Serbie – Que nous révèle l'analyse des flux commerciaux et d'investissement de l'alignement du pays ?

Serbie – Que nous révèle l'analyse des flux commerciaux et d'investissement de l'alignement du pays ?

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Depuis l'invasion russe de l'Ukraine, l'alignement géopolitique de la Serbie avec l'Europe fait l'objet de beaucoup d'attention. Le cas serbe se prête en effet à de longs débats sur son alignement entre Est et Ouest, et sur la façon dont il a évolué ces dernières années. Non seulement à cause des relations culturelles historiques avec la Russie, mais aussi à cause d'un resserrement des liens plus récent avec la Chine, accéléré par la diplomatie sanitaire de Pékin pendant le Covid. Le renouveau du dialogue autour de l'adhésion des pays des Balkans à l'Union européenne n'apporte que peu d'éclairages sur le sujet, tant la question de la sincérité des deux parties à aller jusqu'au bout du processus se pose pour la Serbie de A. Vucic. Alors, plutôt que de se pencher sur des éléments diplomatiques, il s'agira ici de poser une partie du profil géo-économique du pays en observant l'évolution récente des flux commerciaux et d'investissements. Ces éléments nous informeront sur la façon dont l'économie pourrait orienter les futurs choix d'alignement (et de désalignement) de Belgrade. 

Depuis 2018, les IDE chinois à destination de la Serbie ont régulièrement augmenté. Tandis que les IDE en provenance de l'Union européenne sont plutôt en baisse sur la période. Par conséquent, depuis le Covid (2020 – T1 2024), les IDE chinois représentent 25% des IDE entrants contre 11% avant (2016 – 2019). Ceux venant de l'UE sont passés de 61% à seulement 45% (bien qu'ils soient plus stables – de 66% à 62% – en incluant les autres pays européens hors Russie et Turquie). En termes de flux globaux, la photographie de la Serbie est donc bien celle d'un pays dont l'alignement géo-économique devient de plus en plus ambigu. À terme, la mine représenterait 4% du PIB Serbe (chiffre de 2023) et produirait suffisamment de lithium pour 1 million de véhicules électriques, soit 17% de la demande européenne. L'investissement pour ouvrir la mine était initialement annoncé à 2,4 Mds USD

Ces investissements chinois se concentrent dans les énergies renouvelables (solaire et éolien), l'automobile et dans le secteur minier. La prise de participation dans la mine de cuivre de Bor par la société chinoise Zijin Mining est particulièrement structurante pour les échanges entre les deux pays. L'investissement de 1,26 Mds USD annoncé en 2018 a fait décoller les exportations serbes vers la Chine. L'importance de cette implantation chinoise devrait augmenter après l'annonce en janvier 2024 d'un nouvel investissement de 2,2 Mds USD. Il doit permettre d'alimenter la mine de Bor en énergie grâce à l'implantation de capacités solaires, éoliennes et de production d'hydrogène. 

La présence chinoise dans le secteur minier est également un outil dans la relation avec les européens. En effet, la mine de Jadar, qui doit devenir la plus grande mine de lithium en Europe (1), aurait pu être exploitée par la Chine. Si c'est finalement l'entreprise anglo-australienne Rio Tinto qui doit en assurer l'exploitation, la Serbie devrait tout de même contribuer à l'intégration de la Chine aux chaînes de valeurs européennes dans l'électro-mobilité : l'entreprise chinoise de fabrication de pièces automobiles Minth Holding Limited, qui dispose déjà de deux usines en Serbie, avec une troisième spécialisée dans les composants de véhicules électriques déjà en construction, a annoncé en juillet 2024 un investissement de 870 M USD pour une usine supplémentaire dans le pays. 

Les constructeurs et équipementiers européens sont eux aussi intéressés par la Serbie : Stellantis a inauguré en juillet 2024 la première ligne de production destinée à un modèle électrique du pays. De plus, la Serbie et l'UE ont signé en juillet 2024 un protocole d'accord pour un partenariat stratégique dans les matériaux critiques. Mercedes Benz, qui accompagnait le chancelier allemand Olaf Scholz en Serbie pour la signature de ce protocole, a laissé entendre lors de ce déplacement que la marque souhaiterait à terme ouvrir une usine de batteries à proximité de la mine de Jadar. Avec le soutien de la SFI, la société slovaque de batterie InoBat a quant à elle déjà prévu d'ouvrir sa première gigafactory en Serbie. La société, qui compte Rio Tinto parmi ses actionnaires, s'est justement associée à Minth Holding Limited pour en faire un fournisseur de sa future usine serbe. 

Si les IDE russes sont plus modestes et en recul, le pays continue de jouer un rôle central dans l'approvisionnement énergétique de la Serbie. Pour commencer, le principal énergéticien serbe, Naftna Industrija Srbije (NIS), est détenu en majorité par des capitaux russes. Par ailleurs, le pays importe la majorité de son énergie fossile depuis la Russie (57% sur les cinq dernières années). Depuis 2021, la Serbie est approvisionnée en gaz russe grâce au gazoduc Turkstream (via l'extension Balkan Stream passant par la Bulgarie), tandis que le pétrole est acheminé par l'oléoduc JANAF via la Croatie. 

Face à l'évolution du contexte sécuritaire européen, la Serbie a malgré tout fourni des efforts en termes de diversification de son approvisionnement en gaz, notamment par la signature d'un accord d'approvisionnement avec l'Azerbaïdjan en novembre 2023 (2) (avec une possibilité d'augmenter les quantités après 2027). Malgré cela, en 2022, la Serbie a fait le choix d'un accord gazier de 3 ans avec la Russie. Celui-ci prendra fin en mars 2025. Les deux parties ont déjà formulé leur désir d'étendre ce contrat au-delà, voire d'augmenter les volumes, souhait exprimé par le vice-Premier ministre serbe. La Serbie chercherait également à faciliter son approvisionnement en pétrole russe : la construction d'un oléoduc reliant la Serbie et la Hongrie, et donc connectant la Serbie à l'oléoduc Droujzba, est à l'étude, pour une mise en service en 2027, malgré les sérieux doutes qui pèsent sur la pérennité de cette route. Selon les dires du ministre des Affaires étrangères hongrois au lendemain de la visite de Xi en Europe en juillet, la Chine pourrait participer au financement du projet estimé à 150 millions d'euros. 

La diversification énergétique de la Serbie est plutôt à attendre du côté des énergies décarbonées. En effet, grâce à son important potentiel, la Serbie entend attirer des investisseurs dans les énergies vertes : l'objectif est de produire 40% d'électricité renouvelable d'ici 2040. Le pays doit également faire un choix dans le nucléaire : alors qu'il est en train de changer sa législation pour en permettre l'exploitation, Belgrade a mandaté EDF en septembre 2024 pour réaliser une étude de faisabilité dans le domaine. Le même mois, les États-Unis et la Serbie ont également signé un partenariat stratégique dans le domaine de l'énergie. 

Notre opinion – La Serbie utilise son potentiel dans les énergies vertes, la richesse de son sol et le faible coût de sa main-d'œuvre, y compris relativement aux autres pays d'Europe centrale et orientale, pour attirer des investisseurs étrangers. À l'image de sa politique commerciale, clairement assumée comme opportuniste, la Serbie est ouverte aux capitaux chinois comme aux capitaux occidentaux. Regardés aujourd'hui, les flux entre la Serbie et la Chine révèlent un modèle simple, que la Chine a reproduit dans de nombreux pays, soit un investissement minier générant un flux d'exportations de matières premières vers la Chine. Néanmoins, dans le futur, la relation Serbie – Chine devrait gagner en sophistication, permettant à la Serbie de devenir une des portes d'entrée chinoises dans la filière européenne de l'électro-mobilité. Quant à la dépendance énergétique serbe vis-à-vis de la Russie, la situation est nuancée : la Serbie entend profiter autant qu'elle le peut des prix avantageux qu'elle peut obtenir de la Russie, mais prend soin de nouer de nouveaux partenariats. Surtout, c'est sa capacité à attirer des investisseurs étrangers pour devenir un centre de production d'électricité verte qui devrait aider la Serbie à acquérir son indépendance énergétique. Dans le nucléaire, le choix n'est pas encore fait et les partenaires potentiels sont nombreux. La décision sera certes structurante pour la Serbie, mais le message qu'envoie l'étude géoéconomique du pays est clairement celui du non-alignement. C'est un facteur de risque qu'il faut suivre, en particulier en cas d'augmentation des tensions entre l'Europe et la Chine.

Article publié le 27 septembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine 

(1)  À terme, la mine représenterait 4% du PIB Serbe (chiffre de 2023) et produirait suffisamment de lithium pour 1 million de véhicules électriques, soit 17% de la demande européenne. L'investissement pour ouvrir la mine était initialement annoncé à 2,4 Mds USD.  
(2) En décembre 2023, une interconnexion gazière connectant la Serbie à la Bulgarie, financée par l'UE, a été inaugurée. Elle permet à la Serbie de recevoir du GNL venu d'Azerbaïdjan. En août, puis en octobre 2024, la Serbie a également signé des protocoles d'accord avec la Roumanie et la Macédoine du Nord respectivement pour établir des liaisons gazières avec ces pays (le but de l'accord avec la Macédoine du Nord étant une connexion avec la Grèce).