Les États-Unis et le Royaume-Uni signent un « Accord de prospérité économique » : quelques baisses de tarifs et beaucoup de promesses
- 28.05.2025
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Le 8 mai dernier, à la date du 80e anniversaire de la Victoire de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et le Royaume-Uni ont signé un accord « historique » sur un partenariat économique, the US-UK Economic Prosperity Deal (EPD). Il s'agit du premier accord bilatéral sur les droits de douane conclu par l'administration Trump depuis son « Liberation day ».
En bref, les États-Unis s'engagent à diminuer leurs droits de douane pour certains secteurs, notamment celui de l'acier et l'aluminium et des automobiles, en contrepartie d'une ouverture plus large du marché britannique, en particulier aux produits agricoles américains.
Au-delà de la politique tarifaire, les négociateurs se sont mis d'accord sur le cadre général d'un partenariat économique élargi et approfondi à venir, dont les détails restent à finaliser. Il ouvre donc la voie à de nouvelles négociations dans d'autres domaines. Ainsi, les discussions se poursuivront dans les prochaines semaines pour inclure des secteurs supplémentaires où les droits de douane pourraient être réduits (notamment les produits pharmaceutiques) ou les barrières non tarifaires allégées (y compris dans les services), chacun des deux pays visant à améliorer son accès au marché de son partenaire.
En plus de la politique tarifaire et non tarifaire, l'EPD définit des domaines supplémentaires de coopération où les deux contreparties s'engagent à négocier. Ceux-ci incluent la digitalisation du commerce bilatéral, notamment dans les services (tels que les services financiers ou professionnels), le renforcement de la coopération en matière de sécurité économique, notamment une coordination des efforts pour faire face aux politiques déloyales des pays tiers (on se doute que le pays visé est la Chine). Les deux pays ont l'intention de coopérer notamment dans les domaines de sécurité des investissements, de contrôle des exportations et de la sécurité des fournisseurs en TIC. Par ailleurs, ils s'engagent à élargir l'intégration économique dans des industries d'intérêt mutuel, telles que les industries critiques et la défense.
Ce n'est donc pas un accord commercial au sens juridique du terme, il n'est pas juridiquement contraignant (les votes du Congrès américain et du parlement britannique ne sont pas nécessaires) et il peut être rompu à tout moment par simple lettre de l'une des contreparties. Il s'agit davantage d'un engagement mutuel pour « approfondir la relation commerciale sur la base de la confiance mutuelle et l'engagement commun en faveur d'un commerce équitable et réciproque ».
Plus concrètement, en ce qui concerne la politique tarifaire, les États-Unis réduiront leurs droits de douane sur les importations d'acier, d'aluminium et d'automobiles britanniques en échange de concessions de la part du Royaume-Uni dans le domaine agricole, plus spécifiquement sur les importations de viande bovine américaine.
- Automobiles : les États-Unis importeront jusqu'à 100 000 véhicules britanniques avec un tarif douanier réduit à 10% (et à 27,5% pour chaque automobile supplémentaire). Les automobiles sont le produit le plus exporté vers les États-Unis – 102 000 voitures pour un montant de 9 milliards £ en 2024 (27,4% des exportations totales de voitures) – selon les données de l'ONS. Pour sa part, le Royaume-Uni impose un droit de douane de 10% sur les importations de voitures américaines.
- Acier, fer et aluminium : en février 2025, les États-Unis ont annoncé une taxe de 25% sur toutes leurs importations d'acier et d'aluminium, entrée en vigueur le 12 mars 2025. Dans l'EPD signé avec le Royaume-Uni, les États-Unis s'engagent à définir un quota (qui reste à négocier) pour importer sans droits de douane de l'acier et de l'aluminium britanniques et certains de leurs dérivés, à condition que le Royaume-Uni progresse dans l'application de normes de sécurité américaines de la chaîne d'approvisionnement. Le Royaume-Uni exporte relativement peu de fer et d'acier vers les États-Unis, environ 0,4 milliard £ en 2024, soit 8,4% des exportations totales de fer et d'acier. Les États-Unis se positionnent en quatrième position de ses partenaires à l'exportation, après l'Irlande, la Belgique et les Pays-Bas.
- Agriculture : le Royaume-Uni supprimera la taxe douanière de 20% sur la viande de bœuf américaine et augmentera son quota de 1 000 tonnes métriques (tm) à 13 000 tm. En retour, les États-Unis augmenteront aussi leur quota à 13 000 tm pour la viande de bœuf britannique. De plus, le Royaume-Uni permettra l'entrée sans droits de douane sur son marché de 1,4 milliard de litres d'éthanol américain. Par ailleurs, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont engagés à respecter leurs normes sanitaires et phytosanitaires respectives (selon le communiqué britannique). Des agriculteurs et des consommateurs britanniques ayant exprimé leurs inquiétudes quant à la possibilité d'importations de bœuf américain nourri aux hormones, le gouvernement britannique a insisté sur le fait que les procédures de certification et de contrôles à la frontière permettaient de s'assurer que de la viande de bœuf élevé aux hormones n'entrerait pas sur le marché britannique et que de manière générale les normes sanitaires et phytosanitaires britanniques ne seraient pas modifiées. Cet engagement est d'autant plus important que le Royaume-Uni a signé le 9 mai un accord majeur de rapprochement avec l'UE qui, dans le domaine agricole, opère un relâchement substantiel des contrôles à l'égard des exportations agricoles britanniques vers les pays de l'UE, dans le cadre de la création d'une « zone sanitaire et phytosanitaire commune »1. Si le Royaume-Uni a accepté un certain degré d'alignement dynamique avec les normes européennes et le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne dans la supervision de l'accord, la façon dont cet alignement va être réalisé dans la pratique est encore incertaine.
- Produits pharmaceutiques : actuellement ces produits ne sont pas soumis à des tarifs douaniers américains mais, avant l'EPD, ils étaient susceptibles de l'être dans le futur. Les autorités des deux pays se sont engagées à négocier « rapidement » des termes « significativement préférentiels » sur les importations américaines de produits pharmaceutiques depuis le Royaume-Uni. Selon le communiqué de la Maison Blanche2, l'accord crée une chaîne d'approvisionnement sûre pour les produits pharmaceutiques. Il s'agit d'un secteur majeur pour les exportations du Royaume-Uni vers les États-Unis – 6,6 milliards de livres en 2024 (26,7% des exportations totales de biens), soit le deuxième type de produits les plus exportés après les automobiles. C'est aussi le quatrième bien le plus importé depuis les États-Unis (4 milliards £, 14,7% des importations totales de biens), après le pétrole (8,7 milliards £), les générateurs d'électricité mécanique (5,8 milliards £) et le pétrole raffiné (4 milliards £).
- Autres secteurs industriels : les deux pays s'engagent à poursuivre les négociations afin d'abaisser les droits de douane sur d'autres produits, sous condition de respect par le Royaume-Uni de la sécurité des chaînes d'approvisionnement. Toutefois, le tarif « universel » américain de 10%, tel qu'annoncé le 9 avril, sur la plupart des biens importés depuis le Royaume-Uni, restera en vigueur.
Notre opinion
« Historique », on peut le dire car, bien que loin d'être un véritable accord de libre-échange, il s'agit effectivement du premier « accord » signé par un gouvernement britannique avec les États-Unis. Depuis le Brexit, les gouvernements conservateurs successifs cherchent à conclure un accord de libre-échange avec les États-Unis et ledit accord du 8 mai dernier constitue une première étape dans l'approfondissement de la « relation spéciale » avec les États-Unis. Ce cadre général de coopération économique contient beaucoup de promesses et peu de décisions concrètes immédiates ; beaucoup donc reste à faire.
Dans le domaine des droits de douane, le gouvernement a obtenu quelques victoires certes, l'abaissement des droits de douane sur l'acier, l'aluminium et l'automobile est évidemment bienvenu, mais le tarif minimum de 10% sur la plupart des produits importés par les États-Unis est maintenu. Cela est susceptible de peser sur l'économie britannique, pour laquelle les États-Unis sont le deuxième partenaire à l'exportation après l'UE. La hausse des droits de douane américains combinée au ralentissement de l'économie américaine et celui de l'économie mondiale consécutif au resserrement de la politique commerciale américaine aura un impact négatif sur les exportations britanniques, au travers d'une compétitivité réduite par rapport aux produits américains et une baisse de la demande externe. Cela aura à son tour un impact négatif sur l'emploi, et par conséquent sur la consommation des ménages. Les droits de douane risquent de peser aussi sur l'investissement des entreprises dans les secteurs exportateurs vers les États-Unis faisant l'objet de droit de douane. Ces entreprises devront soit réduire leurs marges pour garder leur accès au marché américain, soit chercher d'autres débouchés à leur production, résultant en une hausse supplémentaire de leurs coûts. En revanche, les voitures, l'acier et l'aluminium britanniques, bénéficiant d'un droit de douane inférieur à celui de leurs concurrents du reste du monde, sont donc en amélioration de leur compétitivité relative.
1 Voir UK-EU Summit - Explainer (HTML) - GOV.UK
2 Voir Fact Sheet: U.S.-UK Reach Historic Trade Deal – The White House
Article publié le 23 mai 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

"Historique", on peut le dire car, bien que loin d'être un véritable accord de libre-échange, il s'agit effectivement du premier « accord » signé par un gouvernement britannique avec les États-Unis. Depuis le Brexit, les gouvernements conservateurs successifs cherchent à conclure un accord de libre-échange avec les États-Unis et ledit accord du 8 mai dernier constitue une première étape dans l'approfondissement de la « relation spéciale » avec les États-Unis. Ce cadre général de coopération économique contient beaucoup de promesses et peu de décisions concrètes immédiates ; beaucoup donc reste à faire.
Slavena NAZAROVA, Economiste - Royaume-Uni, États-Unis, Irlande