Thailande – Paetongtarn Shinawatra prend les rênes dans un contexte politique délicat

Thailande – Paetongtarn Shinawatra prend les rênes dans un contexte politique délicat

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Élue à une nette majorité le 16 août (319 voix pour, 145 contre, 27 abstentions) et officiellement nommée le 18 août par le roi, Paetongtarn Shinawatra est devenue la 31e Première ministre de la Thaïlande. Elle a émergé sur le devant de la scène politique en octobre 2023, en prenant la tête du Pheu Thai, parti de centre droit. Elle est également connue comme l'héritière de la dynastie la plus puissante de Thaïlande. En effet, Paetongtarn est la troisième dirigeante du pays à porter le nom Shinawatra, après son père Thaksin (2001-2006) et sa tante Yingluck (2011-2014), tous les deux renversés par des coups d'État militaires. La Première ministre succède à Srettha Thavisin (Pheu Thai), destitué le 14 août par la Cour constitutionnelle, à peine un an après son accession au poste de Premier ministre. Par cinq voix contre quatre, la Cour constitutionnelle a jugé que le Premier ministre avait enfreint des règles d'éthique fixées dans la Constitution en nommant à son cabinet Pichit Chuenban, un avocat condamné en 2008 à une peine d'emprisonnement pour corruption. 

La dissolution surprise du premier parti d'opposition

Quelques jours plus tôt, le 7 août 2024, les mêmes juges ont voté à l'unanimité la dissolution du principal parti d'opposition, « Move Forward », et ont déclaré son leader Pita Limjaroenrat ainsi que dix dirigeants du parti inéligibles pour dix ans. Le parti de centre-gauche, souvent identifié comme le parti de la jeunesse urbaine et progressiste, était accusé d'avoir fait campagne pour réformer la loi relative au crime de lèse-majesté. Cette loi est particulièrement sévère, prévoyant jusqu'à quinze ans d'emprisonnement pour toute insulte envers le roi ou sa famille. La Commission électorale thaïlandaise avait saisi la Cour constitutionnelle, arguant que la campagne du parti visait à renverser la monarchie. Notons que le prédécesseur du Move Forward avait connu un sort similaire en 2020. La Cour constitutionnelle avait jugé illégal un prêt accordé par le co-fondateur Thanathorn Juangroongruangkit au Future Forward Party lors de la campagne pour les élections de 2019. 

La dissolution de Move Forward a replongé le pays dans une période d'incertitude politique, s'agissant du parti ayant le plus grand nombre de députés à l'Assemblée. Lors des élections législatives de 2023, le parti avait réalisé une performance historique en remportant 152 des 500 sièges. Cependant, il n'a pas pu former de gouvernement, faute d'avoir obtenu le soutien nécessaire des sénateurs de la chambre haute, intégralement nommés par l'ancienne junte militaire. Finalement, l'échec de Pita Limjaroenrat à se faire élire Premier ministre avait conduit le Pheu Thai à rompre l'alliance et à proposer Srettha Thavisin comme candidat. Ayant obtenu le soutien d'une partie de l'opposition et des partis liés à la junte au pouvoir, dont le Parti de la fierté thaï, Thavisin avait été élu Premier ministre en 2023.

Les députés de feu Move Forward disposaient de 60 jours pour rejoindre un autre parti. Finalement, deux jours après la dissolution, le 9 août, la formation a acté sa renaissance, sous la bannière du Parti du peuple. Cette nouvelle formation est issue de la transformation d'un petit parti existant, Thinkakao, fondé en 2012 mais qui n'avait remporté aucun siège lors des élections de 2019 et 2023. En raison de l'inéligibilité de dix ans prononcée contre plusieurs députés Move Forward, seuls 143 des 152 députés ont pu rejoindre le Parti du peuple. La formation est dirigée par Natthaphong Ruengpanyawut, ancien membre de Move Forward, qui tentera d'accéder au pouvoir au moment des élections de 2027.

Paetongtarn Shinawatra garde le cap

Nouveau rebondissement ce 2 septembre : le Pheu Thai a écarté le parti Palang Pracharat de la coalition et a proposé à son rival de longue date, le Parti démocrate, de rejoindre la nouvelle coalition gouvernementale. Celle-ci est désormais composée de 141 députés du Pheu Thai, 70 du Parti de la fierté thaïe, 36 du Parti de la Nation thaïe unie et 25 du Parti démocrate, ainsi que 34 députés de différents petits partis. La coalition dirigée par le Pheu Thai dispose donc d'une majorité confortable à la chambre des représentants, permettant à la Première ministre de gouverner sans trop de difficultés. La composition du nouveau gouvernement a été approuvée par le roi de Thaïlande Maha Vajiralongkorn le 4 septembre. Le Pheu Thai détient 17 postes ministériels, les 19 autres étant répartis entre les partenaires de la coalition. Le gouvernement présentera sa politique générale au Parlement à partir de jeudi (12/09). 

Paetongtarn Shinawatra a annoncé qu'elle s'inscrirait dans la continuité de son prédécesseur. La priorité sera donnée aux investissements et au tourisme, un secteur crucial pour l'économie thaïlandaise toujours en difficulté depuis le Covid. De plus, elle poursuivra la politique phare initiée par Srettha Thavisin : la distribution de 450 milliards de bahts (soit 13,1 milliards de dollars) à la population via des « portefeuilles numériques ». Ce programme de stimulation vise à dynamiser la consommation et, par conséquent, à relancer la croissance économique thaïlandaise en berne depuis 2020. 

Notre opinion

Le gouvernement de Paetongtarn Shinawatra hérite d'une situation compliquée. À la croissance molle thaïlandaise (2,5% en 2022 et 1,9% en 2023), qui tranche avec le dynamisme des autres économies de la zone, s'ajoute l'instabilité politique. La Thaïlande est ainsi un des rares pays à ne pas encore avoir retrouvé son niveau de PIB pré-pandémie : la récession y avait été particulièrement violente, la reprise peu dynamique et la forte dépréciation du baht avait pesé sur les équilibres extérieurs. Les marchés n'ont pour le moment pas réagi aux événements politiques. Leur attention se porte sur les politiques annoncées par la nouvelle administration, qui seront présentées plus en détail en fin de semaine au Parlement. 

Paetongtarn profite néanmoins d'une légère embellie, notamment due à une bonne saison touristique début 2024. La Thaïlande a enregistré une croissance de 2,3% au T2 2024 en glissement annuel. Nous anticipons une croissance de 2,4% en 2024 et attendons également un léger assouplissement de la politique monétaire avec une baisse du taux directeur de 25pb (de 2,5% à 2,25%), qui devrait avoir lieu dans le sillage de celle (très) attendue de la Fed.

Révision de l'article publié le 6 septembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine 

Thailande – Paetongtarn Shinawatra prend les rênes dans un contexte politique délicat

Le gouvernement de Paetongtarn Shinawatra hérite d'une situation compliquée. À la croissance molle thaïlandaise (2,5% en 2022 et 1,9% en 2023), qui tranche avec le dynamisme des autres économies de la zone, s'ajoute l'instabilité politique. La Thaïlande est ainsi un des rares pays à ne pas encore avoir retrouvé son niveau de PIB pré-pandémie : la récession y avait été particulièrement violente, la reprise peu dynamique et la forte dépréciation du baht avait pesé sur les équilibres extérieurs. Les marchés n'ont pour le moment pas réagi aux événements politiques. Leur attention se porte sur les politiques annoncées par la nouvelle administration, qui seront présentées plus en détail en fin de semaine au Parlement.

Matteo GUERRAZ, Economiste (stagiaire) - Asie