Arabie saoudite – Le défi de la planification économique et budgétaire face à l'aléa pétrolier

Arabie saoudite – Le défi de la planification économique et budgétaire face à l'aléa pétrolier

Lire l'article

Le gouvernement saoudien a publié le pré-budget 2025, un document produit avant l'adoption du budget pour donner les grandes orientations fiscales à court et moyen termes. C'est un document qui vise à améliorer la transparence de l'exercice et du processus budgétaire. Le budget est, pour sa part, approuvé au cours du quatrième trimestre de l'année, et peut, évidemment, dévier du pré-budget, si les circonstances et les développements économiques le demandent. La publication du pré-budget est l'occasion de suivre la mise à jour des prévisions d'atterrissage de l'économie et du budget par le gouvernement, à trois mois de la clôture de l'année fiscale. Il est aussi riche en information, lorsque comparé au budget 2024, il met en avant les changements de projection de l'économie et de stratégie budgétaire à moyen terme. Que peut-on alors apprendre de l'analyse de ce document ?

Un atterrissage 2024 moins favorable

La prévision de croissance du gouvernement pour 2024 surprend à la baisse. À 0,8%, elle est certes bien en dessous de la prévision du budget 2024 (4,4%), mais elle est aussi plus basse que la prévision du FMI, dans sa très récente (septembre) revue annuelle de l'économie saoudienne au titre de l'Article IV 2024 (1,7%). 

C'est, cependant, principalement au secteur pétrolier que l'on doit cette révision. En effet, le mois dernier, plusieurs membres de l'OPEP+, et l'Arabie saoudite au premier plan, ont annoncé l'extension de leurs coupes volontaires de production de pétrole jusqu'à fin novembre. Aux coupes annoncées en avril 2023 de 1,65 million de barils/jour (mbj) jusqu'à fin 2025, se sont ajoutées, en novembre 2023, des coupes volontaires additionnelles de 2,2 mbj. Ces dernières devaient être levées graduellement chaque mois à partir d'octobre 2024, une date désormais repoussée de deux mois, à décembre 2024. La production de l'Arabie saoudite restera donc à 9 mbj en moyenne en 2024, contre 9,9 mbj en 2023. Au premier semestre 2024, cela s'est traduit par une récession du secteur pétrolier de l'ordre de 10%.

La croissance hors pétrole reste en revanche dynamique. Le pré-budget 2025 la prévoit même légèrement supérieure à la projection du FMI : 3,7% contre 3,5%. Celle-ci est principalement tirée par la consommation privée – notamment stimulée par les nouvelles offres de divertissement et de tourisme – et l'investissement – boosté par l'accélération de la mise en œuvre de la Vision 2030, par le gouvernement et le fonds souverain (le PIF).

Quant à l'atterrissage budgétaire 2024, il est marqué par un dérapage du déficit de 1% du PIB par rapport au budget. Cela reflète essentiellement des dépenses d'investissement supplémentaires, en lien avec l'accélération de la réalisation de la Vision 2030. Les revenus budgétaires augmentent de 2% en 2024 et se placent 5,5% au-dessus du niveau prévu dans le budget, malgré un recul des revenus pétroliers. Le FMI estime ce recul à 12%, du fait des coupes volontaires. Celles-ci ont néanmoins été partiellement compensées par un nouveau dividende sur la performance de la compagnie pétrolière Aramco, pour l'équivalent de 2% du PIB. 

À moyen-terme, une croissance revue à la baisse et un budget plus expansif

Le cadrage macro-économique à moyen terme dans l'exercice de pré-budget 2025 révèle une révision à la baisse de la trajectoire de croissance par rapport à l'exercice budgétaire de 2024. Cela résulte, notamment, d'un changement marqué du point de départ (2024). Malgré un rattrapage beaucoup plus fort en 2025, porté par des effets de base positifs plus puissants sur la production de pétrole, la trajectoire de croissance est maintenant attendue durablement inférieure à ce qui était projeté l'année dernière.

Cela reflète aussi une révision de la croissance non-pétrolière, qui avait été en moyenne de 5,7% sur 2021 et 2022. Elle s'est établie à 3,8% en 2023, et est attendue à un niveau stable en 2024. Ce ralentissement reflète une baisse de la contribution de l'investissement, qui avait atteint un niveau de croissance exceptionnel de 32% en 2022, lié à une utilisation encore très procyclique des revenus du pétrole dans la gestion budgétaire du royaume. Malgré tout, l'élan du secteur non-pétrolier reste très dynamique. Le FMI table sur une croissance non-pétrolière autour de 4-4,5% sur 2025-2029, qui repose sur un scénario de réalisation partielle du plan d'investissement associé à la Vision 2030. Le gouvernement, dans sa réponse au FMI, précise qu'il mise plutôt sur une croissance hors-pétrole autour de 4-5% sur la période, une projection somme toute assez proche, qui témoigne surement d'un degré de prudence dans la planification.

Ces scénarios restent très incertains. Avant tout, l'économie est toujours très dépendante du secteur pétrolier, dont les développements sont imprévisibles, dans un environnement régional et mondial particulièrement instable. Les scénarios de croissance actuels se construisent autour des annonces de production de l'OPEP+, qui sont sujettes à des révisions fréquentes. En effet, les facteurs de volatilité du marché pétrolier mondial se multiplient. D'abord, la perspective d'un affaiblissement structurel du potentiel de croissance chinois inquiète, car elle pourrait impacter fondamentalement la demande de pétrole. Ensuite, le contexte de conflit régional, dont le périmètre menace de s'étendre, augmente l'incertitude autour de l'offre et du prix du pétrole, et notamment de la prime de risque que lui impute les marchés. Enfin, la réalisation, ou non, de ces risques, pose la question de la réponse, à court et moyen termes, de l'OPEP+ et du maintien de sa capacité à se coordonner. Par ailleurs, la stratégie de l'organisation pourrait changer, indépendamment de ces développements, en se tournant vers un objectif de défense de parts de marché, plutôt que des prix. De tout cela dépendent également les perspectives de croissance non-pétrolière, puisque la composante d'investissement public – et même privé, lorsque celui-ci compte les investissements du PIF ou des entreprises publiques – en est le principal moteur. C'est le canal de l'investissement qui pose donc la limite du découplage de la croissance pétrolière et non-pétrolière, en période de transition.

Pour ce qui concerne la stratégie budgétaire, le ministère des Finances exprime une intention claire : utiliser l'espace budgétaire pour atteindre les objectifs de diversification. Une partie de cet espace doit être gagné grâce à des efforts de consolidation, le reste se traduira par des déficits plus élevés, financés par endettement. 

Mais à ce stade, l'effort de consolidation ne s'appuie pas sur l'introduction d'un nouvel impôt ou sur l'augmentation de la pression fiscale. La baisse attendue des prix du pétrole1 va donc contraindre les revenus, et les projections budgétaires à moyen terme prévoient en effet un recul des revenus à 27% du PIB à partir de 2025 et jusqu'à 2027, contre 30% en 2023-2024. L'effort budgétaire consiste alors en une réallocation des dépenses courantes vers des dépenses d'investissement. Cela passera par une maîtrise de l'efficacité des dépenses (notamment sur l'achat de biens et de services) et une réduction du poids des salaires publics sur le budget.

En d'autres termes, l'intention est donc de privilégier l'investissement dans la diversification au détriment d'autres dépenses courantes et des objectifs de déficits. Cette diversification devrait ensuite soutenir la croissance des revenus non-pétroliers, sans augmenter la pression fiscale et donc, combinée avec une maîtrise des dépenses courantes, entraîner une consolidation structurelle de la balance budgétaire hors-pétrole.

Comme pour la trajectoire de croissance, cette stratégie et planification budgétaire est soumise à d'importants aléas. Les revenus du pétrole, dont le budget dépend encore à hauteur de 60-65%, devront être suffisants pour contenir les déficits tout en permettant la réalisation des objectifs d'investissement. Par ailleurs, si les investissements prévus ne se réalisent pas, cela contraindra la croissance hors pétrole. Celle-ci pourrait alors à son tour être insuffisante pour générer la croissance attendue des revenus non-pétroliers et pour créer l'emploi privé nécessaire pour libérer les pressions salariales portées par le gouvernement. 

Notre opinion – L'Arabie saoudite, face à son plan de diversification d'ampleur, Vision 2030, est dans un moment de planification. Cet exercice est positif car il témoigne du développement de la profondeur stratégique des politiques économiques, qui intègrent de plus en plus les enjeux de la trajectoire à moyen terme du pays. C'est malgré tout un exercice périlleux, car il se heurte à l'aléa pétrolier et à une longue tradition de politiques publiques procycliques. Déjà, la trajectoire de croissance est révisée à la baisse. Cela ne reflète pas un échec des réformes. Au contraire, elles sont saluées par les agences de notation, notamment S&P, qui, en septembre, a placé un outlook positif sur sa notation, mettant en avant l'élan et la progression de l'économie non-pétrolière. C'est plutôt le constat que les mouvements économiques profonds sont lents, et que si une très forte stimulation de l'investissement public (et parapublic) peut booster la croissance, elle reste contrainte par son potentiel qui se construit sur le moyen terme. Dans l'intérim, le découplage entre l'économie pétrolière et non-pétrolière reste limitée. 

Le pré-budget est au moins l'occasion de donner une orientation claire : le budget sera plus expansif. Et cela est clé pour gérer les anticipations. Car l'Arabie saoudite a un espace budgétaire confortable : la dette du gouvernement est faible – et sur la base du scénario actuel –, elle est projetée en dessous de 30% du PIB jusqu'en 2027. Le pays peut donc se permettre une phase d'expansion budgétaire, sans compromettre la santé de ses comptes publics, dans la mesure où celle-ci lui permet de construire sa capacité de résistance aux chocs. La difficulté sera néanmoins d'assurer une continuité de l'investissement et des réformes, malgré les risques de volatilité importants sur le marché du pétrole. Pour l'instant, le royaume ne donne pas de visibilité sur les mesures et stratégies alternatives, si ses revenus pétroliers se trouvent fortement contraints. Sera-t-il enclin à accepter des déficits beaucoup plus importants, et sinon, quelles concessions leur seront préférées ?

Article publié le 11 octobre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine 
____________
1 Le pré-budget ne donne pas les hypothèses prix du pétrole qui le sous-tendent. Mais, les prévisions (très proches) du FMI s'appuient sur une baisse graduelle des prix du pétrole de 82,5 $/baril en 2024 à 71,9 $/baril en 2027.