n’est pas sûr que Pékin choisisse une réponse en miroir. En effet, les cinq pays européens ayant voté contre cette mesure, à savoir l’Allemagne, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie et Malte, représentent 80% des exportations du secteur automobile européen vers la Chine. Cette démonstration de bonne volonté pourrait donc diriger la réponse de Pékin vers d’autres secteurs, moins cruciaux pour l’économie slovaque.

Aux États-Unis, l’élection de Donald Trump pourrait mener à l’adoption de tarifs douaniers sur les produits européens, surtout là où l’UE est excédentaire. En effet, le très mercantiliste président élu se préoccupe avant tout des déficits commerciaux de son pays. L’automobile, secteur dans lequel les exportations slovaques vers les États-Unis s’élèvent à 5% du PIB, est responsable de 20% du déficit commercial américain vis-à-vis de l’UE (3e secteur après les produits pharmaceutiques et les machines-outils). Alors, si du fait de sa taille la Slovaquie y contribue peu (surplus de 8 milliards de dollars en 2023, soit seulement 3,6% du déficit des États-Unis à l’égard de l’UE), sa spécialisation dans un secteur qui lui pèse lourd dans le déficit américain,  expose Bratislava aux potentielles mesures commerciales de l’ère Trump 2.0.

Notre opinion – À court terme, les exportations, moteur traditionnel de la croissance nationale, sont pénalisées par la dégradation de l’environnement mondial : depuis le premier trimestre 2019, elles n’ont été le premier contributeur à la croissance que cinq trimestres sur vingt-et-un. Si l’investissement a pu prendre le relais, il ne faudrait pas que Bratislava et son gouvernement d’inspiration populiste se coupent des fonds européens, sans quoi la croissance pourrait véritablement tomber en panne.

À moyen terme, la situation dans laquelle se trouve la Slovaquie est indicative de son positionnement dans les chaînes de valeur : si ces deux marchés que sont la Chine et les États-Unis devaient davantage se fermer aux produits européens et slovaques, la situation ne serait pas nécessairement catastrophique pour le pays et ses usines, mais son issue dépendrait de choix fait par les multinationales présentes en Slovaquie, avec peu de marge de manœuvre pour l’État, si ce n’est de maintenir la compétitivité de ses facteurs de production. Or, le(s) choc(s) frappant le secteur automobile européen dépasse et précède les inquiétudes quant à l’accès aux marchés chinois et américain, puisqu’il s’agit aussi d’un choc technologique (électrification) et concurrentielle (arrivée des constructeurs chinois). Si la Slovaquie est spécifiquement exposée à la Chine et aux États-Unis, ce qui a fait sa compétitivité par le passé pourra faire partie de la solution pour les constructeurs européens face à ce multi-choc. En d’autres termes, parmi les pays européens, la Slovaquie a une exposition particulièrement élevée au risque de fermeture des marchés américains et chinois, mais le contexte de remise en jeu de la localisation de la production automobile européenne ouvre une fenêtre de résilience au prix d’une politique de développement, et donc d’une souveraineté, contrainte.
 
Article publié le 22 novembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Slovaquie : Entre le marteau et l'enclume

À court terme, les exportations, moteur traditionnel de la croissance nationale, sont pénalisées par la dégradation de l'environnement mondial : depuis le premier trimestre 2019, elles n'ont été le premier contributeur à la croissance que cinq trimestres sur vingt-et-un. Si l'investissement a pu prendre le relais, il ne faudrait pas que Bratislava et son gouvernement d'inspiration populiste se coupent des fonds européens, sans quoi la croissance pourrait véritablement tomber en panne. Parmi les pays européens, la Slovaquie a une exposition particulièrement élevée au risque de fermeture des marchés américains et chinois, mais le contexte de remise en jeu de la localisation de la production automobile européenne ouvre une fenêtre de résilience au prix d'une politique de développement, et donc d'une souveraineté, contrainte.

Nathan QUENTRIC, Economiste - PECO et Asie centrale