Chili – Réforme décisive du système de retraites

Chili – Réforme décisive du système de retraites

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Fin janvier, le Chili a adopté une nouvelle réforme des retraites, la première d'une telle ampleur en quarante-trois ans, soit l'époque de Pinochet, et une promesse de longue date du président Gabriel Boric. Cette réforme transforme le système de capitalisation en un modèle mixte. Nécessaire pour garantir des pensions dignes aux personnes âgées, elle reflète un climat politique favorable et une collaboration entre partis accrue en dépit des élections présidentielle et législatives qui se tiendront en fin d’année. La réforme constitue également un levier important pour "renflouer" les fonds de pension, affectés par d’importants retraits exceptionnels pendant la crise du Covid-19, et pour redonner de la profondeur au marché chilien des capitaux.

La réforme des retraites : en quoi consiste-t-elle ?

Le système chilien des retraites repose sur un modèle de capitalisation individuelle dans lequel l'épargne des travailleurs est, d’une part, obligatoire et, d’autre part, gérée par des entités privées. Lors son arrivée au pouvoir en 2021, Gabriel Boric souhaitait réformer ce système en supprimant les Administradoras de Fondos de Pensiones (AFP). Confronté à la réalité parlementaire, son projet initial a été rejeté, instillant le doute sur la faisabilité de toute réforme. Trois ans plus tard, une version "adoucie" a finalement été adoptée.

Avant la réforme, les cotisations s'élevaient à 11,5% du salaire (10% à la charge de l'employé et 1,5% à celle de l'employeur). La contribution totale de l'employeur augmentera de 7 points de pourcentage (pp) à 8,5%. Cette hausse sera progressive, s'étalant sur une période de neuf à onze ans, avec une priorité donnée aux fonds destinés au prêt à l'État. Sur les 7 pp de nouvelles contributions, 1,5 point servira à un prêt à l'État pour financer les retraites actuelles (remboursé au travailleur au moment de sa retraite), 4,5 points iront directement au compte individuel du travailleur et 1 point, ajouté au 1,5 point existant, alimentera le "pilier solidaire". Ce dernier vise à financer les pensions garanties universelles (PGU) et à augmenter les retraites versées aux femmes (en moyenne inférieures de 11% à celles des hommes). La réforme prévoit également une augmentation de la PGU à 250 000 pesos chiliens (contre 214 000 auparavant). Introduite en 2008 par Michelle Bachelet, cette pension est destinée aux plus démunis, soit actuellement 2,6 millions de personnes. Bien qu'essentielle dans la lutte contre la pauvreté, même revue à la hausse, elle resterait modeste puisqu’inférieure à 50% du salaire médian.

Les ressources destinées à l'État (soit 1,5 pp au titre du prêt déjà mentionné et 2,5 pp finançant les PGU) seront gérées par un Fonds Autonome de Protection de Prévoyance (FAPP), doté d'un modèle de gouvernance similaire à celui d'une banque centrale. La réforme ne supprime pas les AFP, mais ouvre la voie à une concurrence accrue en éliminant certaines barrières à l'entrée (minimum de liquidité) et en soumettant 10% des cotisants, choisis aléatoirement, à un appel d'offres tous les deux ans. Elle inclut des dispositions pour éviter les risques de liquidité lors des transferts de fonds et crée un système unifié pour la réclamation des impayés. Enfin, les types de fonds actuels (de A à E, du plus risqué au moins risqué) seront remplacés par dix fonds dits "générationnels"1 .

Implications économiques : que peut-on attendre ?

La réforme présente des avantages significatifs pour les retraités, qui bénéficieront de taux de remplacement plus élevés. Auparavant, les retraites étaient souvent très faibles en raison de problèmes structurels tels que des contributions insuffisantes et une forte informalité, mais aussi aggravés par l'autorisation de retraits exceptionnels des fonds pendant la crise du Covid-19. Cette mesure, bien que cruciale lors de la crise, a eu des effets mitigés. Elle a permis d'éviter un effondrement économique majeur et a apporté un soutien social important. Mais, cet outil de stimulation de la demande des ménages s’est traduit in fine par une surchauffe qui a fini par entraîner une inflation forte (également alimentée par une baisse du taux de participation), une détérioration des comptes extérieurs ; elle s’est aussi accompagnée de perturbations sur les marchés des capitaux. Enfin, ce sont principalement les travailleurs les plus pauvres qui y ont eu recours et sont confrontés à une forte diminution des fonds épargnés en vue de leur retraite.

Au titre des implications économiques, celles susceptibles d’affecter le marché du travail restent incertaines même s’il est probable que la réforme entraîne une augmentation du travail informel en raison de la hausse des coûts pour les employeurs.

Sur les marchés financiers, la réforme devrait augmenter la capacité à résister aux chocs externes. Les retraits post-Covid ont modifié la structure des marchés financiers domestiques, entraînant une dépréciation du peso et une baisse de la demande pour la dette locale. Ces retraits ont réduit les actifs des fonds de pension de près de 30 pp du PIB, diminuant ainsi la profondeur du marché chilien des capitaux, pourtant bien plus développé que ceux de ses voisins régionaux. L'augmentation des contributions pourrait générer un afflux d'épargne de 4,5 milliards de dollars par an vers le système, favorisant la réactivation du marché des capitaux à long terme (liquidité, maturité avec une épargne longue). De plus, les nouveaux fonds "générationnels", probablement moins risqués que les fonds actuels, devraient accroître la demande pour les actifs locaux à revenus fixes, similaires à ceux des fonds actuellement très sûrs (type E). Cela pourrait réduire la détention de dette par des acteurs étrangers, renforcée après les retraits, et contribuer à "lisser" les fluctuations du peso et des taux d'intérêt.

Sur les dépenses publiques, l’effet est encore incertain mais très probablement légèrement négatif. Les dépenses liées aux PGU exercent une pression constante sur le budget et la réforme n'éliminera pas ces pressions. Du côté des dépenses, l'augmentation de la PGU et les contributions remboursables vont les alourdir. Du côté des revenus, une hausse de l'informalité pourrait réduire les contributions, tandis qu'une augmentation des coûts pour les entreprises affecterait, "toutes choses égales par ailleurs", les recettes fiscales. Cela pourrait contrer les bénéfices de la réduction des taux d’intérêt mentionnée précédemment.

La situation budgétaire reste cependant confortable malgré sa détérioration récente. Le déficit a atteint 2,9% en 2024, soit 1 pp de plus que prévu. L’impact de la réforme pourrait compliquer la "combinaison" d’objectifs du gouvernement : réduction du déficit (à 1,1% en 2025 et 0,5% en 2026) mais aussi volonté de réduire d'autres taxes, comme l'impôt sur les sociétés (de 27% à 24-25%, encore en négociation). Bien que la dette publique reste faible, elle pourrait excéder la limite prudente de 45% établie par le gouvernement.

Implications politiques : que peut-on discerner ?

L'adoption de la réforme des retraites marque un tournant pour le gouvernement Boric, frustré par l'échec de ses réformes emblématiques, telles que la réforme fiscale ou la nouvelle Constitution. Ce succès s'ajoute à d'autres avancées (semaine de 40 heures et hausse historique du salaire minimum). Renforçant l'épargne nationale sans exagérer le coût fiscal, revendiquée par le gouvernement et l'opposition, cette réforme témoigne d'une capacité de collaboration, suscitant l'espoir d'une stabilité politique vertueuse. Cela suggère que les élections de novembre ne devraient pas emprunter un virage à 180°, les Chiliens récompensant la "bonne gestion" et sanctionnant les scandales et incompétences, comme lors des dernières élections régionales et municipales d'octobre.

Article publié le 14 février 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

1 Les cotisants ne pourront plus choisir le type de fonds selon le risque, ils seront affectés automatiquement selon leur tranche d’âge.

Chili – Réforme décisive du système de retraites

La réforme reflète un climat politique favorable et une collaboration entre partis accrue en dépit des élections présidentielle et législatives qui se tiendront en fin d’année. Elle constitue également un levier important pour "renflouer" les fonds de pension, affectés par d’importants retraits exceptionnels pendant la crise du Covid-19, et pour redonner de la profondeur au marché chilien des capitaux.

Catherine LEBOUGRE, Economiste