Brésil – L'ombre du déséquilibre fiscal plane sur une économie en forte croissance
- 21.01.2025
- 0
- Télécharger la publication (PDF - 317,71 KB)
Lire l'article
Si le Brésil affiche des performances de croissance assez remarquables, ses succès sont assombris par des préoccupations fiscales persistantes. Alors que la devise est déjà fragilisée par un contexte international défavorable, l’incertitude budgétaire accentue la dépréciation du réal brésilien (BRL/USD), qui elle-même tend à renforcer les pressions inflationnistes observées depuis mai. Pour maintenir sa crédibilité dans la lutte contre l'inflation, la Banque Centrale du Brésil (BCB) a dû reprendre son resserrement monétaire ; le taux directeur (SELIC) est passé de 10,5% en août à 12,25% actuellement. Or, les anticipations de marchés (Focus Market Readout, BCB, 10 janvier) tablent désormais sur un taux SELIC à 15% fin 2025. Les hausses de l’inflation et du taux directeur occasionnent un renchérissement de la dette publique dont une large part est indexée sur le SELIC (54%) ou sur l’inflation (21%).
La combinaison taux d'intérêt élevés, croissance des dépenses soulève des inquiétudes quant à la trajectoire de la dette publique, en dépit d’une croissance économique assez soutenue. Les évolutions récentes sont, en effet, assez "déroutantes" : la tendance à la réduction de la dette observée en 2021- 2022 s'est inversée ; le nouvel ancrage fiscal semble inopérant ou voit sa crédibilité déjà ternie1; bref, l'augmentation actuelle de la dette inquiète les investisseurs, malgré les assurances du gouvernement quant à l'atteinte des objectifs de déficit primaire.
Les besoins de financement du secteur public atteignent 9,5% du PIB, leur niveau le plus élevé depuis la crise du Covid-19, même dans un contexte de bonnes recettes fiscales (99,3% des recettes prévues budget), de croissance du PIB encore soutenue et de faible chômage (historiquement bas). Si les dépenses (près de 36 milliards de reais) liées aux inondations en région Rio Grande do Sul sont exclues, le déficit primaire sera de moins de 0,3% rentrant de justesse dans la marge d’erreur de l’objectif fixé. Cependant, cette exclusion a été perçue comme une solution à court terme qui ne peut dissimuler que les problèmes structurels de déficit primaire et de taux élevés persistants.
En effet, au cours du second semestre de 2024, les dépenses liées aux inondations et l'augmentation des déficits, mais aussi la hausse de l'inflation et des taux dans un contexte international difficile, ont intensifié les pressions des investisseurs. Ceux-ci réclament le respect de la règle fiscale et des réformes pour accroître la flexibilité des dépenses2, craignant que le Brésil ne bascule en "dominance fiscale". Le surplus primaire est désormais reporté à 2027 et les investisseurs n'anticipent pas de changements majeurs avant un nouveau gouvernement.
Face à ces inquiétudes, fin novembre, le gouvernement a proposé des mesures d'économies, estimées à 72 milliards de reais sur deux ans (une estimation jugée un peu optimiste). Ces mesures incluent une limitation de l'indexation du salaire minimum (hausse réelle plafonnée à 2,5%) et un durcissement des conditions d'accès aux aides sociales. Mais, parallèlement, il a proposé une modification de l'impôt sur le revenu, relevant le seuil d'exemption pour les bas salaires. Malgré l'assurance du gouvernement, affirmant que cette baisse des recettes serait compensée par une hausse de la taxation des hauts revenus, les investisseurs ont mal accueilli ces annonces, signalant le manque de volonté nécessaire pour s'attaquer à la rigidité des dépenses.
Fin décembre, après une longue séance parlementaire, parmi les propositions précitées, deux projets de loi importants ont été adoptés. Ils concernent le plafonnement de l'indexation du salaire minimum et les mécanismes en cas de déficit budgétaire. Le salaire minimum sera désormais ajusté selon les règles du cadre budgétaire pour les autres dépenses. En cas de déficit primaire, les exonérations fiscales seront interdites et la croissance des dépenses de personnel sera limitée à 0,6%. Le durcissement de l'accès aux aides a également été retenu. En revanche, certaines propositions ont été rejetées dont, notamment la limitation des "super salaires" des fonctionnaires et les modifications des pensions militaires. Le gouvernement estime que l'impact de ces rejets sur les économies prévues est minime (2,1 milliards de reais) au regard des économies attendues sur deux ans (près de 70 milliards de reais). La réforme de l'impôt sur le revenu sera discutée plus tard en 2025.
Enfin, le Congrès brésilien a récemment adopté la réglementation pour la réforme fiscale concernant la TVA, une mesure longtemps attendue qui sera mise en œuvre progressivement. Cette réforme vise à simplifier le système de taxation indirecte du Brésil, notoirement complexe, en réduisant le nombre de taxes de cinq à deux : une taxe étatique et une taxe fédérale. Bien que le taux exact reste à déterminer, les grandes lignes sont établies pour différentes catégories de produits. Actuellement, le taux moyen est estimé à 34%, mais le nouveau système pourrait le ramener à environ 28%.
Cette simplification devrait considérablement améliorer la compétitivité des entreprises brésiliennes, longtemps entravée par la complexité du système fiscal. Elle devrait également contribuer à réduire le "dumping fiscal" et la concurrence entre les États.
Notre opinion – Le ministre de l'Économie, F. Haddad, assure que le gouvernement est prêt à faire plus de coupes si nécessaire et que certaines des réformes rejetées seront rediscutées. Le gouvernement n’est pas insensible aux attentes des marchés. Les inquiétudes de ces derniers semblent s'être très récemment atténuées grâce aux récentes annonces et à l'approbation des projets de loi. Par ailleurs, l’engagement en faveur de la réduction de l'inflation de G. Galipolo, proche de Lula et désormais à la tête de la BCB, est de nature à rassurer les investisseurs et pourrait contribuer à réduire les critiques de l’exécutif envers la banque centrale.
L’indexation d’une large part de la dette publique sur l’inflation ou sur le SELIC est évidemment pénalisante. Mais, malgré des besoins de financement élevés et une dette publique lourde pour un pays émergent, la structure de la dette brésilienne (à 95% en monnaie locale) est favorable. Enfin, les taux domestiques, le spread sur la dette externe et, surtout, le cours du real jugé largement sous-évalué, semblent indiquer que le pire a déjà été intégré par les marchés.
Article publié le 17 janvier 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine
1Adopté par le Parlement en août 2023, le nouveau cadre fiscal se donnait tout d’abord des objectifs de soldes primaires (allant de -0,3% du PIB en 2023 à 1% du PIB en 2026 puis croissant de 0,5 point de pourcentage par an, une fourchette de tolérance comprise : [+0,25%, -0,25%] du PIB par rapport à l'objectif de l'année).
Par ailleurs, la croissance des dépenses était liée à celle des recettes : augmentation des dépenses limitée à 70% de celle des revenus si l'objectif de déficit primaire est atteint (avec une marge de 0,25% du PIB) ou à 50% sinon.
Dans tous les cas, la hausse des dépenses doit rester entre 0,6% et 2,5% en termes réels. Le Congrès avait durci les règles prévues (réduction du nombre d'exceptions à la nouvelle règle budgétaire, inclusion des mesures d'ajustement budgétaire obligatoires en cas de non-respect des objectifs, limite aux dépenses d'investissement permises en cas d'excédent extraordinaire).
2Le budget est extrêmement rigide, ce qui limite évidemment l’investissement public (moins de 1% PIB en 2024) ; 92% des dépenses sont obligatoires et souvent indexées sur le salaire minimum lui-même répliquant l’inflation.
La combinaison taux d'intérêt élevés, croissance des dépenses soulève des inquiétudes quant à la trajectoire de la dette publique, en dépit d’une croissance économique assez soutenue. Les évolutions récentes sont, en effet, assez "déroutantes".
Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine