Pays baltes – Une année 2025 sous le signe des tensions géopolitiques
- 23.01.2025
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La (sous-)performance de l'économie allemande demeure un élément de contexte "macro-économique" prépondérant pour les économies de la zone. Selon les toutes dernières estimations de l'office statistique fédéral, l'économie allemande s'est contractée pour la seconde année consécutive en 2024 (-0,2% après -0,3% en 2023). Un autre partenaire important pour les pays baltes est également à la peine, à savoir la Finlande : en 2023 son PIB s'était contracté de 1,2% et en 2024, si les chiffres ne sont pas encore connus, le pays pourrait être rien de moins que le pire performeur de la zone euro. En attendant les redémarrages allemand et finlandais, la contribution de la demande extérieure à la croissance des pays baltes continuera d'être poussive. Ces difficultés constituent un contexte macro-économique fort pour l'ensemble de la région, même s'il est évident qu'elles trouvent également leurs origines dans le contexte géopolitique européen, surtout par le biais énergétique pour l'Allemagne et par celui du commerce avec la Russie pour la Finlande.
Par-delà ce contexte, 2025 s'annonce comme une année pendant laquelle les économies baltes seront fortement travaillées par leur environnement géopolitique immédiat.
Dans les pays baltes et en Pologne, la perception de la menace russe continue de se renforcer. Fin 2024, les pays baltes et nordiques semblent avoir subi un certain nombre d'actes de sabotage : en novembre, deux câbles télécoms ont été endommagés en mer Baltique (l'un reliant la Finlande à l'Allemagne et l'autre la Suède à la Lituanie). En décembre, c'est l'une des deux interconnexions électriques (EstLink 2) entre la Finlande et l'Estonie qui a été rompue. Selon les déclarations des autorités finlandaises1, d'autres infrastructures reliant les deux pays étaient visées par le même navire, à savoir la seconde interconnexion électrique (EstLink 1) et un gazoduc (BalticConnector). Ces actes sont interprétés par les pays de la région comme faisant partie d'une guerre hybride menée par la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais également comme un signe de l'agressivité russe à leur égard, au-delà de ce seul conflit. C'est donc bien une menace existentielle à laquelle se sentent confrontées ces sociétés.
Cette perception impose le thème sécuritaire comme priorité budgétaire et installe un modèle global de défense.
Pour commencer, l'ensemble des pays de la zone fournissent un effort budgétaire important pour leur défense : en tête, la Pologne devrait dépenser 4,12% de son PIB pour la défense en 20242, suivent ensuite l'Estonie à 3,4%, et la Lettonie et la Lituanie, toutes deux à 3,2%. Tous entendent fournir des efforts supplémentaires en 2025. Les quatre pays ont entamé des travaux pour fortifier leurs frontières avec la Russie et la Biélorussie. Au budget de défense s'ajoute le soutien à l'Ukraine : les pays baltes visent un soutien équivalent à 0,25% de leur PIB chaque année.
Si aujourd'hui la Pologne est prête à supporter un important déficit budgétaire pour financer cet effort, ce n'est pas le cas des pays baltes, malgré un endettement relativement faible. Ainsi, pour le financement de la défense en 2025, le nouveau gouvernement estonien prépare d'importantes coupes budgétaires et hausses de taxes, malgré la fragilité de la demande intérieure et l'absence de relais externes. La Lettonie devrait, quant à elle, mettre en place en 2025 une taxe sur les profits des banques dans l'espoir de récolter 263 millions d'euros sur trois ans. En Lituanie, l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la vente d'alcool ont été relevés, la contribution des banques introduite en 2024 a été rendue permanente et une contribution prélevée sur les contrats d'assurance-vie a été introduite, tout ça dans le cadre du paquet législatif sur la défense. Les efforts devraient aller encore plus loin car si la Lituanie a formellement prévu de consacrer 3% de son PIB à la défense en 2025, les aspirations du nouveau gouvernement s'élèvent à 4%, voire 5,5% pour le président. Début janvier 2025, le ministre des Finances a donc déclaré qu'une refonte systématique de la structure des revenus du gouvernement serait nécessaire pour financer la défense du pays. Vilnius prévoit par ailleurs d'emprunter plus pour financer ses objectifs sécuritaires.
Au-delà de l'effort financier strictement rattaché au budget de la défense, la posture sécuritaire de ces pays s'étend à de nombreux champs de décisions.
En Estonie, les actes de sabotage posent la question de la sécurité énergétique : celle-ci ne devrait pas être immédiatement menacée par la coupure d'EstLink 23. Malgré tout, la diminution de la capacité d'échange avec la Finlande devrait avoir un impact en termes de coût de l'électricité même s'il demeure difficile à mesurer. Cela intervient dans le contexte où les pays baltes ont avancé d'un an leur départ du réseau électrique hérité de l'Union soviétique (BRELL, connectant Russie, Biélorussie et pays baltes), départ désormais prévu pour le 7 février 2025 et qui devrait entraîner une hausse modeste des prix de l'électricité4. Néanmoins, le risque de nouveaux sabotages impose également à l'Estonie le coût de l'incertitude et d'une posture favorisant la résilience : début 2025, le pays a donc mis de côté 100 millions d'euros pour la construction d'une centrale à gaz de secours. Enfin, alors que le pays tente par l'installation de capacités renouvelables5 de se défaire de son statut d'économie parmi les plus intensives en carbone d'Europe, la crainte pour la sécurité énergétique a rouvert le débat sur les capacités locales d'extraction de pétrole de schiste. En effet, Tallinn a longtemps assuré son indépendance énergétique grâce à l'extraction locale, ce qu'elle devait progressivement abandonner (à horizon 2029 grâce à la mise en ligne de centrales à gaz) pour répondre à ses objectifs climatiques. Le parti centriste d'opposition en appelle désormais au réinvestissement dans ces capacités d'extraction au nom de la sécurité énergétique pour pouvoir maintenir cette ressource pour au moins vingt ans.
En Lettonie et en Lituanie, le coût des tensions géopolitiques se compte également dans les choix de politique étrangère. En plus de l'application des sanctions décidées pas l'UE, ces pays imposent leurs propres sanctions, d'autant qu'ils ont pu, au début de la guerre, servir de lieu de contournement en faveur de Moscou. Ainsi, la Lettonie a été le premier pays à interdire les importations de nourriture depuis la Russie. Le pays pourrait aller plus loin et sa banque centrale a chiffré le coût d'un arrêt total du commerce avec Moscou (il serait de 2% du PIB). En Lituanie, le gouvernement précédent avait mis en place une interdiction d'exporter des biens à double usage, Union européenne et quelques pays partenaires exceptés. Face à la perte potentielle pour son secteur high tech (estimée à 250 millions d'euros de chiffre d'affaires par an6) le nouveau gouvernement devrait alléger ces mesures. Il faut également noter que la Lituanie a été ces dernières années le pays à prendre le plus de risques économiques dans son soutien à Taïwan, au prix de représailles chinoises à son encontre. Cette posture n'est pas sans liens avec la façon dont sa propre situation géopolitique travaille l'opinion publique et la classe politique lituanienne.
Enfin, pour des économies qui font face à un contexte démographique parmi les plus tendus au monde, ce modèle a également un coût humain : l'Estonie n'a jamais abandonné le service militaire obligatoire et redouble d'efforts pour atteindre son objectif annuel en termes d'effectifs (l'objectif fixé est d'enrôler chaque année 4 000 soldats sur une cohorte d'un peu plus de 9 000 jeunes hommes, soit environ 40% pour une durée de huit à onze mois). La Lituanie et la Lettonie ont rétabli une mobilisation partielle depuis 2015 et 2022 respectivement. Celles-ci montent toujours en puissance en termes de nombre de personnes mobilisées chaque année.
Notre opinion – Dans ce contexte de tension, les États baltes vont devoir naviguer entre deux grands courants de politique étrangère en 2025 : la question de la "paix" en Ukraine et leur relation avec les États-Unis, les deux étant bien-sûr liés.
En ce qui concerne la "paix", celle-ci est entre guillemets car c'est bien le terme utilisé par Donald Trump (ou Viktor Orban), mais tout l'enjeu sera de savoir s'il s'agit véritablement d'une paix, donc un accord comprenant une architecture de sécurité permettant aux États de la région de relaxer leur posture de défense7, ou bien d'une simple cessation des combats. Tout sera question d'interprétation, car la sensibilité des États baltes et de la Pologne sur la question de l'agressivité russe les rendra particulièrement regardants. En réalité, il existe une multitude de scénarii qui seront interprétés comme relevant du second type d'accord, et qui mèneront à un raidissement encore plus prononcé des postures défensives de ces pays. À l'inverse, très peu de combinaisons pourraient donner à ces capitales un sentiment véritable de sécurité.
Le plus difficile pour ces petits États sera de peser sur les choix américains qui compte pour beaucoup dans ces équations.
Article publié le 17 janvier 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
1Sur la base des interrogatoires des membres d'équipages du navire saisie par les autorités finlandaise, le Eagle S.
2Le gouvernement de Donald Tusk s'est d'ailleurs rallié à la position du président élu américain réclamant que les pays de l'OTAN convergent vers une valeur de 5 % du PIB.
3Notamment grâce au récent développement d'importante capacités renouvelables, surtout dans l'éolien.
4Entre 50 centimes et 1 euro par mois et par foyer.
5Le pays envisage également à horizon 2040 l'installation de deux réacteurs nucléaires d'une capacité de 300 MW chacun.
6Équivalent à environ 0,3 % du PIB 2023.
7Indépendamment de la question d'une hypothétique reprise des relations économiques ou diplomatiques avec la Russie.

Dans ce contexte de tension, les États baltes vont devoir naviguer entre deux grands courants de politique étrangère en 2025 : la question de la "paix" en Ukraine et leur relation avec les États-Unis, les deux étant bien-sûr liés.
Nathan QUENTRIC, Economiste - PECO et Asie centrale