Égypte – Que propose vraiment le FMI ?
- 11.09.2024
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Le 28 août, le FMI a publié le rapport de la troisième revue de son programme avec l'Égypte. Celle-ci a permis le versement d'une tranche de 820 millions de dollars en juillet. Ce programme avait été sollicité par l'Égypte fin 2022 pour faire face au choc de la guerre en Ukraine (1). Il avait été rapidement suspendu lorsque le pays avait basculé dans une crise qui avait retardé la transition vers un change flexible, pilier fondamental du programme FMI. L'apport exceptionnel de liquidité des Émirats (24 milliards USD), début 2024, a ensuite permis l'ajustement du change officiel au niveau du marché parallèle.
Le programme du FMI a pu reprendre, avec la validation des trois premières revues, mais avec un an de retard. Le programme a alors été recalibré, de 3 à 8 milliards de dollars. Par ailleurs, le FMI a publié de nouvelles prévisions économiques, mais il ne s'agit pas d'une simple révision technique des variables. En effet, les différences de prévision entre les deux programmes révèlent que le nouveau plan impose des ajustements plus abrupts que prévu à l'Égypte. Que propose réellement le FMI ?
Le pari de transformation de l'économie égyptienne reste le même…
La philosophie du programme n'a pas changé. Le pari consiste à stabiliser les anticipations des marchés et les variables macroéconomiques à court-terme, pour sortir d'un management de crise, et se concentrer sur la transformation du modèle économique à moyen-terme. Ce dernier, plus équilibré, réduirait alors la vulnérabilité de l'Égypte à de nouveaux chocs externes. On retrouve ainsi dans le programme révisé des piliers inchangés : un change flexible, une gestion fiscale et monétaire prudente qui n'exacerbe pas les déséquilibres, et la construction d'un environnement propice à l'investissement privé. Tout cela appuierait une transformation du financement externe en faveur d'investissements stables (investissements directs étrangers - IDE) tout en réduisant la dépendance aux investissements de portefeuille, volatils en cas de chocs. Le programme du FMI, associé au soutien du Golfe, vise à enclencher un cycle vertueux de confiance, pendant que les réformes se mettent en place.
… mais les paramètres d'ajustement ont changé
Malgré ces piliers inchangés, le paramétrage macro-économique du programme est modifié. Cela reflète évidemment un changement de point de départ car deux ans de crise et de nouveaux chocs (guerre Israël-Hamas, attaques Houthis, chute de la production gazière) ont entamé les marges de manœuvre (notamment budgétaires) et ont créé de nouveaux besoins de liquidité.
Ainsi, le FMI prévoit maintenant une croissance à 2,7% en 2024 contre 5,3% dans le programme initial. À moyen terme cependant, le plan projette une trajectoire convergeant vers celle du programme initial (5,6% contre 6%, en 2028). Mais, dans les cinq ans à venir, cela veut dire que le FMI anticipe une croissance plus faible que prévu, donc des ajustements plus sévères.
Cette importante révision n'est pas étonnante car l'économie égyptienne doit gérer plusieurs contraintes à la fois : un investissement déprimé, une austérité fiscale et monétaire, et la baisse des revenus du Canal de Suez et de la production gazière. Quant au rattrapage de la croissance à moyen terme entre les deux programmes, elle repose sur une réduction progressive de ces contraintes, mais aussi sur une consommation privée revue à la hausse. Cette prévision interroge. D'abord, parce qu'il manque les bases pour soutenir une telle relance. Elle peut certes s'appuyer sur une inflation qui devrait être plus faible, mais c'est un pari à surveiller car les revenus de la classe moyenne ont été érodés par la crise. Ensuite, parce que ce profil de croissance n'est plus le scénario recherché d'une hausse de l'investissement privé.
La trajectoire de consolidation budgétaire a également été révisée. Elle se base sur un décalage du pic de déficit de 2024 à 2025, dû au retard de l'ajustement du change par rapport au programme initial (début 2024 au lieu de début 2023). À partir de ce point haut, la consolidation du budget demandée par le FMI est plus exigeante, alors même que la forte augmentation du coût de la dette et des subventions va compliquer l'exercice. Une telle équation ne sera possible qu'avec des surplus primaires beaucoup plus ambitieux. Pour y arriver, le plan du FMI mise d'abord sur un retrait des subventions et une contraction de l'investissement public, puis sur une augmentation des revenus de l'impôt. Mais cela va augmenter les risques d'exécution… L'exercice fiscal proposé à l'État égyptien n'est donc pas sans risque : il s'agit d'augmenter les impôts de façon assez abrupte, pour payer la dette de l'État. D'autant que l'objectif de dette à moyen terme est devenu plus exigeant : à 69% du PIB en 2028 dans le programme révisé, contre 80% initialement.
L'augmentation du coût de la dette est due quant à elle à un sévère resserrement monétaire lié aux dévaluations entre 2022 et 2024. Les taux d'intérêt ont augmenté de 19 points de pourcentage entre mars 2022 et mars 2024. À cela s'est ajoutée une détérioration des conditions de financement sur le marché des bons du trésor, saturé par un recours de plus en plus important au financement domestique à court-terme, et fragilisé par le retrait massif des investisseurs étrangers.
Le retour tonitruant des investisseurs sur le marché domestique, depuis mars 2024, a amélioré ces conditions de financement. Cependant, la dynamique de la dette s'inverse : pendant la crise, des taux d'intérêt réels fortement négatifs (du fait de l'inflation) ont été favorables au différentiel croissance-intérêts qui porte la trajectoire de la dette – à déficit primaire nul, si l'économie croît plus vite que les taux d'intérêt réels, la dette diminue. Aujourd'hui, c'est l'inverse, avec une croissance revue à la baisse et des taux d'intérêt réels repassés en territoire positif. Compte tenu de la détérioration de la structure de la dette, dont environ 40% est à moins d'un an, la hausse des coûts de financement s'imprime rapidement sur la dette.
Reste la question du rééquilibrage des financements externes. En 2024, l'investissement des Émirats et le retour des investissements de portefeuille ont apporté beaucoup de liquidité, mais ponctuellement. Cela a réduit les risques immédiats de liquidité tout en reconstituant les réserves de change (2). Ces liquidités ont aussi permis de reconstruire les actifs extérieurs nets des banques (3). En revanche, le programme révisé du FMI a revu à la hausse les besoins de financement externes sur les périodes à venir. Ceux-ci découlent du déficit courant et des échéances de dette externe du gouvernement : le FMI prévoit maintenant un déficit courant à 6,5% du PIB en 2024 contre 2,5% dans le programme initial.
Cet écart s'explique par une combinaison de facteurs. D'abord, une normalisation progressive des importations (et le règlement des arriérés) grâce au retour de la liquidité en dollars. Ensuite, des transferts de fonds de travailleurs étrangers en berne (4). Enfin, la baisse des revenus du Canal de Suez (5) ; et un déficit de la balance d'hydrocarbures.
Le FMI prévoit une amélioration du déficit courant à 3,8% en 2028, mais c'est toujours au-dessus des 2,2% prévus initialement. Pour financer ces besoins additionnels en dollars, le programme révisé table donc sur des IDE plus élevés – et un soutien du Golfe… Mais le FMI équilibre aussi l'équation par une plus faible accumulation de réserves et par d'autres financements, qui ne sont cependant pas sécurisés au-delà de 2025 (2,5 milliards de dollars à lever en 2026 et 2027).
Surtout, le financement externe repose toujours sur des investissements de portefeuille : le FMI prévoit des flux entrants de 1,2 à 1,8% du PIB sur les trois prochaines années – entre 5 et 6,5 milliards de dollars. C'est un pari risqué.
Article publié le 6 septembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
notes de bas de page :
(1) Le choc avait alourdi la balance commerciale de l’Égypte. Les céréales, dont le prix a lourdement été impacté
par la guerre en Ukraine, sont le produit d’importation qui pèse le plus lourd sur la balance commerciale de l’Égypte – 7,4 milliards USD en 2022, dont 60% de blé.
(2) Celles-ci ont augmenté de 11 milliards de dollars depuis janvier pour atteindre 46,5 milliards de dollars en juillet, soit 6,5 mois d’importations, au-dessus du niveau d’avant-crise.
(3) Ils restent négatifs à -2,8 milliards de dollars en mars 2024, une position malgré tout bien plus tenable que les -17 milliards atteint en juin 2023
(4) Cela représente 10 Mds USD de manque à gagner par rapport à 2022.
(5) Les attaques des Houthis ont causé une baisse du trafic journalier du canal de 50% en moyenne sur le deuxième semestre, une perte de 2,2 Mds USD.
Le FMI a pu reprendre son programme de réformes, initié fin 2022. Cependant, deux ans de crise ont imposé un recalibrage du programme. En superposant les projections du programme initial avec le programme révisé, on perçoit, en sous-jacent, que cette reprise du soutien du FMI contraint l'Égypte a des politiques d'ajustement plus difficiles, qui reposent sur des paris parfois risqués. En particulier, la structure de la dette et son coût de financement se sont détériorés, ce qui impose des ajustements budgétaires plus strictes, dont le coût social sera aussi plus important. Par ailleurs, les besoins de financement extérieurs seront élevés dans les deux ans à venir. Le FMI note dans son rapport que la réussite du programme dépend de « la matérialisation de tous les financements projetés ». Cela revient à dire que si les risques immédiats de liquidité extérieure ont baissé, ils resteront importants dans les deux ans à venir.
Laure de NERVO, Economiste, Afrique et Moyen-Orient