Monde – Scénario 2025-2026 : le temps des paris
- 04.04.2025
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- Editorial
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- Prévisions économiques & financières
En résumé
Les contours du "nouveau monde" se dessinent clairement : domination par la force aux dépens des règles de droit et des institutions multilatérales, guerres commerciales se substituant à la défunte mondialisation réputée heureuse, fragmentation/régionalisation des flux commerciaux. Les chemins qui mènent vers ce nouveau territoire, les chemins qui habituellement permettent d'élaborer des scénarios économiques sur un horizon plus court, sont chaotiques. Ils se déforment, notamment, au rythme des obsessions commerciales américaines : droits de douane, si élevés qu'il est tentant de les assimiler à des menaces, dates de mises en œuvre de sanctions annoncées puis différées, espoirs de négociations, rétorsion attendue de la part des pays visés, etc. Les menaces américaines sont empreintes d'une versatilité et d'une démesure telles que leurs victimes passent de l'incertitude, déjà très pénalisante, à la sidération qui obère la capacité à réfléchir, à prévoir et à répondre.
État de sidération, c'est précisément ce qu'ont produit les annonces de droits de douane par D. Trump à l'occasion du "Liberation Day". Tout d'abord, parce que les tarifs douaniers censés, selon D. Trump, vampiriser l'économie américaine laissent perplexes au regard de ceux qui sont effectivement appliqués. Ensuite, parce que les droits de douane annoncés (dont les droits réciproques étrangement calculés) excèdent ce qui avait été anticipé et sont susceptibles d'être encore durcis. Enfin, parce que nous venions d'achever notre scénario trimestriel…
Le chiffrage du scénario pourra être amendé quand les dispositions commerciales définitives (mesures américaines et rétorsions des autres grands pays) seront arrêtées, mais son credo demeure : la facture du protectionnisme est déjà élevée et pourrait encore s'alourdir. Ce surcoût, sous forme d'inflation supplémentaire, justifie la baisse de la croissance américaine prévue en 2025.
Aux États-Unis, depuis le début de l'année, le marché a en effet radicalement modifié son discours, la forte croyance en "l'exception américaine" laissant place à des craintes accrues concernant la croissance. Pour sa part, notre scénario tablait déjà en décembre sur une chronologie des politiques propice à un ralentissement américain mi-2025. Il suppose toujours que les politiques pénalisantes (droits de douane et restrictions à l'immigration, mis en œuvre par décret) seront appliquées avant les dispositions favorables à la croissance comme les réductions d'impôts, nécessitant l'approbation du Congrès. En substance, le policy-mix global penche légèrement in fine en faveur de la croissance. Plus précisément, en l'état, avant donc la pleine application des annonces du 2 avril, notre scénario envisage une croissance de 1,7% en 2025, un net ralentissement au regard des 2,8% affichés en 2024 et une légère révision à la baisse de notre prévision (1,9%) de décembre 2024. Ce fléchissement est assorti d'une inflation proche de 3% fin 2025.
En réponse aux attaques américaines, l'Europe n'a pas désarmé. Une faille transatlantique s'est, en effet, ouverte. Cette fêlure avait déjà été intégrée sous la forme d'un double impact négatif : hausse des droits de douane et montée de l'incertitude soutirant au total 0,3 point de pourcentage (pp) au taux de croissance de la zone euro. La dernière salve de droits de douane intégrée dans le scénario (taxation des véhicules à 25%) opère une ponction supplémentaire de 0,1 pp. Mais la réponse européenne, prometteuse à terme, sous forme d'investissements en infrastructures et de dépenses militaires, et surtout le "package" fiscal allemand, apporterait un surplus de croissance pour la zone euro, croissance que l'on attend pour le moment à 1% en 2025 puis à 1,5% en 2026 (contre 1,2% précédemment). Le durcissement de la confrontation commerciale avec les États-Unis, non inclus dans notre scénario central, fait évidemment peser un risque baissier des deux côtés de l'Atlantique.
La politique monétaire devient le lieu d'arbitrages délicats suggérant que la fin des assouplissements est proche : après le "Liberation Day", la Fed sera confrontée à un exercice d'équilibriste encore plus périlleux. Elle devra conjuguer le soutien à une croissance fragilisée alors que la remontée de l'inflation est le premier risque auquel les tarifs douaniers exposent l'économie américaine. La Fed pourrait finir par relancer son processus de baisse des taux, mais en opérant un assouplissement limité, avec deux nouvelles baisses de 25 points de base (pdb) en juin et en septembre, avant d'entamer une pause prolongée avec une borne haute des Fed Funds à 4%. Les risques sont cependant orientés à la hausse : voir la Fed réduire moins de deux fois ses taux d'ici la fin de l'année ne constituerait pas une surprise.
Quant à la BCE, à l'impact dépressif des droits de douane américains s'opposent les perspectives de croissance plus solide en raison du "package" allemand. Dans un contexte d'immense incertitude, la BCE se doit d'être prudente : avec une certaine audace, le scénario ne retient aujourd'hui qu'une baisse de 25 pdb en juin suivie d'une longue pause, avec un taux de dépôt à 2,25%, et le maintien du resserrement quantitatif. À la différence des États-Unis, le risque est plutôt baissier avec, notamment, la possibilité d'une baisse en avril : il conserve ce biais.
Les taux d'intérêt sont supposés faire le pari précoce des promesses de croissance : une hypothèse qui devrait être maintenue. Alors que les assouplissements monétaires semblent proches de leur terme, le second volet de la politique économique de D. Trump présumé favorable à la croissance et les espoirs de dynamique européenne dopée par les dépenses publiques allemandes restent propices à une remontée progressive des taux d'intérêt.
Aux États-Unis, en l'absence de risque d'atterrissage brutal, il est peu probable de voir le taux à dix ans passer durablement sous la barre des 4%. En calant les prévisions de taux d'intérêt sur le scénario monétaire et le tempo des mesures de politique économique, le taux à dix ans (UST) se replierait jusqu'à la mi-année avant de se raffermir au second semestre 2025 (4,45% fin 2025) et en 2026 (4,75% fin 2026). Dans la zone euro, le changement de politique budgétaire de l'Allemagne conduit à tabler sur un rendement allemand à dix ans (Bund) à 3% fin 2025 (soit près de 20 pdb au-dessus du swap de même maturité) et sur un resserrement des spreads des grands pays à l'égard du Bund. France, Italie, Espagne offriraient des spreads de respectivement 60, 105 et 55 pdb au-dessus du Bund fin 2025.
Enfin du côté du dollar, les "Trump Trades" n'ont pas fait long feu. Si l'élection de D. Trump a été favorable à l'appréciation du dollar, son investiture ne l'a pas aidée : la rapidité de sa dépréciation depuis le début de l'année a surpris. La devise américaine devrait rester sous pression, en particulier si se raniment les inquiétudes liées à "l'accord de Mar-a-Lago" : l'euro pourrait ainsi s'apprécier et culminer à 1,12 dollar fin 2025.
Achevé de rédiger le 3 avril 2025
Les principales hypothèses du scénario et le chiffrage associé, notamment sur la croissance et l'inflation, ont été arrêtés le 31 mars 2025.

Le durcissement de la confrontation commerciale avec les États-Unis fait évidemment peser un risque baissier des deux côtés de l'Atlantique.
Catherine LEBOUGRE, Economiste