Chine : le calme avant la tempête ?

Chine : le calme avant la tempête ?

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Les données d'activité publiées pour le premier trimestre 2025 la semaine dernière par la Chine sont un beau pied de nez à Donald Trump et son administration. Alors que les États-Unis et la Chine se sont engagés dans une guerre commerciale intense et multiforme, et que la Fed alerte sur une hausse de la probabilité d'une récession outre-Atlantique, la Chine vient de dévoiler des chiffres de croissance solides, qui tranchent avec l'atmosphère de fébrilité régnant depuis les annonces sur les droits de douane. 

Un début d'année solide…

Au premier trimestre, la croissance a ainsi atteint 5,4%, dépassant les attentes du consensus. Cette dernière a été alimentée par la production industrielle qui a nettement accéléré en mars, passant de 5,9% à 7,7%, notamment soutenue par les secteurs du panneau solaire, des appareils électriques et composants et des équipements de transports.

Mais la bonne surprise est surtout venue des ventes au détail, qui ont augmenté en mars de 5,9% en glissement annuel, contre 4% en janvier-février. Portées par le programme de subventions, dont le montant a été doublé pour 2025, passant de 150 milliards de RMB à 300 (soit environ 40 milliards de dollars), les achats de téléphones, télévisions ou appareils ménagers affichent une croissance à deux chiffres.

Anticipant – avec raison – une dégradation des conditions tarifaires, les exportateurs chinois ont accéléré leurs envois, en particulier à destination des États-Unis. Les exportations ont bondi de 12,4% en mars, soutenues par toutes les géographies, notamment la zone Asean (+11,6%) et les États-Unis (+9,1%). Sans surprise, les produits les plus exportés sont des biens de consommation (textile, chaussures, meubles, téléphones) et les pièces détachées automobiles. L'excédent commercial chinois pour le seul mois de mars a dépassé les 100 milliards de dollars, et frôle les 1 100 milliards de dollars sur douze mois.

… qui n'éteint pas les inquiétudes plus profondes

Ces bonnes nouvelles permettent à la Chine de prendre un peu d'avance sur son objectif de croissance de 5% en 2025, et ce quels que soient les prochains développements dans l'affrontement commercial avec les États-Unis. Elles masquent en revanche une situation structurelle plus nuancée, toujours grevée par des tensions déflationnistes, reflet d'un manque de dynamisme interne que le programme de subventions à la consommation ne permettra pas à lui seul de compenser.

Premier constat, la Chine n'en a pas encore fini avec la déflation. En mars, l'indice des prix à la consommation restait négatif pour le deuxième mois consécutif (-0,7% en février, -0,1% en mars). Cette trajectoire est le reflet d'une demande domestique toujours contrainte, et fait craindre l'existence d'un fort effet d'aubaine des ménages, qui profitent des programmes de subventions des autorités mais n'ont pas l'intention de modifier en profondeur leurs arbitrages entre épargne, consommation et désendettement.

Les producteurs, quant à eux, se livrent toujours à une intense guerre des prix pour conserver leurs parts de marché, domestiques ou extérieures. La baisse des prix des matières premières, observée la semaine dernière dans le sillage des annonces tarifaires de Donald Trump, pourrait continuer à soutenir ce mouvement, tout en donnant un peu d'air à des entreprises dont les marges ont nettement diminué depuis trois ans.

Deuxième constat, la crise du marché immobilier n'est pas encore réglée, et les signaux venant de ce secteur sont encore mitigés. Il semblerait que le déstockage se poursuive, et que le lancement de nouveaux projets (investissement, permis de construire) reste fortement réduit en raison des difficultés des promoteurs immobiliers. Si la baisse des prix se stabilise depuis la fin de l'année, elle perdure néanmoins, avec des situations toujours hétérogènes entre grandes villes (Tier-1 et Tier-2) et périphérie (Tier-3 et au-delà).

La situation du marché immobilier alimente l'environnement déflationniste chinois. Ce constat est maintenant pris en compte par les autorités.

Dernier élément, si les exportations ont connu un mois exceptionnel, les importations se sont quant à elles nettement contractées en mars (-4,3% en g.a.), résultat d'un effet prix sur les matières premières, mais aussi signe que les producteurs chinois anticipent une baisse de la demande. C'est aussi ce qui explique l'excédent commercial enregistré en mars.

La grande inconnue : plongée dans la guerre commerciale sino-américaine

Après avoir joué la partition de l'apaisement et de la négociation, et en l'absence de volonté d'apaisement ou de signe d'ouverture côté américain, la Chine a finalement répondu avec force aux tarifs douaniers annoncés par les États-Unis.

À l'heure actuelle, toutes les importations en provenance des États-Unis sont donc taxées à 125% (contre 145% au minimum côté américain). La Chine a également annoncé de nouvelles restrictions aux exportations de certains métaux critiques et terres rares (samarium, gadolinium, terbium, dysprosium, lutétium, scandium et yttrium), le lancement d'enquêtes anti-dumping dans le domaine médical (tubes à rayons X), ainsi que le placement de nouvelles entreprises américaines sur sa Unreliable Entities List, qui limite fortement les marges de manœuvre des entreprises ciblées pour opérer en Chine ou avec des contreparties chinoises. Il semblerait également que la Chine se soit rétractée sur une commande de Boeing, et qu'elle ait déjà commencé à diversifier ses approvisionnements en produits agricoles (bœuf, soja, maïs en particulier) auprès d'autres fournisseurs comme le Brésil ou l'Australie.

Alors que la Chine demeure le seul pays ciblé par les droits de douane depuis la suspension pour 90 jours des « droits réciproques », le président Xi Jinping s'est également lancé dans une tournée diplomatique, afin de rencontrer des partenaires et alliés dans la région (Cambodge, Vietnam et Malaisie). Ces trois pays, à commencer par le Vietnam, pour lequel les exportations vers les États-Unis représentent 25% du PIB, seraient très exposés si les droits réciproques étaient effectivement appliqués, avec des tarifs respectifs de 49%, 46% et 24%.

La Chine veut donc les convaincre de faire front commun face aux États-Unis. Une position très délicate pour ces trois pays, qui se sont pour l'instant placés dans le camp des négociateurs, en proposant une baisse de leurs propres droits de douane sur les produits américains, et un engagement à augmenter leurs importations depuis les États-Unis, dans certains secteurs stratégiques comme l'aéronautique ou le gaz naturel liquéfié.

La position actuelle est très inconfortable pour la Chine, qui, isolée, peine à trouver des pays pour s'opposer aux États-Unis. Alors que chacun joue sa partition, le pire scénario serait celui dans lequel des droits très élevés seraient appliqués sur les produits chinois mais pas sur le reste du monde. Ce scénario obligerait les entreprises chinoises à accentuer leurs pratiques de contournement, avec de lourdes conséquences sur l'emploi et la production domestiques. Il conduirait de surcroît le reste du monde (hors États-Unis) à se protéger contre un déferlement de produits chinois découlant des surcapacités et de la fermeture du marché américain.

La Chine a beau se positionner en défenseur du système multilatéral et des règles de l'OMC, deux décennies de subventions massives de ses industries et de bafouement de la propriété intellectuelle ont conduit le reste du monde à se méfier d'elle. Anti-américains ne veut pas dire prochinois et alors qu'il est de plus en plus difficile pour les entreprises internationales de pénétrer le marché intérieur chinois, il y a fort à parier que ces dernières, et leurs États, continueront à privilégier le marché américain.

Les marchés, très fébriles, ont accueilli avec soulagement les quelques concessions de l'administration Trump, qui, sous la pression d'entreprises américaines comme Apple, a suspendu les droits de douane sur les produits de la tech (ordinateurs, téléphones, tablettes), qui représentent environ 20% des exportations de la Chine vers les États-Unis et 100 milliards de dollars annuels. La publication des chiffres de croissance, en revanche, n'a pas eu d'effet très significatif.

Une autre interrogation sera de comprendre la stratégie de la banque centrale chinoise, qui a accepté ces dernières semaines une légère dévaluation de son taux-cible, pour gérer le cours du yuan. Alors que la Chine a largement les moyens de défendre sa devise si nécessaire – ses réserves de change dépassent les 3 500 milliards de dollars – accepter une forte dépréciation du yuan serait sûrement vu comme une provocation supplémentaire par l'administration Trump, qui a régulièrement accusé le pays de manipuler sa devise en la sous-évaluant. Les autres pays, notamment émergents, qui jouent sur la compétitivité-prix plus que hors prix pour pousser leurs exportations, seraient probablement prompts à dénoncer ces pratiques, ce qui compliquerait la tâche chinoise dans sa politique d'alliance face aux décisions américaines. Il est donc probable que la Chine joue la carte d'une très légère dévaluation, mais cherche surtout à stabiliser sa devise autour de ce taux pivot de 7,3. Et ce d'autant plus que, dans le cas où les droits de douane américains resteraient très élevés (au-dessus du taux de 60% annoncé dans un premier temps par Trump lors de sa campagne électorale, et auquel la Chine s'était certainement préparée), jouer la dévaluation pour garder des parts de marché américaines ne serait que très peu efficace.

Notre opinion

Dans le contexte actuel, toute bonne nouvelle est bonne à prendre, et la Chine part avec quelques munitions pour affronter la guerre commerciale qui l'attend en maintenant le cap – ambitieux – d'une croissance à 5%. Mais les données du mois de mars et du premier trimestre ne doivent pas masquer les problèmes, récents ou non, de l'économie chinoise. La déflation persistante souligne combien le chemin vers le retour à la consommation sera encore long, et laisse craindre une retombée dès que le programme de subventions arrivera à son terme. La crise de l'immobilier, qui alimente cette déflation, semble encore loin d'être réglée alors que les stocks de logements vacants diminuent lentement. Enfin, la Chine s'est engagée dans un bras de fer avec les États-Unis dont l'issue est très incertaine. Sa capacité à mobiliser des alliés pour faire front commun dépendra avant tout de l'attitude des États-Unis face au reste du monde. Son isolement, qui est peut-être le but premier de l'administration Trump, serait difficile à gérer, même si sa domination logistique et son statut de puissance industrielle incontournable lui laissent évidemment des cartes à jouer dans cette grande partie de poker commercial.

Chine : le calme avant la tempête ?

Dans le contexte actuel, toute bonne nouvelle est bonne à prendre, et la Chine part avec quelques munitions pour affronter la guerre commerciale qui l'attend en maintenant le cap – ambitieux – d'une croissance à 5%. Mais les données du mois de mars et du premier trimestre ne doivent pas masquer les problèmes, récents ou non, de l'économie chinoise. La déflation persistante souligne combien le chemin vers le retour à la consommation sera encore long, et laisse craindre une retombée dès que le programme de subventions arrivera à son terme. La crise de l'immobilier, qui alimente cette déflation, semble encore loin d'être réglée alors que les stocks de logements vacants diminuent lentement. Enfin, la Chine s'est engagée dans un bras de fer avec les États-Unis dont l'issue est très incertaine. Sa capacité à mobiliser des alliés pour faire front commun dépendra avant tout de l'attitude des États-Unis face au reste du monde. Son isolement, qui est peut-être le but premier de l'administration Trump, serait difficile à gérer, même si sa domination logistique et son statut de puissance industrielle incontournable lui laissent évidemment des cartes à jouer dans cette grande partie de poker commercial.

Sophie WIEVIORKA, Economiste - Asie (hors Japon)