Mexique : guerre commerciale, premières salves, cessez-le-feu fragile
- 12.02.2025
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Donald Trump a mis sa menace à exécution en signant un décret instaurant des droits de douane de 25% sur les biens importés du Mexique et du Canada (entre autres). Justifiée par des préoccupations de sécurité liées au trafic de fentanyl et à l'immigration illégale, cette décision a provoqué deux jours de quasi panique avant d’être suspendue pour un mois, afin de permettre des négociations. Bien que D. Trump prétende viser des objectifs non commerciaux, son but ultime semble bien être la réduction du déficit commercial américain. Sa vision du commerce international le pousse à cibler tout pays affichant un excédent commercial, qu’il assimile à un gain indu aux dépens des États-Unis, et donc à viser, au-delà des victimes immédiates, l'Europe, le Vietnam ou le Japon.
L'imposition de droits de douane revient à enterrer le libre-échange nord-américain, dont la nouvelle version, l’USMCA1, avait pourtant été signée par D. Trump la qualifiant alors de "bon accord". Entre autres nouvelles dispositions (propriété intellectuelle, monopoles d’État), l'USMCA renforçait les règles d'origine, poussait les salaires à la hausse dans l'industrie mexicaine et incluait une clause de renégociation en 2026. Mais, le Mexique a tiré profit de la guerre commerciale sino-américaine qui a contribué à l'augmentation de son excédent commercial sur les États-Unis. Ce dernier se concentre sur trois secteurs-clés : automobile, machines et électronique. Les États-Unis se sont inquiétés de voir le Mexique utilisé comme "cheval de Troie" par la Chine.
Cette approche du commerce, assimilé à un jeu à somme nulle, néglige les avantages que les États-Unis ont tiré et tirent de la délocalisation de certaines productions industrielles et mésestime leur capacité "naturelle" à produire des déséquilibres externes : une croissance soutenue pour une économie mature (2,6% l’an, en moyenne)2, une demande supérieure à la production nationale, un taux d'épargne (19% du PIB) structurellement inférieur au taux d'investissement (22% du PIB).
Cette stratégie omet les conséquences auxquelles les États-Unis s’exposent eux-mêmes en raison de leur dépendance à l’égard de ces deux fournisseurs-clés (environ 30% de leurs importations) et de l'imbrication des chaînes de production ; cette stratégie ne se soucie évidemment pas des conséquences auxquelles elle expose ses partenaires commerciaux les plus proches : les exportations à destination des États-Unis représentent, respectivement, 20% du PIB mexicain et 16% du PIB canadien.
Les bienfaits pour le Mexique de trente ans d'intégration commerciale avec ses voisins du nord méritent d’être nuancés3; en revanche, des droits de douane à hauteur de 25% frapperaient durement une économie mexicaine déjà en perte de vitesse (avec un recul trimestriel du PIB de 0,6% fin 2024) et de plus en plus dépendante de la demande externe. Le secteur industriel compte pour près 20% du PIB mexicain, dont 5% pour le seul secteur automobile, qui exporte 130 milliards par an aux Etats Unis. Les droits de douane nuiraient également à l’investissement mexicain qu’il soit domestique ou lié au "nearshoring" : c’est notamment à l’aune de ce risque qu’il faut interpréter la réaction peu vindicative de la présidente Claudia Sheinbaum. Contrairement à son homologue canadien, C. Sheinbaum a privilégié l'apaisement mais en restant ferme, notamment contre les accusations de collusion avec les cartels. Tout en obtenant la coopération américaine pour limiter la vente d'armes aux narcotrafiquants, cette stratégie s'est révélée doublement payante : elle offre un répit, certes court, au Mexique et unit le parti, mais aussi une partie de l’opposition derrière la présidente, en la créditant d’une cote de popularité de plus de 80%.
Le pragmatisme de C. Sheinbaum s'est manifesté dès le début de son mandat. Des mesures préventives pour ménager son voisin du nord ont été prises (comme l’augmentation des droits de douane sur les importations d'acier, d'aluminium et de textile en provenance de pays asiatiques). La lutte contre les cartels a été intensifiée (importantes saisies de fentanyl) et le contrôle de l’émigration a été renforcé. Toutes ces mesures visent à ne pas froisser les États-Unis sans le soutien desquels le Plan México risque de ne pas produire les effets escomptés.
Le Plan México, présenté en janvier par C. Sheinbaum, vise à doper l'investissement et la croissance potentielle. Le plan aspire à attirer 277 milliards de dollars d'ici 2030 (2 000 projets, dont plus de 100 parcs industriels) et à porter l'investissement à 28% du PIB grâce à des incitations fiscales et à une simplification des procédures. Il vise également à attirer des investissements dans les hautes technologies et les semi-conducteurs. L'objectif est d'élever le Mexique au-delà du simple assemblage et de réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine et d'autres pays asiatiques. La présidente entend également profiter de la restructuration des échanges sino-américains pour accroître les parts de marché du Mexique, stimuler la croissance et placer le pays parmi les dix premières économies mondiales. Cela nécessite d'importants investissements en énergie, sécurité et infrastructures de transport. Or, l'investissement mexicain (25% du PIB) et les investissements directs étrangers sont en baisse. L'incertitude liée aux tarifs douaniers est loin d’être seule responsable : des défaillances locales peuvent être incriminées (qualification insuffisante de la main-d’œuvre, inquiétudes face aux réformes constitutionnelles, violences et insécurité mais aussi insécurité juridique, nécessité de renforcer l’Etat de droit).
Au-delà des souhaits (et des nécessités) mexicaines, l'interdépendance économique des trois pays nord-américains4, accentuée par le découplage avec la Chine, laisse espérer un nouvel accord. Les futures négociations débuteront bien avant 2026. Elles devraient porter sur l'augmentation de la part "états- unienne" dans la valeur ajoutée, un contrôle accru des importations et investissements chinois, une possible harmonisation régionale des droits de douane à l’encontre de la Chine, un contrôle américain renforcé sur la résolution des conflits, la suppression de barrières sur certains produits agricoles et textiles et, in fine, sur les déficits commerciaux. Des sujets non commerciaux comme l'immigration et le narcotrafic devraient également être abordés.
Article publié le 07 février 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine
1 L'USMCA, Accord États-Unis-Mexique-Canada, remplace l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA, en vigueur depuis janvier 1994, puis renégocié de l’été 2017 à septembre 2018). L'USMCA a été signé en novembre 2018 ; il est entré en vigueur le 1er juillet 2020.
2 Source : FMI, WEO, moyenne 1980-2024 ; pour la zone euro (moyenne 1992-2024), le taux de croissance est de 1,5%, les taux d’épargne et d’investissement de, respectivement, 22% et 23% du PIB.
3 Un article se proposant de dresser un bilan de trente ans de libre-échange sur le Mexique, aux plans national et régional, sera publié ultérieurement.
4 L'industrie automobile, par exemple, fonctionne comme si les frontières n'existaient pas. Les composants passent plusieurs fois les frontières avant l'assemblage final ; 20% des voitures vendues aux États-Unis sont produites au Mexique, avec 35% de valeur ajoutée américaine. Cela explique les vives protestations du secteur dans le Michigan.

Donald Trump a mis sa menace à exécution en signant un décret instaurant des droits de douane de 25% sur les biens importés du Mexique et du Canada (entre autres). Justifiée par des préoccu-pations de sécurité liées au trafic de fentanyl et à l'immigration illégale, cette décision a provoqué deux jours de quasi panique avant d’être suspendue pour un mois, afin de permettre des négociations.
Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine