Les compléments alimentaires améliorent-ils vraiment la santé des Français ?

Les compléments alimentaires améliorent-ils vraiment la santé des Français ?

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Un marché en forte croissance

61% des Français ont consommé des compléments alimentaires au cours des 24 derniers mois, contre 46% seulement en 2018. La tendance est claire : les Français adoptent de plus en plus les compléments pour soutenir et préserver leur santé au quotidien.

En tête des ventes ? Les produits destinés à booster la vitalité, renforcer l’immunité, améliorer la digestion ou encore gérer le stress ; ils représentent à eux seuls près de 70% des ventes en pharmacie.

Selon les derniers chiffres du Synadiet (Syndicat national des compléments alimentaires), le marché français a généré près de 2,9 milliards d’euros en 2024, affichant une croissance solide de +5,7% en un an. Cette dynamique est encore plus marquée en pharmacie, avec +8,2% sur l’année. La distribution en pharmacie y reste d’ailleurs prédominante, représentant 55% des ventes en valeur en 2024. Ce canal de distribution bénéficie de la confiance des consommateurs et de l'expertise des pharmaciens pour conseiller sur le choix des produits. Cependant, d'autres circuits de distribution gagnent du terrain, notamment la vente directe et le e-commerce, qui ont connu une croissance respective de 7% et 6% en 2024, marquant l’avènement de nouvelles start-up qui lancent des marques DNVB (digital native vertical brands) avec l’objectif de surfer sur la croissance du secteur.

Un potentiel de croissance encore important

Malgré cette belle progression, la France reste loin derrière les États-Unis, où le marché a atteint 53,6 milliards de dollars en 2023 — soit environ 160 dollars dépensés par habitant, contre seulement 54 euros en France. Cette différence significative laisse présager d’un potentiel de croissance encore important sur le marché français. Les prévisions restent d’ailleurs très optimistes avec une croissance attendue de 5% par an jusqu'en 2028, soutenue par des fondamentaux solides liés au vieillissement de la population, à l'intérêt croissant pour la prévention et le bien-être, ainsi que la recherche de solutions naturelles pour améliorer sa santé.

Un marché porté par les carences de notre alimentation moderne

Stars incontestées des rayons des pharmacies, les vitamines et minéraux concentrent à eux seuls près de 30% du marché. L’engouement pour les compléments à base de vitamine C, D, Oméga 3, fer, magnésium… n’est pas anodin et traduit un malaise sous-jacent : notre alimentation moderne, de plus en plus transformée, s’est appauvrie en nutriments essentiels au fil des années, entraînant de fortes carences nutritives au sein des populations. En France, 65% des hommes et 75% des femmes n'atteignent pas les apports recommandés en magnésium via leur alimentation.

Ces carences peuvent s’expliquer par de nombreux facteurs ; on peut citer notamment :

  • l'appauvrissement des sols dû aux pratiques agricoles intensives qui réduisent la teneur en minéraux des aliments bruts
  • la surconsommation d'aliments ultra-transformés, souvent pauvres en nutriments essentiels mais riches en calories ou
  • les régimes alimentaires déséquilibrés et restrictifs.

Dans ce contexte, le recours aux compléments alimentaires apparaît comme un réflexe compensatoire de bon sens face à une qualité d’alimentation plus pauvre qu’auparavant et joue un rôle essentiel dans la prévention de maladies métaboliques et cardiovasculaires. C’est notamment le cas du magnésium et des omégas 3 dont l’intérêt a été mis en évidence par de nombreuses études cliniques.

Certains compléments apportent des résultats prouvés scientifiquement 

Le magnésium, impliqué dans plus de 300 réactions enzymatiques dans notre corps, joue un rôle-clé dans la régulation du stress, la qualité du sommeil ou encore la fonction musculaire. Une méta-analyse, publiée dans BMC Medicine (2016) examinant 40 études cliniques avec plus d'un million de participants, a montré une forte corrélation entre un apport plus élevé en magnésium et un risque significativement réduit de maladie cardiovasculaire, de diabète de type 2, d'accident vasculaire cérébral ischémique et de mortalité toutes causes confondues.

Les oméga 3, quant à eux, sont essentiels pour la santé cardiovasculaire et cérébrale. Une méta-analyse, publiée dans The Journal of the American Heart Association en 2019 portant sur 13 essais cliniques, a mis en avant une corrélation positive entre la supplémentation en acides gras oméga 3 marins et une réduction du risque de certaines maladies cardiaques.

De nombreux compléments alimentaires apportent des allégations mais aucune preuve scientifique

Tous les compléments alimentaires ne se valent pas. Certaines entreprises du secteur mettent en avant des allégations de santé qui ne disposent pas à ce jour de validation clinique robuste, en s’appuyant principalement sur des stratégies marketing persuasives. Par exemple, des produits prétendent « renforcer l’immunité » ou « détoxifier l’organisme », alors qu’aucune étude rigoureuse ne confirme de tels effets chez l’humain. Ces allégations, souvent vagues ou extrapolées à partir de données in vitro ou animales, peuvent induire en erreur le consommateur. En l’absence d’évaluations cliniques contrôlées, leur efficacité réelle demeure spéculative et peut même entraîner des conséquences néfastes sur la santé.

L’efficacité d’un complément alimentaire dépend de sa capacité à être absorbé par l’organisme sans excès

Un élément fondamental après la prise d’un complément est de savoir s’il est réellement assimilé par l’organisme et dans des niveaux suffisantsLa biodisponibilité, c'est-à-dire la capacité d'un nutriment à être absorbé et utilisé par l'organisme, varie considérablement selon les poids moléculaires, les formes et les formulations des compléments. Par exemple, un complément de collagène est-il réellement biodisponible et capable d'atteindre notre peau pour améliorer son élasticité, comme le promettent certaines marques ? La quantité réelle de principe actif dans la gélule est-elle bien en accord avec celle annoncée ?

Inversement, certains compléments alimentaires pris en surdosage sont susceptibles dans certaines conditions d’avoir des effets indésirables sur la santé. C’est le cas de vitamines couramment utilisées comme la vitamine B6 et la vitamine C. 

La vitamine B6 est cruciale pour le métabolisme des acides aminés et le fonctionnement du système nerveux. Cependant, des études ont montré que des doses élevées, supérieures à 500 mg par jour, peuvent provoquer, dans des cas spécifiques, une neuropathie périphérique, caractérisée par des engourdissements, des picotements, des douleurs et des troubles de l’équilibre. Ces symptômes peuvent devenir irréversibles si la supplémentation excessive se poursuit. 

La vitamine C est réputée pour ses propriétés antioxydantes et son rôle dans le soutien du système immunitaire. Cependant, une consommation excessive, notamment au-delà de 2 000 mg par jour, peut entraîner des troubles gastro-intestinaux tels que des nausées, des diarrhées et des douleurs abdominales. De plus, des doses très élevées peuvent augmenter le risque de formation de calculs rénaux, en particulier chez les personnes prédisposées.  

Certains compléments peuvent aussi interagir avec des traitements médicamenteux, réduisant potentiellement leur efficacité ou augmentant le risque d'effets secondaires

Ce risque d’interaction médicamenteuse est particulièrement préoccupant pour les patients malades chroniques suivant des traitements spécifiques sur le long terme. Le millepertuis, utilisé pour ses propriétés antidépressives, peut interférer avec des contraceptifs oraux, des anticoagulants ou des immunosuppresseurs. De même, des compléments de vitamine K peuvent réduire l'efficacité des anticoagulants comme la warfarine prise notamment par les patients ayant des problèmes cardiaques.

Plus inquiétant encore, certains compléments peuvent contenir des substances potentiellement toxiques

Ce fut le cas récemment des compléments alimentaires à base de garcinia cambogia, un petit fruit tropical très populaire pour favoriser la perte de poids grâce à l'acide hydroxycitrique (HCA) qu'il contient. En mars dernier, ce complément a fait l'objet d'une alerte de l'Anses à la suite d’effets indésirables sévères remontés. Même chose pour la levure de riz rouge, utilisée pour réduire le cholestérol, suspectée d’être associée à des effets secondaires musculaires ou hépatiques dans certains cas, à cause des substances de type statines qu’elle contient.

Ces exemples ne sont pas isolés. En 2024, l’Anses (l’agence nationale d'évaluation des risques sanitaires) a reçu environ 500 signalements d’effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires. Parmi eux, une vingtaine ont été jugés suffisamment préoccupants pour faire l’objet d’alertes officielles consultables sur le site de l’Anses.

Une régulation du marché beaucoup trop souple ?

L’Anses a un rôle-clé dans la réglementation du marché des compléments alimentaires. L’organisme a la charge d’évaluer les risques et d’émettre des avis et recommandations sur la sécurité. Elle lance également des alertes sur les produits non conformes ou dangereux pour la santé des consommateurs. 

Néanmoins, le rôle de l’Anses ne commence qu’après la commercialisation car, contrairement aux médicaments, les compléments alimentaires ne nécessitent pas d'autorisation de mise en vente sur le marché. Ces produits font l'objet de déclarations auprès de la Direction générale de l'Alimentation (DGAL) qui peut examiner leur composition et réaliser des contrôles, à l'instar des autres catégories de denrées alimentaires. Cette réglementation plus souple permet une mise sur le marché plus rapide des produits, mais elle soulève des questions quant à leur sécurité et leur efficacité à long terme.

L'importance d'une utilisation raisonnée des compléments, idéalement sous supervision médicale

Tous ces risques identifiés mettent en évidence l'importance d'une utilisation raisonnée des compléments alimentaires, idéalement sous supervision médicale. Les compléments alimentaires courants comme le magnésium, la vitamine D ou les oméga 3 restent un axe intéressant pour pallier les déficits nutritifs ponctuels liés à nos modes de vie ou renforcer notre immunité pendant la saison hivernale, sous réserve qu’ils soient de bonne qualité et utilisés à bon escient. Il est notamment rassurant de constater que les Français restent attachés à leur pharmacie et aux grandes marques, ce qui permet de réduire un grand nombre de ces risques ; les pharmaciens jouent un rôle crucial dans le conseil et l'orientation des consommateurs vers des produits adaptés à leurs besoins spécifiques.

Notre opinion

Si les compléments alimentaires peuvent avoir leur place dans une stratégie globale de santé et de bien-être, ils ne doivent pas être considérés comme une solution miracle ou un substitut à une alimentation équilibrée. L'idéal reste de privilégier une alimentation variée et équilibrée, riche en fruits, légumes, céréales complètes et protéines de qualité. 

Les compléments alimentaires devraient être utilisés de manière ciblée, sur conseil d'un professionnel de santé, pour répondre à des besoins spécifiques ou combler des carences avérées. L'industrie des compléments alimentaires doit continuer à investir dans la recherche et le développement pour améliorer l'efficacité et la sécurité de ses produits. Une plus grande transparence sur la composition, l'origine des ingrédients et les études cliniques réalisées serait également bénéfique pour renforcer la confiance des consommateurs et des professionnels de santé et éventuellement accélérer leur usage dans le cadre d’une médecine préventive et personnalisée. 

Les compléments alimentaires améliorent-ils vraiment la santé des Français ?

61% des Français ont consommé des compléments alimentaires au cours des 24 derniers mois, contre 46% en 2018. Cette croissance reflète une évolution profonde de nos habitudes alimentaires et de notre rapport à la santé. Mais derrière cet engouement, une réalité plus nuancée se dessine. Si certains compléments s’intègrent dans une démarche préventive soutenue par des résultats scientifiques solides, d’autres relèvent davantage d’allégations sans fondement portées par un marketing persuasif. Pire, certains compléments peuvent présenter des risques pour la santé. Il est donc essentiel d’adopter un regard critique sur ces alliés santé pas toujours aussi inoffensifs qu’ils en ont l’air.

Julien GAMON, Ingénieur-Conseil