Asie du Sud – Où en est l'assouplissement monétaire ?

Asie du Sud – Où en est l'assouplissement monétaire ?

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Le 18 septembre 2024, la Réserve fédérale américaine (Fed) a réduit ses taux d'intérêt de 50 points de base (pdb), ouvrant la porte à une salve de baisses de taux dans le monde entier. Entre prudence, orthodoxie et assouplissement, que font les banques centrales en Asie ?

Indonésie, Philippines, Thaïlande et Corée du Sud : assouplir en surveillant les risques

La Banque centrale des Philippines (BSP) fut la première a baissé son taux directeur de 25 pdb en août, avant même les annonces de la Fed. Le 15 octobre, elle a procédé à une nouvelle baisse de 25 pdb, ramenant son taux directeur principal à 6%. La banque centrale, plutôt orthodoxe dans sa politique, peut s'appuyer sur une inflation en nette décélération. Cette dernière a atteint 2% en g.a. en septembre, contre 3,4% en août et 4,4% en juillet. Sur les neuf premiers mois de l'année, l'inflation moyenne s'établit à 3,4%, se situant dans la fourchette cible de 2-4% fixée par la BSP. 

Des risques inflationnistes persistent, notamment en raison de récents événements météorologiques, ce qui explique cette approche graduelle, le taux directeur restant largement au-dessus de son niveau pré-Covid de 4%. Le typhon Yagi, qui a frappé une grande partie de l'Asie du Sud-Est en septembre, a provoqué des inondations et des glissements de terrain. Ces intempéries pourraient avoir un impact sur les prix à court terme, alors que les difficultés d'approvisionnement alimentaire aux Philippines ont été une source majeure de pression inflationniste.

Dans le sillage des annonces de la Fed, la Banque centrale indonésienne (BI) a elle aussi abaissé son taux principal de 25 pdb, à 6%. L'Indonésie peut également se targuer d'une inflation en net recul, stable sous les 3% (cible de la banque centrale depuis un an), mais aussi d'une stabilisation de sa devise. La roupie, qui s'était dépréciée de près de 10% face au dollar durant le premier semestre 2024, a presque retrouvé son niveau de janvier 2024. Très sensible aux mouvements de marché, qu'elle sait prompt à la volatilité, la BI a elle aussi opté pour une approche graduelle, et dispose encore de marges de manœuvre, alors que son taux directeur pré-Covid s'élevait à 5%.

Mieux protégée des mouvements brusques de capitaux grâce à la fermeture de son compte de capital et acculée par la crise aiguë de son secteur immobilier, la Banque centrale de Chine (PBoC) s'est lancée dans un assouplissement monétaire sans précédent depuis la sortie de la crise du Covid. Le taux de mise en pension à 7 jours (7D reverse repo rate) a été raboté de 20 pdb et le taux pour les prêts à moyen terme (1Y MLF rate) de 30 pdb, atteignant son plus bas historique à 2%. L'enjeu pour la Chine n'est pas tant lié aux conditions externes, à la maîtrise de l'inflation ou à la stabilité du taux de change, mais au soutien de son économie domestique.

Plus surprenant, la Banque centrale coréenne (BoK) a rejoint ses homologues mondiaux le 11 octobre en annonçant le début de son cycle d'assouplissement. Le taux directeur principal a été réduit de 25 pdb, à 3,25%. Cette décision intervient dans un contexte de ralentissement de l'inflation, à 1,6% en g.a. en septembre, contre 2% en août et 2,6% en juillet. L'inflation sous-jacente a également ralenti, pour s'établir à 2%. 

Le consensus économique ne misait cependant pas sur un assouplissement. D'une part, parce que le taux directeur coréen demeure très en-dessous de celui de la Fed. Ensuite, parce que le won fait partie des devises asiatiques ayant le plus souffert du dollar fort en 2022-2023, ce dernier avait cédé jusqu'à 20% face au billet vert. 

Enfin, la BoK reste vigilante face à plusieurs facteurs de risques structurels. Les décideurs politiques craignent qu'une réduction brutale des taux ne stimule trop la croissance du crédit. L'endettement des ménages demeure une préoccupation majeure en Corée. Après avoir augmenté de 1,9% en g.a. au T2 2024 (1,6% au T1 2024), il devrait diminuer grâce au resserrement des politiques macroprudentielles. 

Les tensions au Moyen-Orient constituent un autre facteur de risque majeur, susceptible d'impacter le prix du pétrole, dont la Corée du Sud est très dépendante et donc source d'inflation. Le repli du prix du baril de Brent cette semaine après qu'Israël a annoncé renoncer à frapper les infrastructures iraniennes est donc une bonne nouvelle pour la Corée.

Enfin, la Banque centrale thaïlandaise (BoT) a voté, à 5 contre 2, une baisse de 25 pdb du taux principal, à 2,25%. Le consensus (24 économistes sur les 28 interrogés par Reuters) anticipait un maintien du taux de rachat à un jour, le taux directeur principal de la BoT, à 2,50%, son niveau le plus élevé depuis plus d'une décennie. 

Alors que l'inflation évolue actuellement sous la cible de 1%-3% fixée par la BoT, les inquiétudes autour de la croissance semblent avoir gagné les banquiers centraux. L'IPC a enregistré une hausse de 0,6% en g.a. en septembre, contre 0,35% en août. Sur la période janvier-septembre, le pays affiche une inflation très faible de 0,2%, liée à des effets de base, notamment sur les prix énergétiques, mais aussi à la faiblesse de la demande. La croissance, bien qu'en progression (2,3% au T2 contre 1,6% au T1 en g.a.), reste inférieure à celle de la plupart des pays d'Asie du Sud-Est. Dans ce contexte, le gouvernement de Paetongtarn Shinawatra a réitéré ses appels en faveur d'une réduction des coûts d'emprunt pour stimuler l'économie. 

La BoT, tout en prenant en compte ces demandes, maintient une approche prudente. Cette posture s'explique par le contexte géopolitique incertain et les pressions inflationnistes potentielles résultant des mesures pro-consommation annoncées par le nouveau gouvernement, telles que l'augmentation du salaire minimum et l'émission de bons de consommation.   

Inde, Malaisie, Singapour : la prudence reste de mise 

Le 7 octobre, tous les regards étaient tournés vers la Reserve Bank of India (RBI), qui a choisi de maintenir son taux directeur à 6,5%, un niveau inchangé depuis février 2023. Et pour cause, les pressions inflationnistes perdurent, notamment sur les denrées alimentaires, qui comptent pour près de 50% de l'indice. L'IPC a progressé de 5,5% en septembre 2024 en glissement annuel (g.a.), contre 3,7% en août 2024. Un niveau satisfaisant pour la RBI, qui cible 4% d'inflation, avec une marge de +/-2%, mais qui frôle la borne supérieure de la cible en septembre. La RBI adopte donc une approche prudente, privilégiant le contrôle de l'inflation à l'alignement sur la politique de la Fed. 

Néanmoins, Shaktikanta Das, gouverneur de la RBI, a annoncé un changement de posture du comité de politique monétaire, passant de « retrait des mesures accommodantes » à « neutre », ouvrant ainsi la voie à un assouplissement monétaire. Nous prévoyons ainsi deux baisses de taux de 25 pdb, en décembre 2024 et en février 2025, ramenant le taux directeur principal de la RBI à 6%.

De même, la Banque centrale de Singapour (MAS) a annoncé le 15 octobre maintenir ses paramètres de politique monétaire inchangés. Rappelons que la MAS utilise un cadre de politique monétaire unique qui repose sur le taux de change du dollar de Singapour. Pour ce faire, la MAS contrôle le taux de change effective nominal (S$NEER) du dollar singapourien par rapport à un panier de devises composé des principaux partenaires commerciaux de la cité-État. Cette spécificité s'explique par la grande ouverture de l'économie, rendant Singapour très sensible à l'inflation importée.

Alors que l'inflation a ralenti à 1,7% en septembre 2024 en g.a., la performance économique est encourageante, avec une croissance de 2,1% au T3 2024, portée par le secteur manufacturier et électronique. Dans ce contexte favorable, la décision de la MAS d'opter pour le statu quo s'inscrit en cohérence avec son objectif de stabilité des prix à moyen terme. 

Enfin, la Bank Negara Malaysia (BNM) a poussé le concept de forward guidance à son paroxysme en indiquant souhaiter maintenir son taux directeur inchangé à 3% jusqu'à 2026, une décision cohérente puisque ces 3% correspondent au niveau historique de son taux d'intérêt. Avec une inflation autour des 2%, un taux directeur à 3% correspond au maintien d'une politique monétaire oscillant entre la neutralité et l'orthodoxie, avec des taux d'intérêt positifs.

Notre opinion

La réduction de 50 pdb des taux directeurs par la Réserve fédérale a élargi l'écart de taux (spread), offrant une plus grande latitude aux banques centrales asiatiques pour initier un cycle d'assouplissement. De plus, l'appréciation généralisée des devises asiatiques (à l'exception de la roupie indienne) face au dollar, observée depuis l'été 2024, a renforcé cette marge de manœuvre. Cette conjoncture favorable permet aux banques centrales d'envisager des baisses de taux sans risquer de déstabiliser leurs monnaies nationales ou leur balance des paiements avec des sorties brusques de capitaux. La plupart des banques asiatiques demeurent en effet très marquées par la crise de la fin des années 1990. Elles ont depuis considérablement musclé leurs politiques macroprudentielles afin d'éviter que les conditions externes ne déstabilisent trop leur économie. Cette approche prudentielle passe aussi le plus souvent par des politiques monétaires relativement orthodoxes, gage de crédibilité face à des marchés qui peuvent avoir la mémoire un peu trop longue.

Article publié le 18 octobre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine 

Asie du Sud – Où en est l'assouplissement monétaire ?

La réduction de 50 pdb des taux directeurs par la Réserve fédérale a élargi l'écart de taux (spread), offrant une plus grande latitude aux banques centrales asiatiques pour initier un cycle d'assouplissement. De plus, l'appréciation généralisée des devises asiatiques (à l'exception de la roupie indienne) face au dollar, observée depuis l'été 2024, a renforcé cette marge de manœuvre. Cette conjoncture favorable permet aux banques centrales d'envisager des baisses de taux sans risquer de déstabiliser leurs monnaies nationales ou leur balance des paiements avec des sorties brusques de capitaux. La plupart des banques asiatiques demeurent en effet très marquées par la crise de la fin des années 1990. Elles ont depuis considérablement musclé leurs politiques macroprudentielles afin d'éviter que les conditions externes ne déstabilisent trop leur économie. Cette approche prudentielle passe aussi le plus souvent par des politiques monétaires relativement orthodoxes, gage de crédibilité face à des marchés qui peuvent avoir la mémoire un peu trop longue.

Matteo GUERRAZ, Economiste (stagiaire) - Asie