Espagne – Automobile électrique, les défis du déploiement
- 24.04.2025
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L'Espagne a clôturé l'année 2024 avec un total de 115 939 véhicules électriques immatriculés, ce qui représente une part de marché de 11,4% (contre 12% en 2023), selon le dernier rapport annuel de l'Anfac. Malgré une hausse en volume par rapport à 2023, cette part révèle une stagnation, voire un léger recul, du rythme de pénétration du véhicule électrique dans le parc automobile espagnol. En comparaison avec la moyenne européenne (20,7%), l'Espagne reste nettement à la traîne.
Les véhicules utilitaires légers et les autobus continuent de représenter une part très limitée du parc (respectivement 0,8% et 2,7% de leurs segments). De leur côté, les voitures particulières électriques ne représentaient que 1,7% (contre 1,4% en 2023) du total de leur segment, un chiffre bien inférieur à ceux observés en Italie (5,9%), en Allemagne (4,8%) ou en France (3,7%).
La production nationale de véhicules électrifiés a chuté en 2024 à 202 550 unités, soit 8,5% de la production totale (contre 11,4% en 2023). Ce recul s'explique par une baisse de la demande sur les principaux marchés européens et par des ajustements dans les chaînes de production des usines implantées en Espagne. Fin 2024, l'Espagne comptait 38 725 points de recharge publics en service, soit une hausse de 32,2% en un an. Cependant, ce chiffre reste insuffisant pour soutenir une électrification massive du parc. Bien que le nombre total de points installés atteigne 50 171, environ 11 500 (soit 23%) sont hors service, en raison de pannes, de leur mauvais état ou de l'absence de raccordement au réseau électrique. Ce goulot d'étranglement technique et administratif illustre les limites actuelles du déploiement, marqué également par une prédominance des bornes à charge lente (28 939 unités contre 9 786 en charge rapide). À l'échelle européenne, l'Espagne reste en net retrait : 805 points par million d'habitants contre une moyenne de 1 877 dans l'UE-27, confirmant que l'infrastructure de recharge constitue encore un frein structurel à la transition électrique.
Concernant les politiques publiques, le Plan Moves III, principal mécanisme de subvention à l'achat de véhicules électriques et à l'installation de bornes de recharge, n'a pas eu l'impact escompté. Malgré sa prolongation récente jusqu'au 31 décembre 2025 et l'augmentation de son enveloppe budgétaire de 400 millions d'euros (portant le total à 1,7 milliard d'euros), sa mise en œuvre reste confrontée à de sérieux défis. L'un des principaux obstacles est la lenteur des procédures administratives (des bénéficiaires ont dû parfois attendre entre 16 et 20 mois pour percevoir les aides). Cette situation est aggravée par la gestion décentralisée du programme, qui complexifie encore le processus. Douze communautés autonomes ont d'ailleurs exprimé leur désaccord avec le nouveau plan d'aides, soulignant la nécessité d'un travail conjoint pour lever les obstacles persistants à sa bonne application.
Notre opinion
Le cas espagnol révèle certaines limites d'une stratégie de transition énergétique fondée, en partie, sur des subventions à la consommation, en l'absence d'un cadre institutionnel parfaitement coordonné. Malgré un effort budgétaire notable, l'impact macroéconomique des mesures d'électrification des transports reste modéré. Ce n'est pas tant le montant des dépenses qui pose un problème, mais leur faible effet multiplicateur sur l'activité nationale. Une part importante des aides du programme Moves III est orientée vers l'acquisition de véhicules importés de gamme moyenne à supérieure, dont la part de composants fabriqués en Espagne (batteries, électronique…) demeure limitée. Cette configuration entraîne un certain transfert de valeur vers l'étranger, sans impulsion marquée sur l'investissement, l'emploi local ou la productivité. Par ailleurs, les délais de versement des subventions (souvent plusieurs mois après l'achat) réduisent l'impact immédiat de ces incitations, d'autant plus que d'autres facteurs entrent en jeu dans la décision d'achat : le coût final du véhicule, la couverture du réseau de recharge et les questions liées à l'autonomie et à l'entretien. Dans ces conditions, les aides contribuent certes à alléger le coût, mais ne modifient pas fondamentalement la structure de la demande ni le tissu industriel.
Côté offre, la mise en œuvre pratique des objectifs climatiques est parfois ralentie par des capacités administratives variables selon les régions. Cette situation complique le déploiement homogène d'infrastructures de recharge et limite la portée sociale du plan, qui reste plus visible dans les zones urbaines à forte capacité de dépense. On se trouve ainsi dans une configuration où l'effort public est conséquent, mais où les retombées structurelles – tant en matière de décarbonation que de développement industriel – peinent à se matérialiser pleinement. L'Espagne accuse un certain retard par rapport aux objectifs européens (0 g/km de CO₂ en moyenne d'ici 2035 pour les voitures neuves), tout en continuant à explorer les leviers susceptibles de renforcer la compétitivité de son parc électrique à l'exportation. En somme, plus qu'un simple enjeu conjoncturel, les indicateurs de 2024 pointent surtout vers un besoin d'ajustement entre les instruments de soutien et les ambitions de la politique énergétique.
Article publié le 18 avril 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

Le cas espagnol révèle certaines limites d'une stratégie de transition énergétique fondée, en partie, sur des subventions à la consommation, en l'absence d'un cadre institutionnel parfaitement coordonné. Malgré un effort budgétaire notable, l'impact macroéconomique des mesures d'électrification des transports reste modéré. Ce n'est pas tant le montant des dépenses qui pose un problème, mais leur faible effet multiplicateur sur l'activité nationale. Une part importante des aides du programme Moves III est orientée vers l'acquisition de véhicules importés de gamme moyenne à supérieure, dont la part de composants fabriqués en Espagne (batteries, électronique…) demeure limitée. Cette configuration entraîne un certain transfert de valeur vers l'étranger, sans impulsion marquée sur l'investissement, l'emploi local ou la productivité.
Ticiano BRUNELLO, Economiste