Chine – 5%, rien de vraiment surprenant

Chine – 5%, rien de vraiment surprenant

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Les nouvelles déclarations de Donald Trump, qui a annoncé une nouvelle hausse de 10% des droits de douane sur les produits chinois n'auront pas eu d'impact de dernière minute sur le discours des autorités.

Dans un ballet immuable, le Premier ministre, Li Qiang, a prononcé son traditionnel discours sur l'état de l'économie, qui précédait l'ouverture des deux sessions parlementaires, réunissant à Pékin 3 000 représentants du Parti communiste. Au cours de cette intervention, il a dévoilé la cible de croissance pour 2025, « autour de 5% » comme en 2023 et 2024, celle d'inflation, qui passe de 3% à 2%, mais aussi les objectifs en termes de chômage urbain, création d'emplois et déficit. 

Reconnaissant devoir faire face à « un environnement externe de plus en plus complexe et difficile » pouvant avoir « un impact croissant sur la Chine dans des secteurs tels que le commerce, la science ou la technologie », Li Qiang a toutefois assumé une ligne ambitieuse et une volonté de présenter l'économie chinoise comme forte, prévisible et stable. La cible de croissance a beau être présentée comme plus souple et moins contraignante par les autorités, qui martèlent depuis plusieurs années favoriser une croissance qualitative et non quantitative, il n'en reste pas moins que, années de Covid mises à part, la Chine n'a jamais manqué un objectif, quitte à alimenter les doutes sur la fiabilité de son appareil statistique. 

Cette cible, qui se situe au-dessus des projections du consensus (4,6% de croissance en 2025 pour le FMI, 4,5% pour le consensus), s'est accompagnée d'un engagement des autorités à soutenir la consommation domestique. La baisse de la cible d'inflation – qui, dans les faits, n'a presque jamais été atteinte ces quinze dernières années – indique toutefois que le rééquilibrage de la croissance vers plus de demande interne va encore prendre du temps. Et ce d'autant plus que cette cible d'inflation prend théoriquement en compte un environnement extérieur plus dur, marqué par la hausse attendue des droits de douane, et donc un univers de prix plus élevés. 

Quelles priorités, quel soutien, quels instruments ?

Priorité est donc donnée cette année à la reprise de la consommation et de la demande intérieure, en encourageant la hausse des revenus des ménages, mais aussi en poursuivant le programme de reprise des biens de consommation, pour lequel l'enveloppe allouée devrait doubler et atteindre environ 40 milliards de dollars. 

Suivent ensuite : 
- l'accélération de l'industrialisation, notamment dans les secteurs de pointe comme l'intelligence artificielle, 
- la promotion de la technologie et de l'éducation, 
- l'approfondissement des réformes, notamment fiscales et financières,
- la poursuite des politiques d'ouverture en matière de commerce et d'investissement, 
- la maîtrise des risques systémiques, dont la stabilisation du marché immobilier et le contrôle de l'endettement des gouvernements locaux, 
- le soutien à l'agriculture et aux zones rurales, 
- la poursuite de l'urbanisation et de la coordination de la croissance régionale, 
- la promotion d'une transition verte et l'avancée vers la neutralité carbone, 
- l'amélioration du bien-être de la population, notamment via la santé et l'éducation. 

Des objectifs plutôt généraux, qui traduisent cependant les principaux risques pesant sur l'économie chinoise. L'atonie de la demande interne bien sûr, liée à la crise du secteur immobilier, encore loin d'être réglée. Les questions industrielles ensuite, à la fois sur le plan de l'autonomie stratégique (intelligence artificielle, secteurs de pointe, économie numérique) mais aussi sur le commerce extérieur, alors que la Chine se veut le défenseur d'une mondialisation sans entrave. L'agenda des réformes à mener, enfin, pour maîtriser la trajectoire d'endettement de l'économie et limiter les risques d'une crise de la dette locale, mais aussi le développement des services de santé et d'éducation, freins à la natalité et à la consommation car générateur d'une abondante épargne de précaution. Le tout sans abandonner l'objectif de neutralité carbone et celui d'une croissance plus qualitative et surtout plus équilibrée entre les différentes provinces, les villes et les campagnes.

Pour faire face à ce programme ambitieux, la Chine entend certes s'appuyer sur des politiques budgétaire et monétaire plutôt accommodantes, ainsi que le laissait envisager le vocabulaire employé dans les derniers communiqués, sans cependant tomber dans une relance massive. Le déficit de l'État central devrait ainsi être porté à 4% du PIB, contre une cible de 3% en 2024, et la banque centrale entend poursuivre son assouplissement, avec une nouvelle baisse des taux directeurs et des taux de réserves obligatoires afin de soutenir la production de crédits. Elle a également réitéré sa volonté de maintenir un yuan stable, alors que Donald Trump a réitéré ses accusations dénonçant une sous-évaluation de la devise chinoise injuste pour les États-Unis. 

Cela sera-t-il suffisant pour atteindre la cible de croissance ? 

Les données d'activité de janvier ne sont jamais publiées en raison du Nouvel An lunaire. Des indicateurs partiels indiquaient un frémissement de la consommation liée au tourisme et aux festivités, qui devra donc être confirmé en février. Dans tous les cas, la crise de confiance qui traverse la société chinoise est profonde et ne se règlera pas avec des promesses de nouveaux rice-cookers.

Aux obstacles internes s'ajoute maintenant une forte incertitude sur le comportement américain. La Chine n'a jamais caché ses intentions : elle souhaite une négociation, un super-deal avec les États-Unis, elle qui a toujours su agir avec pragmatisme sur le terrain économique. Les autorités ont certes riposté aux 10% de droits de douane supplémentaires ajoutés en janvier, puis en mars, mais essaient de déployer une riposte graduée, plus nuancée, en ne ciblant que certaines catégories de biens, et en veillant à ne pas escalader dans l'échelle des tensions.

La Chine a aussi laissé se faire la vente par le conglomérat hongkongais CK Hutchison à l'américain BlackRock de toutes ses activités portuaires hors de Chine, dont deux à l'entrée et à la sortie du canal de Panama. Un gage de bonne foi en préambule à de futures négociations avec Donald Trump, qui a fait du canal de Panama un étendard. La volonté affichée par la banque centrale chinoise de ne pas trop laisser filer le yuan face au dollar en est un autre. 

En 2024, le commerce extérieur avait contribué à la croissance chinoise à hauteur de 1,4 point de pourcentage, un record depuis 2006. La Chine sait qu'elle a face à elle un Donald Trump jusqu'au-boutiste, qui n'hésitera pas à brandir la menace des droits de douane dans chaque négociation. Elle souhaite incarner au contraire l'image d'un pays ouvert, stable et prévisible, pourvoyeur de croissance pour le reste du monde. Un positionnement louable, qui ne fait oublier ni la nature profonde du régime chinois, ni les doutes légitimes sur l'état réel de son économie.

Article publié le 7 mars 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine 

Chine – 5%, rien de vraiment surprenant

Aux obstacles internes s'ajoute maintenant une forte incertitude sur le comportement américain. La Chine n'a jamais caché ses intentions : elle souhaite une négociation, un super-deal avec les États-Unis, elle qui a toujours su agir avec pragmatisme sur le terrain économique. Les autorités ont certes riposté aux 10% de droits de douane supplémentaires ajoutés en janvier, puis en mars, mais essaient de déployer une riposte graduée, plus nuancée, en ne ciblant que certaines catégories de biens, et en veillant à ne pas escalader dans l'échelle des tensions.

Sophie WIEVIORKA, Economiste - Asie (hors Japon)