Colombie – La Telenovela du budget 2025
- 29.01.2025
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La Colombie, traditionnellement stable (sans être exemplaire) fiscalement voit sa réputation s'éroder sous le poids des incertitudes budgétaires. Un déficit significatif en 2024, respectant néanmoins le cadre budgétaire1 grâce à d'importantes coupes budgétaires, et la polémique autour du budget 2025 ont fortement agité la scène économique, impactant directement le peso colombien et les coûts de financement publics.
2024 : moins de revenus que prévu, importante sous exécution
Les recettes fiscales ont fortement chuté : à la fin novembre, elles atteignaient seulement 78% des prévisions annuelles, soit une perte finale que l'on peut estimer à 85% pour 20242. Cela représente une baisse nominale de 5% par rapport à 2023, et près de 13% en termes réels. Néanmoins, comme l'a souligné le nouveau ministre des Finances, Gaviria, 2024 aura été une année de "rigueur budgétaire" stricte. Malgré les défis, la Colombie a respecté la règle fiscale fixant le déficit à 4,9% du PIB, grâce à des coupes significatives dans un budget largement sous-exécuté.
En parallèle des réductions budgétaires continues depuis août, d'autres éléments ont secoué l'économie colombienne. La réforme de la décentralisation voulue par le président Petro, visant à allouer davantage de ressources aux régions mais sans clarifier les responsabilités fiscales associées, a inquiété les marchés. Bien que cette réforme ait été adoptée, elle a été notablement édulcorée et sa mise en œuvre étalée dans le temps. Par ailleurs, la crise budgétaire s'est aggravée avec le départ forcé du ministre des Finances, Bonilla, impliqué dans des scandales de corruption en pleine tourmente budgétaire.
2025 : un "reliquat" budgétaire non financé
Pour la première fois dans l'histoire colombienne, le budget n'a pas été adopté par le parlement, une procédure habituellement considérée comme une simple formalité. Le projet de budget prévoit un déficit primaire et un déficit total de respectivement 0,9% et 5,6% du PIB. Le problème réside dans le fait que le budget fait apparaître un besoin de financement non couvert. Les dépenses totales (y compris service de la dette) sont prévues à 523 billions de pesos3 (29,4% du PIB) et excèdent les recettes inscrites à 511 milliards (28,7%du PIB) y compris la nouvelle dette autorisée. Le gouvernement avait initialement prévu de combler cet écart de 12 milliards de pesos par une loi de financement ad hoc, qui a été rejetée en commission le 11 décembre. Face à cette situation, le président Petro a décidé de promulguer le budget tel quel, indiquant que certaines dépenses seraient reportées plutôt qu'annulées, avec des précisions à venir ultérieurement.
L'exécutif maintient son intention de faire passer une nouvelle loi de financement ou une réforme fiscale pour exécuter le budget comme prévu. La reprise de l'activité parlementaire le 17 février devrait apporter plus de clarté sur la direction choisie. Entre-temps, le 3 janvier, un Plan d'Austérité visant des économies de 5 milliards de pesos a été annoncé. S'appuyant sur une loi de l'administration Duque de 2021, ce plan prévoit un contrôle strict des nouveaux contrats et du personnel public, limite la publicité institutionnelle et restreint les fonds pour les déplacements des fonctionnaires, à commencer par l'annulation du voyage de Petro à Davos.
Outre le déficit de financement, le CARF (Comité autonome pour le respect de la règle fiscale) met en garde contre une possible surestimation des recettes prévues par le gouvernement, notamment celles liées à la réforme de la DIAN, l'organisme chargé de la collecte des impôts. Bien que dotée de moyens supplémentaires, cette réforme pourrait prendre plus de temps que prévu pour atteindre ses objectifs. Le budget table sur une augmentation des recettes de 0,6 point de pourcentage du PIB grâce à cette mesure. Selon les estimations du CARF et de Fedesarrollo, cette surestimation pourrait atteindre 22,6 à 28 milliards de pesos, malgré l'effet positif de la croissance attendue sur les recettes.
Concernant la structure des dépenses, la protection sociale représente la part la plus importante avec 6,6% du PIB (dont 4,4% pour les retraites), suivie de la santé (3,7%) et de l'éducation (2,8%). Les dépenses prévues à 23,1% du PIB, soit une baisse de 1,1 point par rapport à 2024. Le projet de budget prévoit 6,6% du PIB pour le service de la dette, dont 3,3% pour les intérêts et 2,9% pour les amortissements : une charge importante, en hausse par rapport aux 5,6% de 2024.
Même si le gouvernement souhaitait minimiser les coupes dans les dépenses d'investissement, celles-ci seront réduites de 17% en termes nominaux par rapport à 2024, pour atteindre 4,6% du PIB contre 5,9% en 2024. Alors que le taux d'investissement total (privé et public) atteint seulement 17% du PIB, moins que la moyenne régionale et loin derrière la moyenne des pays émergents, l'investissement public souffre du taux de sous-exécution le plus élevé (44% cumulés en novembre 2024).
La dette publique atteignait au troisième trimestre 2024 un niveau supérieur à 58% du PIB, dépassant de 3 points l'ancrage fixé à 55%, mais restant éloignée de la limite maximale de 71%. Le gouvernement prévoit un retour progressif vers cet ancrage, avec un déficit primaire estimé à 0,5% du PIB en 2025 et un déficit total de 5,1%.
Notre opinion – Les efforts sont patents et louables mais susceptibles d'être perçus comme insuffisants par les investisseurs que les événements de Catatumbo dans la région du Norte de Santander risquent également de "refroidir". La Colombie maintient sa tradition d'ajustements fiscaux de "dernière minute" pour atteindre ses objectifs budgétaires mais l'exercice est de plus en plus délicat. Cette situation menace la crédibilité du pays, crée une incohérence dans la planification des dépenses et soulève des doutes quant à la capacité de générer des revenus additionnels récurrents. Cette instabilité fiscale complique égale¬ment la réduction du taux directeur (actuellement à 9,5%) de la banque centrale, qui a dû adopter un rythme d'assouplissement plus lent.
Cette situation est d'autant plus préoccupante que le contexte macroéconomique international est moins prévisible et que la dynamique de la dette s'inverse (taux d'intérêt réel > taux de croissance en volume), en raison à la fois d'une croissance plus faible et d'une hausse du coût de financement. Ce climat d'incertitude, susceptible de s'aggraver à l'approche des élections présidentielles, se reflète déjà dans la dynamique d'investissement, marquée par une perte de confiance.
Bien que la dette publique reste "soutenable" avec une structure solide, les signaux indiquant un manque de volonté de réduire les déficits risquent d'inquiéter les investisseurs. Une réduction des incertitudes fiscales, par le biais d'une réforme fiscale ambitieuse ou d'un budget plus crédible, serait nécessaire pour diminuer les coûts de financement.
Article publié le 24 janvier 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
1Loi 1473/2011 : Limite de la dette publique à 71% (en cas de dépassement obligation de surplus primaire de 1.8%), et 55% comme ancrage et niveau optimal de la dette. Chaque année une valeur minimale est établie pour le déficit primaire, en fonction des recettes pétrolières et le cycle économique. Le CARF supervise le respect de la règle.
2Cette baisse serait a priori imputable au recul des recettes liées à l'impôt sur le revenu. Cela semble d'autant plus étonnant que la croissance serait supérieure à celle qui était prévue par le budget (1,8%). Le sujet devra être creusé.
31 USD = 4230 COP (24/01/2025) ; PIB Colombien 2023 = USD 364 Mds (soit COP 15 725 000 Mds). 1 billion = 10^12

La tradition colombienne d'ajustements in extremis se révèle de plus en plus délicate et menace la crédibilité budgétaire. Il n'y a pas « péril en la demeure » mais les efforts, louables, sont susceptibles d'être perçus comme insuffisants par les investisseurs alors que les événements de Catatumbo risquent également de les « refroidir ».
Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine