Argentine – Des progrès mais il semble raisonnable d’attendre
- 15.01.2025
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L'élection de Javier Milei à la présidence et son entrée en fonction en décembre 2023 ont fait de 2024 une année de changement radical. Les résultats de son austérité budgétaire, visant à mettre fin au financement monétaire, et de sa gestion du peso sont à la fois impressionnants (excédent budgétaire, baisse de l'inflation) et mécaniques (les progrès sur les fronts de l'inflation et des comptes extérieurs s'expliquent aussi par la récession). La réduction des déséquilibres s’accompagne en outre d’un coût social élevé.
Les deux piliers de la stratégie de J. Milei
L'obtention d'un excédent primaire a constitué la pierre angulaire de la stratégie présidentielle (coupes violentes dans les dépenses, concentrées sur les dépenses sociales, baisse des dépenses primaires de 20% à moins de 16% du PIB, baisse des dépenses totales de plus de 20% en termes réels). L'excédent primaire pourrait atteindre 1% du PIB en 2024 pour un déficit budgétaire total de 0,5%. Le gouvernement vise un excédent primaire de 1% pour 2025, soit un déficit budgétaire de 0,3% malgré la suppression de l'« Impuesto País » (une taxe de 30% sur les transactions et les importations en dollars), une perte de revenus que le gouvernement prévoit de compenser par l'augmentation d'autres taxes (taxes sur les carburants, droits d'exportation et impôts sur le revenu). Les prévisions de croissance (5%) et d'inflation (18%) du gouvernement semblent optimistes par rapport aux prévisions du consensus (4,4% et 30%).
Second élément clé de la stratégie économique de Milei : une dévaluation significative du peso en décembre 2023 et la mise en place d'un crawling peg (dépréciation mensuelle de 2% par rapport au dollar). Ces mesures ont permis de réduire considérablement l'écart entre les taux de change officiel et parallèle : une réduction également favorisée par les interventions de la BCRA.
Le régime de change reste, cependant, en débat. La dollarisation, initialement envisagée par Milei comme la solution à la désaffection à l’égard du peso, semble avoir été temporairement écartée au profit de la « concurrence monétaire » qui vise à renforcer le rôle du dollar (une dollarisation implicite ?). En outre, des discussions ont émergé sur la possibilité de réduire le glissement mensuel à 1,0-1,5% à mesure que des progrès sont réalisés en matière d'inflation et d'accumulation de réserves de change (nostalgie de l'ancrage ?). Cependant, cette stratégie risque d'exercer des pressions sur le peso car le taux de change effectif réel s'est fortement apprécié. L'objectif ultime (y compris celui du FMI) est un peso flottant mais les inquiétudes légitimes concernant l'absence d'ancrage nominal, l'impact de l'inflation et la faiblesse des réserves persistent. Enfin, plus généralement, des problèmes structurels (désaffection des résidents à l’égard du peso, dollarisation de facto, base étroite d’exportations, réactivité limitée des exportations à la dépréciation) demeurent.
Recul de l’inflation : des progrès louables et partiellement mécaniques
L'administration Milei a fait des progrès notables dans la lutte contre l'inflation. L'inflation annuelle est passée d'un pic proche de 290% (avril 2024) à 193% (octobre 2024). Les taux d'inflation mensuels sont passés sous 2,5% et les projections pour la fin d'année 2025 s’étagent de 18,3% (estimation du gouvernement) à 45% (prévisions du FMI).
Cette amélioration est le résultat d'un ajustement budgétaire drastique, de la fin du financement monétaire, d'une politique de change plus claire et, in fine, de la baisse de la demande intérieure. Cela a permis à la banque centrale de baisser les taux et de réduire son bilan. Les taux d'intérêt réels restent négatifs.
Après une sévère récession, l'économie montre quelques signes de reprise, principalement grâce au secteur primaire (exportations minières) ainsi qu'à une forte baisse des importations. Le secteur primaire a rebondi après une année 2023 marquée par la sécheresse. La production industrielle se redresse lentement. Les services tardent à se reprendre. La demande intérieure reste faible, en raison d'une baisse de la consommation (perte de pouvoir d'achat des salaires et des retraites) et de l'investissement (absence de visibilité, manque de demande, restrictions de capitaux). Les effets de la baisse des taux d'intérêt et de la reprise du crédit (en raison de l'augmentation de la liquidité bancaire en dollars après l'amnistie) ne sont pas concluants (impact limité en raison de la faible pénétration du crédit en Argentine).
La situation est encore précaire mais l'économie devrait se redresser en 2025. La croissance pourrait excéder légèrement à 4% grâce, principalement, à une reprise mécanique de la consommation privée. Les ventes de biens durables et celles des supermarchés se sont stabilisées ; après leur chute, les salaires réels se redressent lentement, ce qui suggère que le pire est peut-être passé. Une augmentation des importations, à mesure que la demande se redresse, constitue l’un des risques majeurs : un risque d’autant plus élevé que le peso s’est apprécié en termes réels. Tout en stimulant les importations, un peso surévalué pourrait porter préjudice à la compétitivité des entreprises, en particulier des services échangeables, et des petites entreprises manufacturières. La suppression de la taxe à l'importation PAIS en 2025 ajoutera une pression supplémentaire sur leur compétitivité. Enfin, les contrôles de capitaux devraient continuer de limiter les investissements.
Comptes extérieurs : un redressement naturel
La dépréciation nominale du peso, l'ajustement des finances publiques et la récession se sont traduits par une amélioration des comptes extérieurs. Le compte courant affiche un excédent de 0,4%, en raison principalement de la vigueur des exportations (agriculture et énergie) et de la forte baisse des importations. Aidés par le programme d'amnistie, les financements extérieurs se sont améliorés mais les réserves restent insuffisantes au regard, notamment, des paiements extérieurs de 2025.
En 2025, le compte courant devrait afficher un léger déficit car les importations devraient se redresser. Les investissements directs étrangers devraient rester modérés tant que les contrôles de capitaux ne sont pas levés et que le régime des changes n’est pas définitivement stabilisé.
Les difficultés de financements extérieurs persistent. Si les perspectives d'un nouvel accord avec le FMI sont encourageantes, il ne faut pas en surestimer les implications. Le FMI doit revoir très prochainement le programme actuel (44 milliards de dollars) ; ce programme a été largement critiqué par les propres organes de contrôle interne du FMI (manque de cohérence, de conditionnalité, etc.). En termes d'austérité, l'Argentine, plus grand débiteur du FMI, est allée bien au-delà de ce que le FMI pouvait solliciter mais n'a pas atteint l'objectif en termes de réserves. Le FMI devrait continuer d'insister sur le régime de change (flottant) et l'accumulation de réserves nettes de change (hors des lignes de swap de la Chine). Il pourrait limiter son aide à la reconduction de son engagement avec peu voire pas d'argent frais.
En dépit des hypothèques non levées, les marchés ont réagi positivement ; un retour sur les marchés pourrait toutefois être prématuré et se révéler dangereux (cf. l'augmentation de la dette extérieure sous la présidence de Macri, très apprécié des marchés). Enfin, la question de la désaffection des Argentins à l'égard du peso (cf. accumulation d'actifs à l'étranger et position extérieure nette positive) reste clé.
Article publié le 10 janvier 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine
L'élection de Javier Milei à la présidence et son entrée en fonction en décembre 2023 ont fait de 2024 une année de changement radical. Les résultats de son austérité budgétaire, visant à mettre fin au financement monétaire, et de sa gestion du peso sont à la fois impressionnants et mécaniques.
Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine