Maroc – La croissance, au cœur des enjeux de réformes

Maroc – La croissance, au cœur des enjeux de réformes

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La croissance de l'économie marocaine est attendue en légère baisse en 2024, autour de 3% contre 3,3% en 2023. Mais au-delà de la conjoncture, des enjeux plus structurels se dessinent à moyen-terme : celui d'une exposition à un risque climatique qui se réalise, celui d'un modèle de développement en panne qui a entraîné un essoufflement de la croissance (de 4,3% en moyenne sur 2004-2014 à 2,4% sur 2015-2023), et celui d'un chômage élevé qui accélère la temporalité des réformes. Ce sont autant de problématiques qui sont au cœur du plan de réformes d'ampleur lancé par le gouvernement dans son Nouveau modèle de développement (NMD). Que nous disent alors les indicateurs de croissance sur la trajectoire de développement ?

À court-terme, la croissance sera soutenue par une amélioration de la conjoncture nationale. D'abord, l'inflation est fortement retombée. Elle avait atteint un pic de 10% en février 2023, alimentée par l'augmentation des prix de l'énergie à partir de mars 2022 et aggravée par un épisode de sécheresse sévère qui avait fait s'effondrer la production agricole de 12% en 2022. Une normalisation de ces conditions depuis 2023 a entraîné un fort recul de l'inflation. Elle est attendue autour de 2,5% en 2024 contre 6,1% en 2023 (6,6% en 2022), ce qui va soutenir la consommation privée. Ensuite, cette baisse de l'inflation a permis à la banque centrale de mettre fin au cycle de resserrement monétaire en juin, baissant les taux de 3% à 2,75% (la première baisse depuis 2022). 

L'évolution de la demande extérieure est plus incertaine, notamment celle de l'Europe, le premier partenaire commercial du Maroc. Cependant, les secteurs du tourisme et des phosphates restent dynamiques. Par ailleurs, les secteurs de l'automobile et des composants électroniques sont soutenus par l'élan de diversification industrielle marocaine, dont semble témoigner la croissance des exportations de ces secteurs ces dernières années.

La croissance reste cependant contrainte par une nouvelle récession agricole (-5% au premier semestre). Ce facteur inquiète, car il ne s'agit plus d'un choc exogène pour l'économie marocaine. La période 2019-2022 a été la plus sèche enregistrée depuis les années 60, et le manque de pluie devient chronique. Or, le secteur primaire contribue à 12% du PIB marocain. Les récessions agricoles récentes s'impriment donc fortement sur la croissance dont la volatilité augmente.

L'enjeu est encore plus important pour l'emploi, car le secteur absorbe environ 38% de la main-d'œuvre, et même 50% de la main-d'œuvre féminine, dont la participation est déjà très faible (<25%). L'impact social est donc majeur. En 2023, à la suite de l'épisode de sécheresse de 2022, le chômage a atteint 13%, un niveau jamais vu depuis les années 90. Le gouvernement a engagé des réformes pour soutenir le secteur – notamment le développement d'infrastructures hydro-agricoles, et des mesures d'économie d'eau. Toujours est-il que le secteur agricole restera un facteur de volatilité pour la croissance dans les années à venir. Au vu de l'impact sur l'emploi, cette dimension accélère le besoin de transformation de l'économie marocaine, pour réduire les contraintes à la croissance et favoriser la création d'emplois dans d'autres secteurs.

C'est tout l'enjeu du Nouveau modèle de développement1 lancé en 2021. Dans un premier temps, un exercice de consultation a permis de poser le diagnostic. Il identifie les " principaux nœuds à l'origine de l'essoufflement de l'élan de développement ". On trouve, notamment, des indicateurs du secteur privé qui font apparaître une faiblesse de l'entrée et sortie des entreprises dans l'économie marocaine. Cela résulte, selon l'enquête, d'une réglementation lourde, souvent appliquée de marnière hétérogène. Les règles du jeu du milieu des affaires s'en trouvent brouillées et compliquées, ce qui pèse sur la dynamique entrepreneuriale et encourage, bien souvent, l'informalité. Autre grand constat, un système d'incitations économiques non optimisé favorise certains secteurs traditionnels (typiquement la construction), ce qui désincite l'investissement dans des secteurs porteurs de diversification et de productivité. Enfin, une régulation parfois insuffisante autorise des pratiques anticoncurrentielles, qui renforcent les postures oligopolistiques. Finalement, tous ces éléments entraînent une économie de rentes, à l'origine d'une certaine inertie de la structure économique.

Face à ces constats, les réformes s'accélèrent. Notamment, la charte d'investissement, adoptée en 2022, a pour objectif d'inciter 550 milliards de dirhams d'investissements d'ici 2026 (51 milliards d'euros, ou 30% du PIB), de créer 500 000 emplois (4,7% de l'emploi actuel). Les autorités visent plus largement de porter l'investissement privé à 2/3 de l'investissement total, contre 1/3 actuellement. Cette charte constitue justement une refonte complète du système d'incitations, au profit de la diversification. Cela sera appuyé par des réformes du climat des affaires, pour renforcer la régulation et prévenir les pratiques anticoncurrentielles.

Enfin, l'éducation et l'inclusion apparaissent au centre des réformes. L'offre d'éducation au Maroc a été élargie et généralisée, mais cela s'est fait parfois au détriment de la qualité, qui reste en dessous des standards internationaux, selon l'appréciation de Moody's dans son dernier rapport. Il y a également un problème d'alignement des cursus universitaires avec le marché du travail. La Banque mondiale note à ce propos qu'un diplôme d'université multiplie par cinq les chances de chômage2. Le système éducatif est donc un axe central du programme de réformes. Par ailleurs, le Maroc s'est engagé dans une refonte du système de protection sociale, proposant une protection universelle, qui est un pas clé pour améliorer la résilience des populations vulnérables et une incitation à la formalisation de l'économie.

Notre opinion - Le Maroc a su faire preuve d'une efficacité reconnue dans la gestion de ses politiques publiques, lui permettant d'assurer une certaine stabilité macroéconomique à l'épreuve des chocs (Covid, guerre en Ukraine, tremblement de terre…). C'est un gage de confiance important pour les investisseurs, qui a notamment permis un historique ininterrompu d'accès aux marchés internationaux, et un coût de dette faible, éléments qui assoient sa soutenabilité. Mais cet attachement à la stabilité, marqué par un ancrage des politiques sur le temps long, a peut-être atteint une limite : celle d'une économie marquée par une forme d'inertie, face aux défis de l'urgence climatique et de l'emploi, qui viennent mettre en danger la stabilité de la trajectoire marocaine. Cela dit le diagnostic des contraintes et des enjeux macroéconomiques et sociaux semble bien posé et le Maroc s'est lancé dans un programme de réformes d'ampleur. Le début d'un développement dans certains secteurs, comme les composants automobiles ou électroniques, sont peut-être les premiers signes d'une économie remise en mouvement, même si les effets de ce plan sur la croissance et l'emploi ne pourront être pleinement mesurés que sur le moyen terme.

 

  1. " Le Nouveau Modèle de Développement. Libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous ". Rapport général de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement ; Avril 2021
  2. Labor Market in Morocco: challenges and Opportunities, Banque Mondiale, rapport n° 125041, 2018

 

Article publié le 13 septembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Maroc – La croissance, au cœur des enjeux de réformes

Le gouvernement a engagé des réformes pour soutenir le secteur agricole – notamment le développement d’infrastructures hydro-agricoles, et des mesures d’économie d’eau. Toujours est-il que le secteur restera un facteur de volatilité pour la croissance dans les années à venir. Au vu de l’impact sur l’emploi, cette dimension accélère le besoin de transformation de l’économie marocaine, pour réduire les contraintes à la croissance et favoriser la création d’emplois dans d’autres secteurs. C’est tout l’enjeu du Nouveau modèle de développement lancé en 2021.

Laure de NERVO, Economiste, Afrique et Moyen-Orient